Cette question est plus sérieuse qu'il n'y paraît, et la réponse qui lui sera donnée déterminera en bonne partie l'avenir de la Francophonie.
Nous voilà enfin sortis de la saga de TV5 Monde qui, pendant six mois, a empoisonné les relations entre la France et le Québec ainsi que la préparation du XIIe Sommet de la Francophonie qui se tiendra à Québec en octobre prochain. Quel temps perdu dans une crise qui laissera sûrement des traces dans les esprits, compte tenu du comportement de certains des acteurs français dans le dossier.
Une crise provoquée par la France qui a tout bonnement «oublié» qu'elle avait des partenaires en Francophonie, y compris dans TV5 Monde, et qu'elle ne pouvait par conséquent agir seule, unilatéralement, à sa guise. Une crise qui aurait facilement pu être évitée, car tous, dès le départ, avaient accepté la vision de l'avenir de TV5 Monde présentée par le gouvernement français: amélioration du contenu, accent mis sur Internet et les nouveaux médias, augmentation et nécessaire rééquilibrage du budget assumé jusqu'ici à plus de 80 % par la France.
C'est sur la question de la gouvernance que tout a achoppé, la France voulant «filialiser» TV5 Monde à l'intérieur de son nouveau holding regroupant Radio France internationale et France 24 (le CNN français), avec en tête l'idée bien arrêtée de se saisir des réseaux de distribution de TV5 Monde, patiemment tissés depuis 20 ans et couvrant, comme peu d'autres, l'ensemble de la planète.
Avec le résultat que France 24 avait déjà commencé à être diffusé en lieu et place de TV5 Monde. Et même -- c'est un comble! -- en anglais, comme on a pu le constater, par exemple en Roumanie. La semaine dernière, après des épisodes dignes d'un vaudeville -- portes claquées, réunions interrompues, «amabilités» échangées --, la France s'est rendue à l'évidence, grâce à la fermeté, en particulier, de la Communauté française de Belgique et de la Suisse qui ont menacé de quitter le bateau: TV5 Monde, une chaîne multilatérale, ne sera pas considérée comme une chaîne franco-française. Elle conservera son autonomie et, espérons-le, ses réseaux de distribution.
La confusion a atteint un sommet lorsque le président de la République a affirmé, le jour même de la fête de la Francophonie, le 20 mars dernier, en évoquant notamment le rôle de TV5 Monde: «Je veux renforcer les moyens de diffusion de la culture française dans le monde.» Cette phrase en dit long: pour beaucoup de Français, et notamment pour le premier d'entre eux, la Francophonie c'est la France; la langue française c'est la France.
Or c'est exactement ce que dénonçait, il y a un an, un collectif d'une quarantaine d'écrivains, dont Jacques Godbout, Dany Laferrière et Wajdi Mouawad dans un Manifeste qui avait fait grand bruit. Pour ces auteurs, la littérature française est un élément, ni plus ni moins, de la littérature francophone, et les lettres francophones ne sont pas une simple dépendance de la littérature française.
De plus, selon eux, la langue française doit être «libérée de son pacte exclusif avec la nation» sous-entendue «française», car elle appartient à tous les francophones, c'est-à-dire à tous ceux qui parlent le français. Alain Mabanckou, écrivain renommé, Congolais d'origine (Congo-Brazzaville), professeur à UCLA (Los Angeles), principal auteur du Manifeste, souhaitait même, compte tenu de sa connotation péjorative pour beaucoup d'Africains parce que teintée de post-colonialisme, abolir le terme de Francophonie, celui-ci ayant vécu, et utiliser celui de «littérature-monde en français» plus près, disait-il, de la réalité.
Comme d'autres, je crois qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Mieux vaut réformer la Francophonie plutôt que l'abolir, la soutenir en l'interpellant constamment plutôt que la faire disparaître sans prévoir par quoi la remplacer. Aujourd'hui, au moment où, comme le répètent à satiété les autorités françaises, «les caisses de l'État sont vides», les Français comprendront sans doute plus facilement qu'il est dans leur intérêt d'accepter que la Francophonie soit polycentrée -- qu'il y ait plus d'un centre -- avec en contrepartie, cependant, pour les autres membres de la Francophonie, l'obligation d'assumer leur part du fardeau budgétaire, chacun selon ses moyens.
Les Français deviendront, par la force des choses, des francophones comme les autres... Nous irons ainsi unis mener ce grand combat moderne qui est celui de la diversité linguistique et culturelle, aussi important et aussi pertinent que celui de la biodiversité ou des changements climatiques. Les autres aires linguistiques sont à pied d'oeuvre: les hispanophones, les lusophones, les anglophones, les germanophones, et maintenant les Chinois, qui ont tous compris que leur avenir dans la tempête mondialisante dépend aussi de l'avenir de leur langue et de leur culture.
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Louise Beaudoin est membre associée au CERIUM, chargée des questions de francophonie internationale et professeure invitée au Département des littératures de langue française de l'Université de Montréal.
Les Français sont-ils des francophones comme les autres?
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Louise Beaudoin52 articles
Ancienne ministre de la Culture et des Relations internationales, Parti québécois
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