Des responsables européens ne cachent plus leur irritation face à une superpuissance chinoise accusée d’avancer ses pions géopolitiques sous couvert de générosité et de diplomatie sanitaire dans la crise de la COVID-19, tout en cherchant à réécrire l’histoire de la pandémie.
Quelques jours après le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, la secrétaire d’État française aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin, est montée au créneau dimanche pour reprocher à la Chine, mais aussi à la Russie, « d’instrumentaliser » leur aide internationale et de la « mettre en scène ».
La Chine a dénoncé lundi des propos « cyniques ». « J’ai entendu plusieurs fois des Occidentaux mentionner le mot de propagande par rapport à la Chine. J’aimerais leur demander ceci : à quoi font-ils exactement référence ? », a répliqué Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
« Que souhaitent-ils ? Que la Chine reste les bras croisés face à cette grave épidémie ? », s’est-elle interrogée.
Le 24 mars, Josep Borrell s’était agacé de la « bataille mondiale des narratifs » et « des luttes d’influence » en cours par la « distorsion » des faits et la « politique de générosité ».
Il rappelait que, s’il y a aujourd’hui « des tentatives pour discréditer » l’Europe, en janvier, la crise n’était que chinoise, localisée dans le Hubei, « aggravée par la dissimulation d’informations cruciales par les responsables du Parti [communiste] chinois », et que l’Europe était venue à son aide, comme la Chine le fait aujourd’hui en retour.
La Chine fait aussi « agressivement passer le message qu’à la différence des États-Unis, elle est un partenaire responsable et fiable », observait-il.
La Chine — qui semble avoir jugulé l’épidémie sur son territoire — est bel et bien soupçonnée d’exploiter la « diplomatie du masque » pour vanter son modèle de puissance.
Pékin — qui avait demandé la discrétion lorsque l’UE était venue à son aide —, à l’inverse, met en exergue ses actions dans une « campagne de communication sans précédent », souligne Antoine Bondaz, de la Fondation pour la recherche stratégique, dans une note consacrée à « la Route de la soie de la santé ». Avec à l’appui une série d’initiatives, « don de 20 millions de dollars à l’OMS, envoi d’experts médicaux en Iran et en Italie, construction d’un laboratoire en Irak, acheminement de tests diagnostiques aux Philippines et d’équipements de protection au Pakistan et en France », énumère le chercheur.
Compétition entre systèmes
L’ambassade de Chine en France se livre ainsi à une campagne décomplexée de promotion du système politique chinois et de sa « réussite » dans la bataille contre le coronavirus.
« Certaines personnes, dans le fond, sont très admiratives des succès de la gouvernance chinoise. Ils envient l’efficacité de notre système politique et haïssent l’incapacité de leur propre pays à faire aussi bien ! », écrit-elle sur son site Internet, communiquant aussi abondamment par Twitter.
La bataille idéologique autour de la COVID-19 fait suite à celles pour le contrôle des voies maritimes en mer de Chine ou pour l’accès à la technologie 5G, nouvel enjeu stratégique des télécommunications.
« Depuis sept ans, la Chine s’est engagée dans une rude compétition entre systèmes politiques et saisit chaque occasion nationale ou internationale pour afficher la « supériorité » présumée de son système », explique à l’AFP Alice Ekman, analyste responsable de l’Asie à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne.
Pékin veut aussi « se débarrasser, en interne comme en externe, du péché originel », celui de l’émergence du virus sur son territoire, estime à son tour auprès de l’AFP François Heisbourg, expert français en géopolitique.
Reste à savoir si leur récit de la crise va convaincre, souligne une source diplomatique européenne. Mais s’ils sortent de cette crise rapidement, en particulier sur le plan économique, ce sera avec une puissance et une confiance décuplées, prédit cette source.
« Même si les déclarations sur l’origine du virus et la surmédiatisation de l’assistance chinoise commencent […] à se retourner en critiques contre la Chine, d’autres pays continuent à afficher leur proximité avec Pékin dans le contexte actuel (Russie, Iran, Pakistan, Algérie, entre autres), et ne seraient pas mécontents de proclamer en chœur l’émergence d’un “nouvel ordre mondial post-occidental” à l’issue de cette crise », note Mme Ekman.