L’auteur de ce texte est professeur de microbiologie et maladies infectieuses à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Afin de protéger les personnes les plus à risque de contracter le virus responsable du sida, le VIH-1, le concept de prophylaxie préexposition (PrEP) a vu le jour dans les années 2000.
Le concept est simple : une personne séronégative (non infectée), mais dont la situation personnelle l’expose à un risque élevé d’être prochainement infectée, devrait être traitée avec des antiviraux de façon préventive.
Malgré le succès indiscutable de l’approche PrEP et un niveau de protection avoisinant les 85 % selon une étude canadienne publiée en 2015, son adoption par les autorités en santé publique n’a pas été pas évidente. « Les gens vont mal l’utiliser, et ne seront donc pas protégés », « Cela va donner aux gens une fausse impression de protection, et ils vont prendre plus de risques », entendait-on.
Pourtant, le niveau de protection conféré par la PrEP reste significatif, même lorsque le patient oublie une dose de temps en temps. Pour ce qui est du second argument, l’efficacité des thérapies anti-VIH fait en sorte qu’il est peu probable qu’une augmentation de la prise de risques contrebalancerait l’effet protecteur de la PrEP.
Dans des conditions normales, l’approche PrEP fonctionne donc de façon indiscutable, malgré le risque lié à l’utilisation que l’humain en fait. Et il n’y aurait aucune logique à se priver d’une méthode de prévention qui fonctionne bien, même si une petite partie des gens l’appliquent imparfaitement.
C’est pour cette raison que l’approche PrEP a fini par être adoptée, bien heureusement pour les patients. Elle est maintenant approuvée par l’OMS et dans plusieurs pays dont le Canada. Malgré le succès des traitements antiviraux et de certaines stratégies de prévention, incluant la PrEP, des milliers de personnes continuent pourtant d’être infectées chaque année au Canada.
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Près de 20 ans plus tard, nous voilà plongés dans une autre pandémie ravageuse causée par un virus. Le SRAS-CoV-2, qui cause la COVID-19, a peu de choses en commun avec le VIH-1. Le SRAS-CoV-2 est un virus respiratoire, acquis principalement par inhalation. Le virus peut persister jusqu’à plusieurs jours sur certaines surfaces et l’on peut probablement être infecté lorsque l’on se touche le visage après avoir été en contact avec un objet contaminé.
Cependant, il est de plus en plus évident que les infections sont souvent contractées en inhalant des particules virales aérosolées présentes dans l’air ambiant, et produites par les malades lorsqu’ils toussent, parlent ou même respirent. Ces virus aérosolés s’accumulent dans les espaces fermés et ont probablement un rôle majeur dans les événements de transmission de masse dans des entreprises, des résidences pour personnes âgées, des bateaux de croisière et bien sûr au sein des familles.
Même s’il est évident que le risque de contracter le virus augmente lorsqu’on se rapproche de la personne qui le produit, rien n’indique que le risque est limité à un espace de deux mètres. Si l’on est dans la même salle qu’une personne infectée, on doit se considérer à risque, peu importe la distance qui nous sépare d’elle.
Le message principal de prévention des autorités sanitaires canadiennes, jusqu’à présent, est de promouvoir le lavage des mains, le confinement et la distanciation sociale (> deux mètres). Le port du masque généralisé dans les lieux publics, quant à lui, n’est toujours pas recommandé par les gouvernements provinciaux, même s’il a été récemment suggéré par les autorités fédérales en santé publique.
De même, l’OMS continue à ne pas recommander le port du masque, alors que les experts du CDC américain ont récemment pris position en sa faveur. Le résultat de ces opinions contradictoires est que les masques de protection, qu’ils soient chirurgicaux ou en tissu, sont très peu utilisés au Canada. Ainsi, se rendre dans des grandes surfaces ces jours-ci, c’est observer des foules de clients qui ne portent pas de masques et croient faussement être en sécurité parce qu’ils font des efforts pour se tenir à distance les un des autres.
Que dit la preuve scientifique disponible, exactement, sur le port du masque ? En résumé : il fonctionne très bien pour prévenir la transmission des coronavirus. De simples masques chirurgicaux stoppent la grande majorité du virus SRAS-CoV-2 produit sous forme de gouttelettes et aérosols par des patients COVID-19. De plus, des études rétrospectives démontrent clairement que le port du masque diminuait fortement (70 à 90 %) le risque d’être infecté lors des épidémies de coronavirus SRAS-CoV et MERS-CoV des dernières décennies.
Pourquoi, alors, cette opposition obstinée à l’utilisation généralisée des masques dans les lieux publics ? Les arguments les plus fréquents sont familiers pour les spécialistes du VIH-1. « Les gens seront plus à risque s’ils l’utilisent mal ». « Cela va donner une fausse impression de sécurité ».
Si un masque est souvent réajusté, peut-être que l’utilisateur augmenterait en effet ses chances d’être infecté par les virus portés sur ses mains, et peut-être que cela annulerait le bénéfice procuré par le masque. Mais cela reste très hypothétique. Où sont les données appuyant ces arguments ? Il est impossible, en consultant la littérature médicale, de déterminer quel pourcentage des gens n’utiliseraient pas leur masque correctement, et si cette mauvaise utilisation se traduirait vraiment par une augmentation du risque plutôt qu’une diminution. Ces deux arguments semblent tout aussi spéculatifs pour le masque et la COVID-19 qu’ils l’étaient pour la PrEP et le VIH-1.
On entend aussi l’affirmation que le port d’un masque ne protège pas celui qui le porte. Là encore, sur quelles études, exactement, est basée cette conclusion ? Les études rétrospectives d’épidémies à coronavirus montrent clairement que la personne qui utilise un masque est elle-même protégée. Il y a peu de données disponibles concernant les masques artisanaux en tissu, il est vrai. Le niveau d’efficacité semble moins élevé, mais non nul. Par conséquent, le principe de prudence devrait faire pencher la balance en faveur de leur utilisation plutôt que de l’autre côté.
En résumé, les arguments anti-masque sont contredits par la preuve scientifique probante déjà disponible, en particulier les études réalisées en conditions épidémiques réelles. Ajouter le port du masque généralisé dans les lieux publics aux mesures de confinement, de lavage des mains et de distanciation sociale aurait très probablement résulté en une réduction supplémentaire des transmissions de COVID-19 au Canada.
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