Éric Desrosiers - Les gouvernements n'en ont pas fini de jouer de la menace et du charme pour convaincre des foules en colère de la nécessité de leurs mesures d'austérité. Certains y verront l'un des inconvénients, et même une faiblesse des démocraties alors que cela pourrait être une force.
L'expression en est venue à désigner les milliers d'Européens qui ont pris la rue pour dénoncer, parfois de façon musclée, les mesures d'austérité de leur gouvernement. Comme c'est souvent le cas en pareille circonstance, ceux que l'on surnomme les «indignés» ne partagent pas nécessairement tous la même opinion sur ces enjeux. Il y a des jeunes et des vieux, de gauche et de droite, qui sont issus de mouvements syndicaux, étudiants, populaires ou anarchistes plus ou moins organisés.
On les a vus, la semaine dernière en Grèce, échanger des coups avec les forces de l'ordre et faire le siège du parlement pendant que leurs députés débattaient du nouveau plan d'austérité qu'il faudra mettre en place pour obtenir en échange l'aide de l'Europe. Ils étaient des centaines de milliers de travailleurs du secteur public à manifester contre les compressions du gouvernement britannique jeudi. Ils étaient plusieurs dizaines de milliers à prendre la rue la semaine d'avant en Espagne. On en a vu aussi, au fil des mois, au Portugal, en France, en Irlande, en République tchèque, au Danemark et ailleurs.
«Perçus au début de la crise comme un mal nécessaire, voire comme une sorte de rédemption face aux excès passés», les plans de rigueurs imposés par les marchés et les partenaires étrangers passent de plus en plus mal dans les populations, rapportait il y a un mois le quotidien Le Monde. D'abord, parce que leurs effets négatifs — baisses de revenus, chômage, précarité — sont aujourd'hui visibles; ensuite parce qu'on n'en voit toujours pas les résultats escomptés, les marchés refusant toujours leur confiance et exigeant même sans cesse plus d'austérité.
Vus de l'extérieur, on les juge plutôt sévèrement. Ils apparaissent, au mieux, comme de doux rêveurs qui refusent de voir la réalité en face, et au pire, comme d'irresponsables bébés gâtés préférant mener leur pays à la faillite plutôt que de réduire le train de vie excessif. Les défenseurs de la rigueur économique ne se privent d'ailleurs pas pour conseiller aux gouvernements concernés de rester sourds à leurs protestations et de garder courageusement le cap en dépit des contrecoups économiques et politiques.
C'est plus facile à dire qu'à faire. Tout le monde a vu ce qui est arrivé, ces derniers mois, aux gouvernements irlandais, espagnol et portugais lorsqu'ils se sont présentés devant les électeurs. Tous n'avaient pas démérité et pourtant tous se sont vu montrer la porte. Cette situation aurait fait dire au premier ministre luxembourgeois et président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Junker: «Nous savons tous ce qu'il faut faire. Ce que nous ne savons pas, c'est comment être réélu si nous le faisons.»
Aller au-devant des citoyens
Une récente étude du Centre for Economic Policy Research a montré que les politiciens n'avaient rien à gagner, en période de crise, à essayer de diluer une réforme dans l'espoir de sauver leur peau aux élections. Les électeurs ne sont pas dupes et détecteront tout de suite la manoeuvre, préviennent les économistes Alessandra Bonfiglioli et Gino Gancia qui se sont penchés sur 25 ans de réformes et d'élections dans 20 pays développés. Le sort électoral d'un gouvernement en période de crise dépend surtout du hasard de la conjoncture. Les pressions extérieures et le contexte d'incertitude qui caractérisent ces périodes se révéleraient même, au contraire, plutôt favorables à l'adoption de réformes.
L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a dévoilé la semaine dernière un rapport se penchant sur les futurs chocs mondiaux. L'un des cas étudiés était celui de l'éclatement de troubles sociaux, comme ceux qui se déroulent actuellement en Grèce. On y rapportait que les trois principaux moteurs de l'expression publique de la colère populaire sont la frustration devant des problèmes qui durent souvent depuis longtemps, le sentiment d'injustice et la perte de confiance dans ses dirigeants.
Il serait facile dans ce contexte de pousser de grands soupirs et de lever les yeux au ciel devant l'incapacité des démocraties d'agir rapidement lorsque des réformes s'imposent. On en trouvera même pour dire que c'est un handicap par rapport à la concurrence de pays gouvernés par des régimes autoritaires comme la Chine.
On pourrait commencer par leur répondre que la réalité finit toujours par nous rattraper, même dans des pays comme ceux-là, comme le montre le printemps arabe.
On pourrait surtout leur citer un autre rapport de l'OCDE, intitulé Cap sur les citoyens, qui commençait, en juin 2009, par prévenir tout de suite les gouvernements des pays démocratiques qu'ils sont condamnés à faire affaire avec des «citoyens mieux instruits, mieux informés et moins déférents», mais que cela, loin d'être un handicap, est pour le mieux. En plus d'être plus démocratique, y disait-on, «l'élaboration transparente et participative» des politiques publiques s'avère, pour les gouvernements, un moyen indispensable d'en améliorer les résultats en matière d'efficacité et d'équité. «Surtout, disait-on, les gouvernements doivent aller à la rencontre de la population plutôt que d'attendre que celle-ci vienne à eux.»
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