Par Augustin Scalbert | 378 milliards – oui, milliards – de dollars blanchis par une des principales banques américaines, au bénéfice des cartels de la drogue mexicains : une enquête de The Observer vient de lever un gigantesque lièvre, ignoré jusqu'ici des médias français ou américains. L'histoire est encore plus ahurissante quand on constate qu'elle sert de toile de fond au dernier roman de John Le Carré.
Maître incontesté du thriller géopolitique, l'écrivain britannique avait soigneusement découpé un précédent article de The Observer, paru le 13 décembre 2009. Sous le titre « L'argent de la drogue a sauvé les banques pendant la crise mondiale, affirme un conseiller de l'ONU », ce papier livrait les confidences d'Antonio Maria Costa, alors directeur de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
L'équivalent d'un tiers du PIB mexicain blanchi
Costa avançait un chiffre : 352 milliards de dollars d'argent sale, blanchi par des banques (qu'il ne citait pas) : le manque de liquidités lié à la crise financière de 2008 les avait rendues moins sourcilleuses sur l'origine des fonds. Dans son enquête publiée le 3 avril dernier, le journal britannique se fait plus précis : la somme s'élève en fait à 378,4 milliards de dollars. L'équivalent d'un tiers du PIB mexicain !
Cette somme faramineuse d'argent issu du crime et de la drogue ne concerne qu'une seule banque, Wachovia, filiale de Wells Fargo, quatrième groupe bancaire américain.
Tout commence, raconte The Observer, le 10 avril 2006. A l'heure où le soleil se couche, des soldats mexicains perquisitionnent un jet privé qui vient d'atterrir sur l'aéroport de Ciudad del Carmen, une ville portuaire du golfe du Mexique. Il transporte 5,7 tonnes de cocaïne.
Les enquêteurs américains de la DEA et de l'IRS fouillent ensuite pendant près de deux ans, et finissent par décrocher la timbale : propriété du cartel de Sinaloa, le jet privé a été acquis avec de l'argent blanchi par Wachovia.
Un « mépris flagrant » des règles, selon le procureur
Les enquêteurs découvrent que des milliards de dollars sont passés par le même circuit, à partir de 2004. Poursuivie aux Etats-Unis, Wachovia s'en tirera en payant 160 millions de dollars d'amende pour avoir autorisé des transactions liées au trafic de drogue, et pour n'avoir pas contrôlé l'argent ayant financé le transport de 22 tonnes de cocaïne.
« Plus choquant, et plus important », écrit The Observer :
« La banque a été sanctionnée pour n'avoir pas appliqué les règles antiblanchiment en vigueur pour le transfert de 378,4 milliards de dollars […] vers les comptes en dollars de soi-disant “casa de cambios” au Mexique, des bureaux de change de devises avec lesquels la banque était en affaires. »
Wachovia, qui a assuré tous les transferts, n'en a jamais signalé aucun comme suspect. Commentaire du procureur fédéral US Jeffrey Sloman, cité par nos confrères britanniques :
« Le mépris flagrant de Wachovia pour nos lois bancaires a donné une carte blanche [en français dans le texte, ndlr] virtuelle aux cartels internationaux de la cocaïne pour financer leurs opérations. »
Des prêts interbancaires financés par la drogue
Même si seule Wachovia a été sanctionnée, les déclarations d'Antonio Maria Costa laissent penser que certaines banques qui étaient en difficulté au plus fort de la crise, en 2008, ont pu se maintenir uniquement grâce à l'argent de la drogue et du crime organisé :
« Les prêts interbancaires étaient financés par de l'argent issu du commerce de la drogue. Nous avons eu des signes que des banques ont été sauvées de cette manière. »
John Le Carré n'a pas attendu la fin des investigations américaines pour écrire « Un traître à notre goût » : son roman vient de sortir en France. Sa toile de fond ? Des banques menacées de faillite par la crise financière se sont maintenues en blanchissant l'argent de la drogue et du crime organisé.
En chroniquant ce roman, une journaliste littéraire du Monde demande à un économiste si cette thèse est plausible. Le spécialiste répond que cela a pu arriver subrepticement. Mais que, globalement, « cela [lui] semble peu probable, car, depuis le milieu des années 2000, les procédures de compliance [conformité aux règles] sont très fortes, et les banques ont l'obligation de vérifier avec qui elles traînent ».
Mais les banques ne respectent pas toujours leurs obligations. Et la réalité dépasse parfois la fiction.
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