Cet homme, qui a réussi à quitter notre monde sans déranger personne, aura été le plus modeste qu’il m’ait été donné de connaître au cours de ma vie. Mardi dernier, quand la nouvelle de son décès a été annoncée à la radio puis à la télé, j’ai pris le temps d’écouter les réactions de ceux et celles qui l’ont côtoyé pendant toutes ces années et qui n’avaient que de beaux mots à son égard, comme : générosité, culture, disponibilité, respect des autres et fidélité à ce public qu’il a tant aimé. S’il a eu des colères, elles n’ont jamais été publiques. Même chose pour les déceptions qu’il aurait sans doute choisi de vivre en privé. Il était ainsi. Juste et discret.
C’était mardi matin. Les hommages rendus à Gilles Latulippe étaient parfois interrompus par des reportages émanant des importantes réunions de New York, sur le réchauffement de la planète, auxquelles Philippe Couillard participait du bout des doigts et auxquelles Stephen Harper n’avait pas daigné se présenter. En écoutant M. Couillard insister lourdement sur le « retour de la stabilité politique au Québec » (ce qui m’a permis de me demander où elle était bien passée avant son arrivée à lui) et sur l’invitation grande ouverte du Québec aux intérêts américains, je me suis mise à penser que Gilles Latulippe nous aurait fait un bien meilleur premier ministre. Nous aurions dû y penser.
Cet homme qui a réussi à porter à bout de bras le Théâtre des variétés pendant 35 ans, sans aucune subvention gouvernementale, n’osant même pas penser que le burlesque pouvait être digne de relever de la culture, aurait été plus crédible que tout ce que j’ai entendu jusqu’à maintenant au sujet du fameux « déficit zéro » dans la bouche de politiciens qui s’apprêtent à jouer la grande scène du massacre des innocents. Ça va faire mal. C’est ce qu’ils disent. Ils s’en vantent presque.
Le Québec aurait sans doute gagné à devenir un gros Théâtre des variétés bien administré, épongeant ses dettes au fur et à mesure, inspiré dans son développement et soucieux de l’avenir de chacun de ses citoyens. Avec un peu d’humour en prime ! Gilles, lui, il savait compter. Il l’avait prouvé. Ceux qui nous gouvernent maintenant n’ont même pas l’air de savoir où ils sont.
Ce que je veux dire, c’est que Gilles Latulippe était plutôt de la race de ceux qui se seraient privés de manger plutôt que d’imposer des coupes à ceux et celles qui n’ont presque rien.
Il pratiquait déjà cette générosité avec ses amis comédiens et comédiennes pour qui le succès n’est pas toujours couvert d’or et qui peuvent se retrouver devant rien sans l’avoir mérité.
J’ai essayé d’imaginer une conférence de presse de Latulippe, premier ministre du Québec, faisant rire les journalistes jusqu’aux larmes tout en leur disant que les temps sont difficiles, qu’Ottawa n’a jamais été aussi méprisant qu’en ce moment envers le Québec mais que ce n’est pas ça qui va nous faire taire. Qu’il est important que nous gardions la tête haute et le dos droit.
Puis, il aurait pris sur ses épaules le dossier du pont Champlain au sujet duquel il faut mettre notre pied à terre avant que nous nous retrouvions devant un fait accompli, sans notre approbation.
Comme il aurait sans doute interdit l’utilisation du Saint-Laurent pour le transport du pétrole albertin sur des bateaux immenses qui ressemblent à d’énormes provocations pour tous les fauteurs de trouble de ce monde de fous dans lequel nous vivons.
Gilles Latulippe a toujours été un exemple de ténacité. Il a poursuivi son rêve avec courage et sans compromis. Nous l’avons aimé pour sa capacité à nous faire voir le ridicule de toutes ces choses qui nous gâchent souvent le quotidien. Il a été fidèle jusqu’au bout de son souffle à ceux et celles qu’il aimait. Il était encore sur scène il y a quelques semaines, cachant la gravité de son état pour éviter, sans aucun doute, de prendre trop de place. Intelligent comme dix, cultivé et toujours curieux de tout comprendre, modeste jusqu’à l’effacement, il restera dans nos mémoires pour très longtemps. Il y rejoint les grands comme La Poune, Juliette Pétrie, Manda, Olivier Guimond, tous ces noms qui nous tirent un sourire juste à les prononcer. Je ne sais pas où ils sont tous, mais Gilles ne s’ennuiera pas avec eux.
« Elle est lourde à porter, l’absence d’un ami »,dit la chanson de Bécaud. Le vide laissé par Gilles Latulippe ne sera pas comblé. Ni dans sa famille ni dans son public. Grâce à nos mémoires, il vivra encore longtemps. Et c’est tant mieux ainsi. Il aura été un modèle hautement qualifié toute sa vie. Les modèles de modestie sont rares en ce moment. C’est pourquoi ils sont si précieux. Salut Gilles.
Gilles, il savait compter. Ceux qui nous gouvernent n’ont même pas l’air de savoir où ils sont.
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