Avec des décennies de retard, les Nations Unies ont finalement publié des archives de la commission sur les crimes de guerre qui enquêtait sur l’holocauste nazi de la Deuxième Guerre mondiale. Les sources de ces archives sur les crimes nazis étaient des gouvernements occidentaux, y compris des gouvernements en exil pendant la guerre, comme le gouvernement belge, polonais ou tchécoslovaque. La période couverte va de 1943 à 1949. Washington et Londres tentaient d’en empêcher la publication depuis longtemps. Pourquoi ?
A noter : la publication décisive de ces dossiers, le mois dernier, n’a reçu que très peu d’attention de la part des médias occidentaux, peut-être parce que l’histoire qui peut émerger des documents raconte une version cachée de la Deuxième Guerre mondiale, celle d’une collusion systématique entre les gouvernements américain et britannique et le Troisième Reich nazi.
Comme l’a remarqué un rapport du Deutsche Welle sur les archives publiées, « les dossiers prouvent qu’avant la fin de la guerre, les Alliés [occidentaux] en savaient plus sur les camps de concentration nazis qu’on ne le pensait. »
Cette révélation se réfère à bien pire qu’une simple « connaissance » des crimes nazis par les Alliés occidentaux, elle indique une collusion. Cela explique aussi pourquoi Washington et Londres ont été si réticents à publier les dossiers des crimes de guerre de l’ONU.
Il y a longtemps eu une controverse entre pays occidentaux sur les raisons pour lesquelles les USA, et le Royaume-Uni en particulier, n’ont pas bombardé les infrastructures nazies des camps de concentration ou les voies ferrées qui y menaient. Washington et Londres ont expliqué qu’ils n’avaient pas eu connaissance de l’étendue de l’horreur perpétrée par les nazis avant la toute fin de la guerre, quand des camps comme Auschwitz et Treblinka ont été libérés – par l’Armée rouge soviétique, doit-on également noter.
Malgré tout, ce que démontrent les dernières publications des dossiers de l’ONU sur l’holocauste est que Washington et Londres étaient bien conscients de la « solution finale » des nazis, dans laquelle des millions de juifs d’Europe et de personnes slaves étaient systématiquement exterminées dans des chambres à gaz ou devaient travailler à mort. La question demeure donc : pourquoi les USA et les Britanniques n’ont pas dirigé davantage de leurs bombardements contre des infrastructures nazies ?
Une réponse possible est que ces alliés occidentaux n’avaient aucune considération envers les victimes du nazisme. Les décideurs de Washington et Londres ont eux-mêmes été accusés d’entretenir des sentiments antisémites, comme on avait pu le constater quand ces deux gouvernements avaient refusé des milliers de réfugiés juifs pendant la Deuxième Guerre mondiale, avec pour effet d’envoyer nombre d’entre eux à la mort sous le régime nazi.
Sans exclure le facteur cité ci-dessus, l’insouciance raciste des Occidentaux, il y a un deuxième facteur bien plus troublant : les gouvernements d’Occident, au moins certaines factions puissantes, refusaient d’entraver l’effort de guerre nazi contre l’Union Soviétique. Et cela, bien que l’Union Soviétique ait été nominalement une « alliée » de l’Occident dans la guerre contre l’Allemagne nazie.
Cette perspective suggère une conception de la Deuxième Guerre mondiale radicalement différente de celles que proposent les versions officielles occidentales. Dans ce compte-rendu historique alternatif, la montée du Troisième Reich a été délibérément encouragée par les leaders américains et britanniques comme rempart contre l’expansion du communisme. L’antisémitisme enragé d’Adolf Hitler n’était égalé que par sa haine du marxisme et des peuples slaves de l’Union Soviétique. Dans l’idéologie nazie, c’était tous des «Untermenschen» (des « sous-hommes ») à exterminer dans une « solution finale ».
Ainsi, quand l’Allemagne nazie était en train d’attaquer l’Union Soviétique et de mener à terme sa « solution finale », de juin 1941 jusqu’à fin 44, il n’est pas étonnant que les USA et la Grande-Bretagne ait démontré une aussi curieuse répugnance à l’idée d’engager leurs forces militaires sur un front ouest. Les Alliés occidentaux étaient de toute évidence satisfaits de voir la machine de guerre nazie faire ce qu’elle avait été conçue pour faire : détruire le premier ennemi du capitalisme occidental, l’Union Soviétique. Cela ne signifie pas que tous les leaders politiques américains et britanniques aient partagé, ou aient même été conscients de cette vision stratégique tacite. Des leaders comme le président Franklin Roosevelt et le Premier ministre Winston Churchill semblent avoir été sincèrement engagés contre l’Allemagne nazie. [1] Malgré tout, leurs opinions individuelles doivent être vues dans le contexte d’une collusion systématique entre des puissances d’argent occidentales et l’Allemagne nazie.
Comme l’a documenté l’auteur américain David Talbot dans son livre The Devil’s Chessboard: Allen Dulles, the CIA and the Rise of America’s Secret Government (2015), il y avait des liens financiers très étendus entre Wall Street et le Troisième Reich, qui avaient débuté plusieurs années avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. [2]
Allen Dulles, qui avait travaillé pour la firme de Wall Street Sullivan and Cromwell avant de prendre la tête de la CIA, était un des acteurs-clés de ces liens entre le capital américain et l’industrie de guerre allemande. Des géants de l’industrie américaine comme Ford, GM, ITT et Du Pont étaient lourdement investies dans leurs homologues de l’industrie allemande, comme IG Farben (producteur du Zyklon B, le gaz utilisé dans l’holocauste), Krupp et Daimler. Le capital américain, aussi bien que britannique, avait ainsi été intégré à la machine de guerre nazie.
Cela expliquerait pourquoi les Alliés occidentaux ont fait aussi peu d’efforts pour détruire les infrastructures nazies, malgré leurs formidables capacités de bombardement. Bien pire qu’une simple inertie ou qu’une indifférence causée par des préjugés racialistes à l’encontre des victimes des nazis, ce qui émerge est que l’élite capitaliste américaine et britannique étaient investie dans le Troisième Reich, surtout dans le but d’éliminer l’Union Soviétique et n’importe quel mouvement authentiquement socialiste. Bombarder les infrastructures nazies aurait été assimilé à une destruction de biens occidentaux.
A cette fin, alors que la guerre approchait de son terme et que l’Union Soviétique semblait proche de remporter la victoire contre le Troisième Reich à elle toute seule, les Américains et les Britanniques se sont décidés à intensifier leur effort de guerre à l’Ouest et au Sud de l’Europe. Le but était de préserver les biens occidentaux qui restaient entre les mains du régime nazi. Allen Dulles, le futur directeur de la CIA (qui allait se former un peu plus tard, en 1947), avait protégé des officiels nazis de haut rang, avec leur or pillé en Europe, dans le cadre d’accords secrets connus sous le nom d’Operation Sunrise. Le service de renseignements militaires britannique, le MI6, faisait également partie du réseau clandestin organisé par les Américains pour sauver des biens nazis. La mauvaise foi exhibée par les « alliés » des Soviétiques annonçait la Guerre froide qui a immédiatement suivi la Deuxième Guerre mondiale. [3]
Un témoignage significatif et accablant de ce qui se passait a été récemment donné dans une interview à la BBC accordée par Ben Ferencz, le doyen des procureurs américains survivants des Procès de Nuremberg. A 98 ans, Ferencz était encore capable de se rappeler très clairement comment de nombreux criminels de guerre nazis avaient été tirés d’affaire par les autorités américaines et britanniques. Ferencz a cité le général américain George Patton, qui avait remarqué, juste avant la capitulation allemande de mai 1945, « nous nous battons contre le mauvais ennemi ». L’aveu franc d’une animosité pire contre l’Union Soviétique que contre l’Allemagne nazie par Patton s’inscrivait logiquement dans l’entente des classes dirigeantes américaines et britanniques avec le Troisième Reich d’Hitler. C’était une guerre géostratégique contre l’Union Soviétique et les mouvements ouvriers socialistes qui montaient en Europe et en Amérique.
En d’autres termes, la Guerre froide dans laquelle les USA et la Grande-Bretagne se sont embarqués après 1945 a représenté la continuation d’une politique hostile envers Moscou qui était déjà bien en place avant 1939 et la Deuxième Guerre mondiale. Pour diverses raisons, il était ensuite devenu plus efficace de liquider la machine de guerre nazie avec l’Union Soviétique. [4] Mais, comme on peut le voir, les ressources occidentales de la machine de guerre nazie ont été recyclées dans la Guerre froide américaine et britannique contre l’Union Soviétique. C’est un héritage accablant : les services de renseignements militaires des Américains et de Britanniques ont été financés et consolidés par des crimes nazis.
La publication récente des dossiers de l’ONU sur l’holocauste – malgré les obstructions des Américains et des Britanniques – ajoute encore plus de preuves à l’analyse historique selon laquelle ces puissances occidentales étaient profondément complices des crimes monumentaux du Troisième Reich. Ils savaient tout sur ces crimes parce qu’ils avaient aidé à les perpétrer. Et la complicité prenait sa source dans l’hostilité occidentale envers la Russie perçue comme un adversaire géopolitique.
Ceci n’est pas seulement un exercice historique pour universitaires. La complicité des Occidentaux avec l’Allemagne nazie trouve également son corollaire dans l’hostilité permanente actuelle de Washington, de la Grande-Bretagne et de leurs alliés de l’OTAN envers Moscou. La constante accumulation de forces armées de l’OTAN aux frontières de la Russie, la russophobie perpétuelle de la propagande des médias occidentaux, le blocus économique imposé sous la forme de sanctions fondées sur des accusations douteuses, sont tous profondément enracinés dans l’histoire.
La Guerre froide occidentale contre Moscou a précédé la Deuxième Guerre mondiale, [5] perduré après la défaite de l’Allemagne nazie et persiste à ce jour, même si l’URSS n’existe plus. Pourquoi ? Parce que la Russie est perçue comme rivale de l’hégémonie capitaliste anglo-américaine, tout comme la Chine ou toute autre puissance émergente qui menacerait l’hégémonie unipolaire souhaitée.
La collusion américano-britannique avec l’Allemagne nazie trouve sa manifestation actuelle dans la collusion de l’OTAN avec le régime néo-nazi d’Ukraine et les groupes terroristes djihadistes déployés dans des guerres par procuration contre des intérêts russes, en Syrie ou ailleurs. Les acteurs peuvent changer selon les époques, mais la pathologie de base est le capitalisme anglo-américain et son addiction à l’hégémonie.
La Guerre froide perpétuelle finira seulement quand le capitalisme anglo-américain sera finalement vaincu et remplacé par un système plus authentiquement démocratique.
Traduction Entelekheia
Notes de la traduction :
[1] Ce n’est pas l’avis de l’historien Jacques R. Pauwels. Dans son indispensable ouvrage Le Mythe de la bonne guerre, il expose longuement la façon dont les idées et initiatives de Churchill, et dans une moindre mesure de Roosevelt, visaient à soutenir – parfois même explicitement – l’Allemagne nazie contre l’Union Soviétique, dont il souhaitait très clairement la destruction (et un épuisement de l’armée allemande suffisant pour lui garantir une victoire facile quand il choisirait d’envoyer ses troupes contre elle, après l’effondrement soviétique qu’il espérait).
[2] Plusieurs livres traitent de la question. En français, nous avons Big Business avec Hitler de Jacques R. Pauwels et Wall Street et l’ascension de Hitler, d’Antony C. Sutton.
[3] Voir ‘Juste après la Seconde Guerre mondiale, les Anglo-américains ont planifié des frappes nucléaires de masse contre l’URSS’
http://www.entelekheia.fr/apres-seconde-guerre-mondiale-anglo-americains-ont-planifie-frappes-nucleaires-de-masse-contre-lurss/
[4] Selon Le Mythe de la bonne guerre, les Américains et les Britanniques s’étaient tardivement décidés à ouvrir un front occidental en Normandie uniquement parce que l’Armée rouge avançait si vite vers l’ouest, à ce moment de la guerre, qu’elle menaçait de prendre non plus seulement Berlin, mais toute l’Europe. De ce fait, le débarquement de Normandie aurait été décidé non pas réellement contre Hitler, mais pour contrer Staline et « sauver les meubles ».
[5] Les investissements américains dans la machine de guerre allemande ont commencé à affluer dès la fin de la Première Guerre mondiale – avant même l’arrivée d’Adolf Hitler sur l’arène politique.
Voir par exemple, ‘Comment le grand-père de Bush a aidé Hitler à accéder au pouvoir’, le Guardian
https://www.theguardian.com/world/2004/sep/25/usa.secondworldwar
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