Depuis que le mouvement d'opposition aux politiques d'austérité/rigueur du gouvernement Couillard a pris de l'ampleur, il y a quelque chose qui me chicote.
On peut trouver une foule de raisons valides pour s'opposer aux politiques libérales : on peut être contre le principe même du déficit zéro, ou encore trouver que le rythme du retour à l'équilibre est trop rapide. On peut aussi critiquer les choix du gouvernement, les cibles qu'il a choisies. Ce sont tous là des arguments solides.
Pourquoi alors tant d'opposants à l'austérité sombrent-ils dans l'exagération, dans la caricature, dans les excès langagiers pour critiquer le gouvernement, quand les faits suffiraient ?
Par exemple, peut-on sérieusement affirmer que le gouvernement Couillard est en train de démanteler le modèle québécois, quand les dépenses des missions sociales augmentent, qu'aucun des grands programmes associés au modèle n'a été remis en cause ? Peut-on vraiment dire qu'avec la modulation des frais de garde, le Québec retourne 20 ans en arrière, c'est-à-dire quand il n'y avait pas de CPE et que les tarifs étaient de 25 $ par jour ? Ou encore, dire que le gel des salaires dans la fonction publique montre que le gouvernement Couillard est contre l'émancipation des femmes ?
Les plus récents sondages donnent des éléments d'explications. Le CROP-La Presse publié hier illustre la relative impopularité du gouvernement Couillard, quoiqu'on ne décèle pas l'effondrement que suggèrerait l'intensité des réactions aux politiques d'austérité. Pour les intentions de vote, le PLQ, à 35 %, ne perd qu'un point depuis novembre, mais ses principaux adversaires sont en remontée : le PQ, même sans chef, de 23 % à 28 %, et la CAQ, de 24 % à 27 %. Le taux d'insatisfaction reste stable, à 58 %, mais la proportion des très insatisfaits passe de 23 % à 30 %.
Par contre, selon un sondage Léger Marketing publié dans Le Devoir, l'appui aux politiques du gouvernement Couillard reste fort. 46 % des répondants approuvent le retour à l'équilibre budgétaire en 2015, contre 38 % qui s'y opposent, 66 % appuient la réduction du nombre de commissions scolaires, 63 % le gel des salaires de la fonction publique, 58 % la modulation des frais de garderie, 54 % la réforme des retraites municipales. Seules les compressions imposées aux villes ne passent pas la rampe.
L'apparente contradiction entre l'impopularité des libéraux et la popularité de leurs politiques tient sans doute aux ratés dans leur mise en oeuvre, mais surtout au fait que les Québécois n'aiment pas la chicane. Ce qui suscite leur grogne, c'est l'incapacité du gouvernement d'arriver à ses fins sans provoquer un climat d'affrontement et d'instabilité. D'où la stratégie de l'hyperbole.
Si les opposants à l'austérité choisissaient le terrain des faits, ils seraient perdants dans le débat public. Par exemple, déchirer sa chemise au sujet de la modulation des frais de garderie ne donnera pas grand-chose, parce que les citoyens sont d'accord avec la mesure. Leur seule chance de l'emporter, c'est l'exagération et l'amplification. Décrire cette mesure comme une brèche majeure du principe d'universalité, ou la décrire comme une menace au modèle québécois, dans l'espoir de toucher une corde sensible. Et surtout, de faire le plus de bruit possible. Plus on crée un climat de crise sociale, plus on a de chances d'affaiblir le gouvernement et de gagner la bataille de l'opinion publique. Et ça fonctionne assez bien.
Ce succès relatif repose sur une distorsion, une coupure importante entre le débat public et la réalité sociale et politique du Québec Le débat public, dominé par une espèce d'alliance entre les groupes de pression, le monde culturel et leurs relais médiatiques, est assez favorable aux opposants à l'austérité pour qu'on ait l'impression que le Québec est proche du soulèvement collectif.
Et pourtant, 35 % des Québécois voteraient pour les libéraux et 27 % voteraient pour la CAQ, qui irait encore plus loin sur la voie de la rigueur. Presque les deux tiers des citoyens.
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