Il n’y a pas que les sociétés occidentales qui essayent de trouver un point d’équilibre entre les lois des dieux et celles des hommes. La science aussi a lutté très fort et continue de se débattre pour sortir des griffes de la religion.
Avant que Descartes ne formule son postulat d’objectivité, qui avait pour but d’ériger un mur entre la science et la religion, les deux domaines se mélangeaient très largement. Il est même permis de penser qu’à une certaine époque, Kepler, Galilée, Newton, Copernic, Pascal et bien d’autres cherchaient aussi, par le biais de la science, à honorer le créateur d’un monde mystérieux qui les fascinait. Ils se disaient des croyants et leurs explorations scientifiques s’inscrivaient en partie dans cette volonté de chanter la grandeur divine. La religion, ou le questionnement humain autour de la transcendance, aurait dans ces temps anciens contribué indirectement à l’avancement des sciences.
Ce principe d’objectivité formulé par Descartes en 1644 était une sorte d’appel à la laïcité dans le monde de la connaissance. Il stipule ainsi qu’il n’y a pas de cause finale ou première et que toute explication surnaturelle doit être écartée totalement de la démarche de celui qui cherche à décrypter les lois de la nature. La science devait, selon Descartes, s’occuper du comment des choses et laisser à la religion le domaine du pourquoi. Entre les deux domaines, le défunt paléontologue américain, Stephen Jay Gould, plaidait pour un non-empiétement des magistères.
Il faut rappeler que deux ans avant que Descartes ne formule sa recommandation, Galilée, en 1642, avait perdu sa liberté pour avoir tenté une subversion semblable et bien avant lui, c’est Giordano Bruno qui avait fini au bûcher en 1600. On raconte que Galilée aurait dit à ses juges que le rôle de la religion n’est pas de dire comment va le ciel, mais plutôt comment aller au ciel.
Si la frontière entre la science et la religion a tenu pendant longtemps, aujourd’hui tout semble nous ramener au point de départ. La religion étend ses tentacules dans la science par le biais des créationnistes et dans les structures étatiques des sociétés multiculturelles grâce aux chartes et autres organismes de défense des droits individuels, qui sont aussi des mannes pour l’intégrisme politique. Quand on pense qu’en 1778, Voltaire prédisait qu’il ne faudrait pas plus d’un siècle pour ne trouver la Bible que chez les antiquaires. Force est de constater qu’aujourd’hui, ces lumières d’un autre siècle qui lui avaient inspiré cette naïve prophétie ont besoin de combustible.
Dans son désir profond de réaffirmer la laïcité de son État jadis quasi sécularisé, le Québec est au Canada ce que Descartes était à son époque. La seule différence, c’est que le philosophe, conscient du risque encouru par sa subversion, tirait ses salves contre l’Église catholique en étant bien installé en Hollande, majoritairement protestante. Il était bien loin des intégristes à la solde du Vatican plus impitoyables avec les hérétiques de son calibre.
Le Québec, lui, essaye de sortir des rangs à l’intérieur du Canada, qui ne veut rien savoir de la véritable laïcité. Se faisant, il est devenu le vilain petit huard de la famille canadienne.
Il écope non pas parce qu’il est un cygne comme dans la vraie légende, mais simplement un canard d’une autre espèce qui n’a pas le même mode de vie que le huard.
À force de se faire critiquer et rabrouer par une certaine élite intellectuelle, politique et médiatique du ROC pour son désir manifeste de laïcité, l’essoufflement semble bien perceptible. Je comprends le mécontentement de toutes ces personnes qui découvrent que ce qui était hier une lutte pour la réaffirmation de la laïcité est aujourd’hui assimilé à une promotion de la xénophobie. Pourtant, loin d’être de l’intolérance, vouloir séparer les lois de Dieu de celles des hommes est un grand signe de sagesse que le temps finit par prouver.
La laïcité n’est pas synonyme de discrimination, mais d’égalité. Elle respecte la liberté de conscience de chacun tout en préservant des zones d’aplanissement des appartenances affranchies des représentations ostensibles et autres étendards des cultes qui abondent dans les sociétés multiculturelles. Quand, pendant une fête d’anniversaire, deux enfants se disputent un jouet, on peut leur proposer un système de partage de la babiole. « Tu joueras pendant quelques minutes et ensuite, ce sera le tour de l’autre. » Quand ce sont 10 enfants qui se disputent le jouet, la meilleure solution envisageable est de leur enlever l’objet de distraction pour ramener l’harmonie. C’est ce que fait la laïcité dans une société multiconfessionnelle.
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