Une autre lectrice m’écrit, de France encore une fois, pour me faire savoir qu’elle a bien lu avec
intérêt mon dernier texte sur la véritable nature des scandales financiers américains, mais
malheureusement sans avoir, comme je l’avais pourtant promis, cerné les causes fondamentales
de ceux-ci. La dame est beaucoup fâchée contre moi et m’a même dit que j’étais un allumeur et
que j’aurais intérêt à arrêter mes "sparrages" et livrer la marchandise. C’est ce que je vais faire
dans ce texte, promis, juré, craché. Mais que voulez-vous madame, je suis comme ça dans tout,
j’aime faire durer le plaisir. J’ai horreur des p’tites vites, quitte à passer pour un homme rose
intégralement démodé. Mon romantisme et mon sentimentalisme innés (je retiens ça de ma
mère) m’interdisent d’être macho, ce que pourtant les femmes préfèrent. Oups, j’allais oublier de
vous donner le nom de ma correspondante. Elle s’appelle Isabelle Adjani et dit également être
comédienne de son métier. Connais absolument pas cette personne. En passant, madame, ma
mère et moi vous remercient chaleureusement pour votre invitation à aller vous rendre visite tous
frais payés dans votre chaumière à Paris, mais nous nous devons de refuser votre offre au nom de
l’éthique professionnelle. Par contre, Igor, le thérapeute attitré de mon thérapeute Fred est
vivement intéressé par votre offre. Il me demande de vous dire que quoiqu’il soit marié, ça va
plutôt très mal dans son couple.
La première cause intrinsèque de ces scandales financiers qui ont fait perdre des milliers de
milliards de dollars au monde ordinaire (travailleurs et petits investisseurs) et gagner des milliers
de millions au monde extraordinaire (dirigeants véreux) est directement lié à la poursuite effrénée
de l’État minimal et à une de ses nombreuses séquelles soit celle de la déréglementation à tout
crin. Vous le savez bien, les affairistes exigent inlassablement, au nom des lois du marché, de tout
déréglementer que ce soit l’environnement, les syndicats, la protection du consommateur,
l’investissement, etc. Ils nous entonnent qu’un marché, libéré de l’État et de ses lois et
règlements irritants et sclérosants, va créer un ordre non seulement spontané mais également
optimal. Ils ne sont toutefois pas contre les lois qui font leur affaire, comme celles qui protègent la
propriété intellectuelle des multinationales pharmaceutiques et celles qui donnent préséance au
droit de produire et de contracter sans aucune restriction. Dans ces cas, ils tiennent mordicus à
des lois coulées dans le béton.
Eh bien, dans le cas précis des scandales financiers, plusieurs entreprises voleuses ou complices
sont issues de secteurs récemment déréglementés comme ceux de l’énergie (Enron) et des
communications (WorldCom et Adelphia) ou décloisonnés comme ceux des banques qui en ont
profité pour acheter des maisons d’investissement, des compagnies d’assurance et des courtiers
qui recommandaient d’acheter les titres alors qu’ils en étaient les principaux créanciers. Ce sont
elles aussi, les institutions financières, qui ont échafaudé les montages financiers illégaux, qui ont
structuré l’évasion fiscale de millions de dollars dans les paradis fiscaux et dans la poche des
dirigeants et qui ont été partie prenante au blanchiment d’argent. Il faut bien se le dire, des
scandales financiers d’une telle amplitude n’auraient jamais été possible sans l’aimable concours
des banques et de leurs firmes d’investissement. Je m’en voudrais de passer sous silence l’appui
indéfectible que ces dirigeants cupides ont reçu de leurs fidèles bureaux de comptables et
d’avocats.
Aux dires même des faces à claque du patronat et de leurs meneuses de claque, les lois et
règlements qui protègent l’environnement et les travailleurs représentent non seulement des
entraves au marché mais sont tout à fait inutiles puisqu’il est dit dans la bible capitaliste que le
marché s’auto-régule et d’auto-discipline. Mes amis, la cause première de ces scandales financiers
fut l’absence de l’État. Et dire que le patronat, suite à cette débâcle financière, demande encore
plus et encore plus fort toujours moins de règlements. Y’a absolument rien à faire avec ces
opportunistes qui ne pensent qu’à leur propre enrichissement personnel et qui se crissent
royalement du monde ordinaire incluant bien évidemment la classe dite moyenne. Le coût de
l’absence de l’État s’est élevé ici à des pertes monétaires qui se chiffrent en milliers de milliards
de dollars pour le fretin économique et en des gains de milliers de milliards de dollars pour le
gratin économique. Voilà bien la véritable face cachée de l’État-minimal que les privilégiés de la
société favorisent parce que cela leur sied bien au détriment de la majorité. Oubliez surtout pas ça
dans vos prières et dans vos pèlerinages.
La deuxième cause des dits scandales financiers est aussi liée directement au néolibéralisme
ambiant qui fait tant orgasmer tous les p’tits Mario Dumont et Jean Charest de ce monde, soit la
mondialisation. Les multinationales impérialistes de pair avec leurs politiciens des pays
occidentaux colonisateurs ont enchaîné la planète avec leurs organismes, comme l’Organisation
mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale et
ont imposé des marchés de dupes à tout le monde en éliminant les barrières tarifaires, en
accordant tous les droits aux investisseurs étrangers de l’occident, en libéralisant les services
publics devenus simple marchandise (eau, énergie, éducation, santé, culture, etc), en accordant le
statut premier au droit de produire, même au mépris de la dignité humaine et de l’environnement,
en prêtant aux seuls pays qui privatisent tous leurs instruments collectifs, etc.
Ça fait que les multinationales occidentales comme WorldCom, Enron et Vivendi ont acheté
n’importe quoi, à n’importe quel prix et n’importe où afin de conquérir le monde. Par exemple,
Enron était déjà en lice afin de s’approprier une partie importante de Hydro Ontario que le sieur
Mike Harris voulait absolument céder à ses petits amis affairistes avant d’abandonner son poste
de premier ministre de l’Ontario. Mais, alors que Hydro-Ontario était encore une société d’État,
ses dirigeants aigrefins nommés par Harris, sentant la bonne affaire, s’étaient déjà octroyés des
salaires dans les millions de dollars, des primes de séparation titanesques juste au cas où, et bien
évidemment des pensions de retraites dorées, tout ça afin d’ajuster leurs émoluments à la
"concurrence". Par exemple, la présidente de Hydro One, une filiale de Hydro Ontario, s’était
octroyée un salaire de 2.2 millions en 2001 et aurait engrangé un sus, oui en plus, 6 millions$ à
son départ, sans oublier une pension à vie annuelle, oui à vie, de 1 millions$. Selon le président
du conseil d’administration, ces indemnités "étaient justes et raisonnables" (Le Devoir, 5 juin
2002, "Scandales des indemnités"). Et, quant aux bienfaits de la déréglementation de l’électricité
en Ontario, le titre de l’article du 6 juillet 2002 de la journaliste Martyne Couture de La Presse dit
tout: "Une facture salée". Oui, la déréglementation et les privatisations appauvrissent le monde et
enrichissent les petits profiteurs.
Tout de même bizarre que, pour justifier leurs hausses de salaires orgiaques, les dirigeants et les
politiciens disent toujours qu’il doivent le faire au nom de la "concurrence" et, pour imposer leurs
baisses de salaires consenties aux employés ordinaires, comme chez Bell et Vidéotron par
exemple, on prétexte le faire encore une fois au nom de la "concurrence". Hum! Hum! Faudrait
m’expliquer, je ne saisis pas très bien et même pas du tout. Enfin, brader les biens publics en
Ontario, c’était ça la révolution du gros bon sens de Mike Harris. Réduire radicalement le salaire
annuel des employés syndiqués "gras durs" de Vidéotron de 40 000$ à 25 000$, relève tout
également du gros bon sens. Pierre-Karl Péladeau, le p.d.g. de Quebecor, l’a dit: "Si la compagnie
veut survivre et rembourser les intérêts de sa dette, elle doit rationaliser à tout prix". Comme le
ridicule ne tue pas, dans la même semaine, Quebecor a offert des millions de dollars pour se
porter acquéreur des stations de radio CKAC et Radiomédia, elle qui était supposément en
banqueroute quelques heures auparavant. Ils sont bien difficiles à suivre.
Dans mon prochain article, nous verrons les autres éléments qui sont à la base des scandales
financiers. D’ici là, prenez soin de vous!
Vous vous rappelez que dans mon précédent article, je décrivais les ingrédients pour un gâteau à
saveur de scandale financier, à savoir la poursuite effrénée d’un État minimal et la mondialisation.
Voyons maintenant le reste de cette recette à ne pas répéter à la maison.
Le troisième élément à la base des scandales financiers est aussi lié au néolibéralisme et à son
postulat de base qui jure dur comme fer que l’individualisme est préférable à la coopération entre
humains pour créer et répartir équitablement la richesse. Selon cette "loi", la recherche effrénée
de l’intérêt personnel réalise l’intérêt général et le bien commun. Ils nous disent, le plus
sérieusement du monde en nous prenant pour des caves et des sous-sol, que seul l’individualisme
est source de liberté et d’entrepreneurship. Faut donc donner des coudées franches aux affairistes
qui sont régis, ne l’oublions pas, par leur très élevé code d’éthique capitaliste.
Gens de peu de foi, vous voulez encore des preuves de ce monde capitaliste individualiste
égalitaire, et bien en voici quelques-unes: Selon le Globe and Mail de Toronto, qui est loin d’être
dirigé par la ligue communiste révolutionnaire, en 2001, les dirigeants des 100 plus importantes
entreprises canadiennes ont bénéficié d’une incroyable augmentation de 54% de leur traitement.
Et cela, malgré une baisse de 13% de leurs profits et sans même tenir compte de l’effondrement
de Nortel, une affaire de 27 milliards de dollars (La Presse, 28 avril 2002, article intitulé: "Cadres
supérieurs trop bien payés"). En parlant de Nortel, John Roth, le grand crosseur de la firme s’est
octroyé en l’an 2000 un salaire de 150 millions$ au même moment où il congédiait cavalièrement
40 000 travailleurs, aujourd’hui rendu, en septembre 2002, à 61 000 licenciements. En 2001,
Lawrence Ellison, le président de la compagnie américaine Oracle, a empoché, au nom de la
concurrence et de l’équité, un salaire de plus d’un milliard, pas un million mais bien un milliard de
dollars pour ses précieux services (Business Week, 5 avril 2002). Le patronat n’a de cesse de nous
le répéter que cela constitue un salaire juste et raisonnable si l’on veut attirer les plus grands
cerveaux. Enfin, l’ex-PDG de General Electric touchera une modeste pension annuelle de 13
millions$ (La Presse, 3 juin 2002) et Jacques Nasser, l’ancien PDG de Ford, a encaissé 27
millions$ en 2001, même si l’entreprise a essuyé une perte d’environ 8 milliards$ au cours de
l’année précédente et que la valeur de l’action a chuté de 31% entre la fin de 2000 et le 30
octobre 2001 (La Presse, 10 avril 2002).
Pendant ce temps, dans la confection pour dames, où la rémunération varie de 7$ de l’heure à
12.67$ l’heure, les salaires sont gelés depuis 1992 et depuis 1994 pour les hommes. Comme si ce
n’était pas assez, le gouvernement du Québec et les patrons de l’industrie viennent tout juste de
décréter un gel de salaire supplémentaire d’un autre 30 mois (La Presse, 4 décembre 2001). Faut
tout de même pas exagérer, faut que les travailleurs ordinaires en laissent un peu à leurs boss.
C’est ça la solidarité à la sauce de nos petits politicailleux à la Jean Chrétien et Lucien Bouchard. Il
y a bien aussi le conseil national du bien-être social qui, dans sa dernière étude intitulée "Le profil
de la pauvreté" et rendue publique en juillet 2002, affirme que la croissance économique record
des dernières années n’a pas profité également à tous au pays. Selon cet organisme, le taux de
pauvreté au Canada a baissé de 16.9% à 16.2% de 1998 à 1999. S.V.P., soyons positifs une
minute. Premièrement, au cours des 12 dernières années, le Conseil national du bien-être social
reconnaît qu’il y a eu une phénoménale croissance économique. Mais, c’est tout simplement
merveilleux. Énervez-vous pas et calmez-vous le pompon, le partage de la richesse va venir plus
tard. Soyez patients! Le gratin économique va se servir en premier puis, ce sera le tour du fretin
économique, c’est promis. Deuxièmement, en 1999, la pauvreté a reculé au pays de sept dixième
de un pour cent. Vous me direz que c’est pas beaucoup, mais la tendance est tout de même à la
baisse. En l’an 3000, il n’y aura plus un crisse de pauvre au pays et le dit Conseil national du bienêtre
social devra alors se saborder. Parole de Jojo Savard. Enfin, des employés de la firme de
télémarketing Protocol payés 8$ de l’heure, même si ces centres sont largement subventionnés
par l’État, furent récemment congédiés pour avoir eu le culot de demander une augmentation de
salaire. Franchement, ils sont vraiment pas raisonnables (Journal de Montréal, 8 mai 2002, Yvon
Laprade, journaliste).
Quatrièmement et toujours partie-prenante du néolibéralisme triomphant, il y a la faute directe
des universités marchandes qui ont créé de toutes pièces ces fricoteurs de dirigeants en devenant
tout simplement un char allégorique du patronat. Ce sont principalement des professeurs
d’administration, de comptabilité et d’économie qui ont formé ces bandits dotés d’aucune
conscience sociale. Dehors les cours d’éthique, de sociologie, d’histoire et de philosophie dans les
programmes d’administration et de comptabilité. Il faut absolument adapter l’université au
marché.
Par exemple, au Québec, l’Ordre des comptables agrées va jusque qu’à préparer et imposer son
matériel pédagogique dans des cours comme "Privatisation et impartition" et "Planification
fiscale", c’est-à-dire trouver toutes les façons possibles de fourrer l’impôt. Pourquoi pas avoir un
cours "Nationalisation et services publics" et un cours de "politiques fiscales", je vous le demande?
Et dire que des petits professeurs serviles des comptables agréés et du patronat enseignent cette
merde et sont ainsi coupables de former des "zombies", des dangers publics de première classe.
C’est tellement revalorisant et payant d’être affublé du titre de professeur universitaire "Raymond
Chabot Martin Paré" ou "Bombardier" ou d’être nommé titulaire de la Chaire universitaire Molson.
Dire qu’en tant que professeur d’administration à l’université, j’ai moi-même contribué à créer ces
monstres. Je m’écoeure. Dans nos cours, va bientôt falloir avoir des pauses publicitaires aux
quinze minutes, comme la pause Chrysler ou la pause André Bérard de la Banque Nationale. Ça
procurerait des revenus additionnels à l’Université.
Enfin, il y a la responsabilité première de la profession comptable qui ne sont que de vulgaires
porte-queue des affairistes et aussi des médias pour qui les gens d’affaires sont tous des
visionnaires. C’est ce qui arrive quand tous les grand médias écrits et parlés du pays
appartiennent à des multinationales.
Quoi? Certains prétendent que je délire encore une fois en m’en prenant aux douces et
inoffensives multinationales? D’accord, mais je ne suis pas le seul à halluciner puisque selon un
rapport des Nations Unies, du mois de juillet 2002, il est dit que: "l’influence qu’exercent les
grandes entreprises sur les médias et les partis politiques constitue une menace pour la
démocratie". Et puis, on ajoute que "le contrôle des médias par de grandes entreprises menace la
liberté d’expression dans le monde" (Le Devoir, 25 juillet 2002, "L’influence de la grande
entreprise; Une menace contre la démocratie"). J’espère que ça vous en bouche un coin, pis deux
même!
Sur ce, je dois vous quitter, je sens un urgent besoin de parler à ma mère, c’est la seule qui me
comprend. Après, je m’en vais me défouler chez mon thérapeute Fred ou bien chez Pancho et
Igor, de la firme "Pancho and Igor World Therapeutic Services Company Limited", les deux
thérapeutes de mon thérapeute Fred. Ils rêvent de devenir une multinationale de la thérapie. Ils
veulent que je vous dise qu’ils ont des franchises à vendre. Rien à payer avant un an. Sachez que
le territoire du Québec est disponible sauf Pointe-Calumet qui a été réservé à Fred. Vous me
permettez un dernier mot avant de partir? Ces scandales financiers ne son qu’un début. Croyez-moi,
il va en avoir d’autres et des plus gros encore. C’est ça la véritable nature du capitalisme qui
ne profite qu’à une minorité. C’est normal, puisque dans ce modèle économique, l’exploitation y
est érigée en système et la pauvreté y est partie intégrante et est même souhaitée et nécessaire.
Vous l’avez voulu le capitalisme, et sa variante le néolibéralisme, en élisant des valets du patronat
comme politiciens (libéraux, adéquistes et péquistes) et bien, vous l’avez eu et vous l’aurez
encore pour longtemps. Venez pas vous plaindre par après que je ne vous aurai pas averti mes
soeurs et mes frères.
Contes et comptes du prof Lauzon
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