Le 20 novembre 2019, le directeur général de Développement et Paix, Serge Langlois, avertissait Marie Ange Noël, coordonnatrice de Fanm Deside (Femmes décidées), de Jacmel en Haïti, que la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) « n’était pas satisfaite de la réponse de l’organisme concernant sa position sur l’avortement ». M. Langlois transmettait donc à la coordonnatrice de Fanm Deside une question quasi inquisitoriale : « La CECC, faisant référence à votre lettre dirigée à Gilio Brunelli, vous demande de répondre par “oui” ou par “non” à la question suivante : Pour éviter toute confusion quand vous dites dans votre lettre du 23 mars 2018 que : “Fanm Deside n’a jamais soutenu ou encouragé les pratiques visant l’avortement”, est-ce que cela signifie que vous n’appuyez pas la légalisation de l’avortement en Haïti ? »
Pour la CECC, ne pas appuyer l’avortement ni l’encourager dans les faits n’est pas suffisant. Il faudrait aussi prendre à l’avance position contre la légalisation de l’avortement en Haïti, au cas où l’État haïtien venait un jour à imiter le Canada et le Québec en cette matière. Question purement hypothétique, car, comme le souligne Mme Noël dans sa réponse du 27 novembre dernier : « La légalisation de l’avortement ne figure pas à l’agenda du gouvernement et du Parlement haïtiens. »
Pourtant, la poursuite de l’aide financière pour ce partenaire est conditionnelle à la déclaration contre « la légalisation de l’avortement en Haïti », qu’ils réclament sous la forme d’une injonction, un an et demi après une réponse pourtant très claire. De plus, dans la correspondance de Fanm Deside à la CECC, sont incluses les recommandations positives de deux évêques haïtiens, le président de la Conférence épiscopale d’Haïti monseigneur Launay Saturné, et l’évêque de Jacmel, monseigneur Marie Eric Glandas Toussaint, qui saluent l’action de Fanm Deside et le travail de sa coordonnatrice. L’opinion de ces deux personnalités du terrain a donc été balayée du revers de la main.
Il s’agit d’une déclaration exigée arbitrairement d’une organisation de femmes engagées aux côtés de femmes et de filles de Jacmel victimes de violence et de viol ; une organisation de femmes décidées à accompagner, à soutenir, à aider ces « petits-petites » de l’Évangile, malmenées par la vie, à revivre la sororité et l’amour, à retrouver leur dignité de femmes. Femmes décidées également à contrer le « patriarcalisme » et le machisme dominants dans la société haïtienne. On ne peut pas comprendre le véritable motif de cet acharnement contre une organisation de femmes qui se tient debout aux côtés de femmes opprimées qu’elle aide à marcher à nouveau la tête haute. N’est-ce pas là également la mission première de Développement et Paix ?
Il faut aussi souligner que cette question est devenue depuis des années, dans tout le continent américain, un sujet de division (« a wedge issue »), utilisé pour segmenter des communautés, les fragmenter en « eux » et « nous ». Érigée en principe suprême, elle agit comme un véritable cheval de Troie pour des mouvements racistes et néocoloniaux.
Il est bon que plusieurs voix au sein même de l’Église, comme notamment les Soeurs du Bon Conseil de Montréal (qui ont été à la base de la création de l’organisme), les Jésuites du Canada, la Collective féministe et chrétienne l’Autre parole, l’Association des religieuses pour les droits des femmes, se soient élevées contre cette situation regrettable afin que les correctifs nécessaires soient apportés dans les meilleurs délais.
La CECC devrait mettre fin à cette enquête malsaine et poursuivre le soutien financier de ce partenaire méritoire dans un contexte de pays en crise.