La politique a cette temporalité élastique à part qui fait qu’une demi-année peut parfois donner l’impression d’en avoir duré douze.
Six mois après avoir été installé à la tête du Parti québécois par 57,6 % des militants de la formation politique souverainiste, dépassant ainsi par la droite Alexandre Cloutier, Pierre Karl Péladeau donne depuis quelques semaines l’impression d’une étoile montante au lustre qui commence un peu à pâlir.
Dans ces pages, en novembre dernier, un titre résumait le malaise : « Les contre-performances de Péladeau inquiètent son entourage ». Sous la plume du collègue Marco Bélair- Cirino, on y apprenait que l’étrange ouverture, puis immédiate fermeture, du chef sur une éventuelle partition du territoire du Québec a soulevé l’ire de plusieurs têtes pensantes du parti. La gaffe a été formulée lors du conseil national du PQ tenu à Sherbrooke pour commenter un plaidoyer pour l’indépendance de la nation innue lancé plus tôt dans la journée par Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nation du Québec et du Labrador.
Sur Facebook, l’ex-conseiller et rédacteur des discours de Pauline Marois, Claude Villeneuve, n’a pas hésité à qualifier l’homme d’« inculte de la politique », l’invitant même à céder sa place à un ou une autre : « Sérieux, […] je ne suis pas le seul à penser que ce gars-là devrait retourner s’occuper de ce qu’il connaît pour vrai. »
Tirs amis ? Couteaux volant bas ? Les tensions semblent également vives au sein du caucus péquiste, où la redistribution des responsabilités par le chef n’a pas fait que des heureux dans les derniers mois. La démission de l’ex-leader parlementaire, Stéphane Bédard, cet automne, remplacé par Bernard Drainville, a donné le ton d’un certain mécontentement. « C’est normal qu’il y ait des changements à l’intérieur d’une organisation », a commenté M. Péladeau. Il y a un nouveau chef et il y a une nouvelle organisation. Or « les changements sont toujours accompagnés, effectivement, pas nécessairement de tensions, mais d’interrogations. C’est à nous de faire en sorte de bien expliquer en quoi ça consiste et c’est ce sur quoi nous allons continuer de travailler. »
Les polarités d’un politicien
De sauveur sanctifié à leader malmené ? De renouveau espéré à échec annoncé ? L’ascension du personnage semble trouver une fois de plus son carburant dans une certaine polarité, dans les doubles « je » qui façonnent cette personnalité multiple et complexe que Jean-François Lisée, député, ex-conseiller au sein de la machine souverainiste et candidat de courte durée dans la course à la succession de Mme Marois, a une nouvelle fois qualifiée de « bombe à retardement » en octobre dernier, au micro de Paul Arcand. Il était question de la double casquette de Pierre Karl Péladeau, chef d’un parti politique et simultanément actionnaire de contrôle de l’empire médiatique Québecor, une configuration de pouvoir qualifiée de « situation exceptionnelle » par le commissaire à l’éthique, qui, en mai dernier, invitait d’ailleurs les députés à se pencher sur la question pour éviter les conflits d’intérêts et les risques d’impartialité liés à la chose.
En septembre, le chef de l’opposition a d’ailleurs tenté de couper court aux critiques et insinuations en mettant son bloc de contrôle du conglomérat Québecor entre les mains d’une société mandataire, baptisée Société Placement St-Jérôme Inc. L’ex-monsieur Mouvement Desjardins, Claude Béland, est un des trois administrateurs, avec André P. Brosseau, président de Marchés des Capitaux avenue BNB, et James A. Woods, avocat au Cabinet Woods. Le mandat accordé est sans droit de regard, mais également sans possibilité pour le mandataire de vendre les actions sans l’accord de M. Péladeau, comme cela aurait été le cas dans une fiducie sans droit de regard. Et il n’en fallait pas plus pour éveiller les soupçons « d’écran de fumée » et d’« artifice » chez les élus des autres formations politiques.
Artifices et contradictions
« L’initiative de M. Péladeau confirme nos craintes, a résumé le cabinet du premier ministre dans nos pages. Plutôt qu’une réelle fiducie sans droit de regard et totalement protégée des risques d’ingérence, M. Péladeau s’est créé un artifice. [...] » Parallèlement, le chef du PQ indique avoir signé une « déclaration sur l’honneur » à l’attention du commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale, dans laquelle il s’engage à ne pas intervenir, « tout comme je ne l’ai jamais fait, a-t-il précisé sur son compte Facebook, dans les choix éditoriaux effectués par les directions de l’information des différents médias qui sont la propriété de Québecor. » Une distance à l’effet protecteur validé d’ailleurs, le 17 décembre, par le Centre d’études sur les médias (CEM), qui a décidé de ne qualifier de problématique les deux chapeaux portés par Péladeau.
Deux chapeaux : cette double accessoirisation semble également permettre le décryptage des idéologies complexes du nouveau chef du PQ, débarquant dans un mouvement politique habité en partie — mais pas uniquement — par des sociaux-démocrates, par une gauche pas toujours dogmatique et souvent pragmatique, que M. Péladeau, et son passé au sein d’un Québec Inc. oscillant entre le centre et la droite, n’arrive pas toujours à incarner. Alors qu’il était le grand patron de Québecor, l’homme avait vertement dénoncé la formule Rand, qui encadre la cotisation obligatoire des syndiqués au Québec, donnant par le fait même des trésors de guerre importants aux syndicats avec lesquels il a eu maille à partir dans cette autre vie. Depuis, il a changé son fusil d’épaule, considérant que la reforme du code du travail n’est pas une priorité. Son opposition au programme d’austérité des libéraux semble en être une de principe et de façade, selon plusieurs observateurs, qui ont souligné l’absence de contre-proposition formulée par M. Péladeau qui, dans les doubles « je » qui l’animent, cherche à ne pas trop s’aliéner d’éventuels appuis.
C’est que la politique est aussi une question d’alliances. M. Péladeau pourrait chercher, dit-on, à en orchestrer avec la CAQ, et même Québec solidaire, afin de constituer un nouveau bloc, et unir les intentions souverainistes ou nationalistes, contre les libéraux, en prévision des élections de 2018, soit dans plus de deux ans, ce qui, dans ce milieu, à la temporalité élastique, représente déjà une éternité.
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