À tête reposée

Les aventures du professeur Ignatieff dans la Belle Province

Course à la chefferie du PLC


Est-ce le printemps ou les effluves enivrants des bourgeons qui portent le candidat libéral au leadership à dire aussi crûment le fond de sa pensée ? Cette semaine, c'était au tour de Michael Ignatieff de prêcher du haut de sa chaire encore tout récemment harvardienne.
La question nationale, nous dit-il, n'est qu'une perte de temps. Selon l'éminent candidat, le Canada et le Québec auraient tout simplement « perdu 30 ans avec cette
querelle ».
Cette « querelle » ne lui a sûrement rien volé de ses propres 30 dernières années, puisqu'il les a passées à l'extérieur du Canada, à l'Université Harvard et en Angleterre...
Tout de même. Soyons beaux joueurs et remercions le professeur Ignatieff de diagnostiquer enfin le contentieux Québec-Canada : ce n'était qu'une vulgaire chicanette qui nous aura fait perdre trente précieuses années pendant lesquelles les Canadiens et les Canadiennes auraient pu, disons, éradiquer la famine et la guerre dans le monde.
En recrutant le savant de Cambridge, le Parti libéral du Canada vient d'accomplir un exploit « fantastique », comme dirait André Boisclair : celui de nous donner un candidat au leadership encore plus méprisant que Stéphane Dion.
Dommage que Sheila Copps ne soit pas disponible. Ils auraient formé un duo formidable.
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Sa Magnificence Ignatieff
_ Eh oui. Cette semaine, Sa Magnificence Ignatieff nous faisait l'infime honneur de visiter la capitale de la « belle province », question de tâter ses chances de recruter de nouveaux supporteurs.
Non seulement l'homme est prétentieux et peu informé de toute chose québécoise, mais il a de plus réussi, lui aussi, à récupérer la controverse Tremblay-Lepage à ses propres fins.
Sur l'option souverainiste, Sa Majesté bostonaise s'exclama : « D'après Michel Tremblay et Robert Lepage, elle se porte assez mal ! J'ai l'impression qu'elle n'a rien à dire aux vrais enjeux de la société québécoise. Au lieu de continuer cette chicane de famille, il faut travailler ensemble à des défis communs d'environnement et de compétitivité. Nous pouvons régler les problèmes beaucoup mieux qu'en passant encore 10 ou 20 ans avec cette querelle désuète. »
S'il en valait la peine, on serait presque tenté de demander au génie comment il entend réconcilier environnement et compétitivité, mais contentons-nous de lui apprendre, en toute humilité, bien entendu, que Michel Tremblay a déclaré mercredi dernier sur RDI : « En fait, je suis séparatiste ».
On aura beau dans l'outre-Outaouais, le présenter comme le nouveau Trudeau et le « cerveau le plus sexy du Canada », le fait est qu'Ignatieff est plutôt le produit de cette idéologie évanescente postmoderne - très à la mode mon cher ! - que l'on nomme dans les hautes sphères du Savoir, le cosmopolitisme.
Le cosmopolite est cet être qui se voit comme étant intellectuellement supérieur, parce que détaché du toute identité nationale et de toute trace nationaliste. C'est un penseur qui se veut transnational, transfrontière, trans-tout.
Le concept de cosmopolitisme n'est évidemment pas nouveau. Il était très prisé au début du dernier siècle dans les cercles d'intellectuels européens traumatisés, avec raison il faut le dire, par de nombreux conflits sanglants entre nations rivales.
Si on éradiquait toute identité nationale, se disaient-ils, on éradiquerait alors le nationalisme que l'on voyait comme source de guerres et de conflits.
Si Ignatieff avait vécu à cette époque, on lui pardonnerait son cosmopolitisme. Mais dans un monde où des nationalismes modernes et civiques, dont celui du Québec, ont également émergé, le pauvre homme semble un peu perdu.
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Du côté de chez Ignatieff
_ Le problème du côté de chez Ignatieff, c'est qu'il a beau dire avoir « révisé » aujourd'hui sa position sur le Québec - comme il l'a fait sur l'Irak, se disant maintenant opposé à l'invasion américaine qu'il avait appuyée en 2003 -, son livre Blood and Belonging, publié en 1993, présente le Québec comme un nid inquiétant de nationalisme ethnique.
Six chapitres abordent - très superficiellement, disons-le - autant de cas de nationalisme ethnique, selon le cerveau ignatieffien : la Croatie & Serbie, l'Allemagne, l'Ukraine, le Kurdistan, l'Irlande du Nord et... le Québec.
C'est d'ailleurs dans l'introduction de ce livre qu'Ignatieff se décrit lui-même comme un cosmopolite à l'« âme postnationaliste ». L'homme est poète, ça se voit.
Son chapitre sur le Québec, sans note de bas de page ni bibliographie universitaire, est un ramassis de clichés que d'aucuns qualifieraient de francophobe. Le grand esprit de Harvard réussit même à placer ce qu'il appelle la « journée nationale » du Québec à la date du 28 juin !
Pour Ignatieff, le nationalisme québécois est purement émotif, et comme tout le monde le sait, on ne peut raisonner des émotions. Si le Québec devenait souverain, écrit-il, les pauvres minorités perdraient la protection de la Cour suprême et seraient soumises au « nationalisme ethnique de la majorité ».
En 1994, ce torchon, sans recherche ni références de surcroît, lequel aurait valu un « E » à n'importe quel étudiant de première année de bac en science politique, s'est vu décerner le prestigieux prix Lionel Gelber pour le meilleur ouvrage canadien de langue anglaise sur les relations internationales, ainsi qu'une bourse de 50 000 $. C'est à décourager le plus brillant des politologues.
La britannique BBC et la canadienne CBC en ont également produit une minisérie de 6 épisodes - dont celui proprement honteux sur le Québec. Le tout fut diffusé au Canada, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Combien de millions de personnes ont ainsi eu droit à la pire désinformation sur le nationalisme québécois ?
La toute dernière image de l'épisode sur le Québec était un
« zoom » sur des visages visiblement inquiets d'enfants anglo-québécois, autochtones et de minorités visibles, accompagnés de la voix du grand Ignatieff lui-même demandant sur un ton tragique : « Si un État protège sa majorité, est-ce que ses minorités seront en sécurité ? ».
Qu'Ignatieff soit de l'école trudeauiste et centralisatrice est son droit. Il est loin d'être le seul. Il est tout aussi libre de défendre un fédéralisme qui ne puisse envisager l'inclusion d'un statut national pour le Québec.
Mais le portrait qu'il a fait du Québec dans son livre couronné d'un des prix littéraires les plus prestigieux du monde occidental soulève des questions troublantes non seulement sur la qualité et l'honnêteté intellectuelle de sa recherche et de son analyse, mais sur les préjugés contre le Québec qu'il y a exprimés et véhiculés consciemment et volontairement.
Après tout, ce livre est paru en 1993. Pas en 1933.


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