Grippe H1N1

Les gouvernements ont-ils cédé à la panique?

Le principe de précaution a été poussé à l'extrême, déplorent des médecins français

L'Empire - la fabrication de la PEUR

Pendant que le Québec publiait des annonces à pleines pages dans les quotidiens afin d'inciter les citoyens à se faire vacciner, la France tentait tant bien que mal de convaincre les siens d'imiter leurs cousins outre-Atlantique. Peine perdue, à peine cinq millions de Français ont répondu à l'appel. Et pourtant, la France avait commandé 94 millions de doses du vaccin. Polémique.
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Paris — Alors que la France a mis en vente la majeure partie des 94 millions de vaccins contre la grippe H1N1 qu'elle avait commandés, des voix s'élèvent pour remettre en cause la stratégie du gouvernement, qui aurait cédé à la panique. En France, les critiques se multiplient non seulement contre une campagne de vaccination qui n'a finalement rejoint que cinq millions de personnes (sur 63 millions), mais surtout contre la stratégie suivie par la plupart des pays développés, qui aurait largement surestimé les risques sanitaires.Spécialiste des maladies infectieuses, le Dr Marc Gentilini estime qu'on a cédé à la panique en adoptant une «stratégie critiquable et dispendieuse». Cet ancien président de la Croix-Rouge française avait mis en garde le gouvernement dès le mois de juillet contre une application alarmiste du «principe de précaution».
«On a cédé à la panique, a-t-il déclaré au Devoir. En juillet, j'avais dit que c'était excessif et qu'il fallait calmer le jeu. Or on a vu dans la presse quotidienne des reportages terroristes avec des images où l'on ne montrait que les quelques cas graves répertoriés. Il n'y a pourtant eu en France que 200 morts de la grippe H1N1 depuis le début de l'épidémie, face aux 2000 à 6000 morts que fait chaque année la grippe saisonnière.»
Contrairement au Québec, où plus de 55 % de la population a été vaccinée, la campagne de vaccination française a eu très peu de succès. Dès le début, le corps médical est demeuré sceptique, de nombreux médecins recommandant même à leurs patients d'attendre avant de se faire vacciner.
Selon le Dr Gentilini, qui a été responsable pendant 30 ans du traitement des maladies infectieuses à l'hôpital parisien de La Pitié-Salpêtrière, il aurait suffi de concentrer les efforts sur les populations à risque. Quinze millions de doses auraient alors été suffisantes pour tout le pays. De toute façon, dit Gentilini, la vaccination de 30 % d'une population suffit à contrôler une épidémie.
«Le principe de précaution, qui est louable en soi, est venu tout perturber, dit-il. Maintenant, certains scientifiques invoquent le principe de précaution maximal. On prend une assurance tous risques à n'importe quel prix, très au-dessus de l'objet qu'on cherche à assurer. Il va falloir revoir tout ça.»
En juin dernier, l'ancien ministre Bernard Debré, membre du Comité national d'éthique, avait qualifié l'épidémie de «grippette sans danger». Mais personne ne l'avait écouté. Hier, il a déclaré à France-Info que «le principe de précaution a été poussé à l'extrême stupidité». Selon lui, la France a acheté de 50 à 70 millions de vaccins en trop, soit «10 % des vaccins du monde». Sans compter le tiers des réserves mondiales de Tamiflu, les masques et les gels solubles. Il faut dire qu'à l'époque le gouvernement croyait que l'inoculation du vaccin nécessiterait deux injections par personne. L'opinion était alors sous le choc des nombreux décès survenus au Mexique. La facture devrait se monter à plus de trois milliards de dollars (2,2 milliards d'euros, selon la commission des finances du Sénat), de quoi éponger le déficit des hôpitaux français, dit Debré.
Hier soir, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a annoncé qu'elle avait résilié les commandes de 50 millions de vaccins qui n'avaient été «ni livrées, ni payées». Une décision qui n'a pas calmé les inquiétudes. Bernard Debré se demandait si cette annonce n'incluait pas les 30 millions de vaccins que la France avait commandés «en option», en plus des 94 millions qui sont l'objet de la polémique.
Hier, à peine rentrés de vacances, les politiques ont vivement réagi, comme si l'annonce, faite dimanche, de la mise en vente d'une partie des stocks de vaccins excédentaires avait servi de détonateur. Le porte-parole socialiste, Benoît Hamon, a réclamé une commission d'enquête. Spécialiste des questions de santé au Parti socialiste, Jean-Marie Le Guen souhaite faire le bilan d'un «fiasco» et «tirer les leçons pour le futur». Un de ses collègues du Parlement européen, Vincent Peillon, estime que «ce gouvernement n'a pas écouté ceux qui savent. Ce n'est pas la première fois. Il y a un mépris pour le savoir. Il y a une gestion par la peur.»
Gentilini accuse directement «un certain nombre d'experts français qui travaillaient en liaison avec l'Organisation mondiale de la santé» d'avoir suscité la panique. Bernard Debré comprend qu'on ait pu céder à la peur. Mais il accuse les laboratoires pharmaceutiques d'avoir exercé, en juillet, «une pression absolument fantastique».
Mieux vaut affronter «une polémique parce qu'on en fait trop qu'une polémique parce qu'on n'en fait pas assez», a répliqué le porte-parole de la majorité (UMP), Frédéric Lefebvre. «Qu'est-ce qu'on aurait dit si l'épidémie avait été grave, qu'est-ce qu'on aurait dit si les gens avaient risqué leur peau?», a ajouté le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner.
«À notre époque, la panique est très facile à organiser, dit Gentilini. Je peux vous en déclencher une en moins de deux. On peut très bien mobiliser des gens raisonnables en agitant quelques morts dans la presse. Mais à qui fera-t-on croire qu'on trouvera autant d'argent pour les 217 personnes qui meurent chaque année d'une surdose en France, les 5000 qui meurent d'hépatite B ou C et les 40 000 arrêts cardiaques qui se produisent hors des hôpitaux? Sans compter les 500 000 personnes qui sont mortes du paludisme en Afrique depuis six mois.»
Hier, Gentilini se demandait à quoi pourraient servir les vaccins qui seront revendus à l'étranger. «D'abord, il y a une date de péremption, dit-il. Ensuite, dans quelques mois, le virus aura muté.»
En apprenant que plus de 55 % des Québécois s'étaient rués sur les centres de vaccination et que le gouvernement avait acheté des pages entières de publicité dans les journaux, le Dr Gentilini a eu cette réaction: «Dites-leur que c'est un peu exagéré!»
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Correspondant du Devoir à Paris


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