Dans notre système de soins, les patients sont traités en fonction de priorités médicales: les plus malades d'abord. Et c'est très bien ainsi. Nous sommes en effet semblables devant la maladie, la douleur, le deuil, l'angoisse, la mort. Or, nos choix de société influencent largement la capacité des individus à vivre humainement ces expériences dramatiques. Nous ne voulons pas qu'un jour plus ou moins lointain, le prochain patient à soigner soit choisi selon sa capacité de payer et non la gravité de sa condition. L'accès équitable aux meilleurs soins possible doit rester un objectif éthique fondamental.
Le degré de confiance que nous accorderons au régime public de soins déterminera largement son évolution au cours des prochaines décennies. C'est une évidence, mais les médecins du Québec sont encore trop silencieux à ce sujet. Membres de Médecins pour l'accès à la santé, nous avons donc choisi d'exprimer publiquement notre vive inquiétude face aux transformations qui s'amorcent en participant, avec 50 000 autres personnes, à la manifestation «Ensemble pour la santé», qui s'est tenue le 3 mai dernier à Montréal.
Un accès gratuit et universel aux soins, aujourd'hui si naturel, était encore il y a quelques décennies un projet de société en devenir. Qui n'a pas connu jadis un oncle s'étant ruiné pour obtenir quelques soins? Notre souhait, c'est que nos enfants puissent grandir et fonder à leur tour une famille dans une société où cet accès universel restera l'un des fondements de l'équilibre social. Le régime public de soins que nous nous sommes donné n'appartient pas à une seule génération, alors travaillons à ce qu'il nous survive!
Ce régime équitable est-il pour autant parfait? Bien sûr que non. Il y a d'abord cette grave pénurie de professionnels; mais imaginez si une nouvelle vague quittait maintenant le réseau public pour s'établir dans un réseau privé parallèle. Il y a aussi des problèmes d'accès, évidents, mais pas «immuables» ou «irréversibles» comme on le pense parfois. Les solutions existent. Quand on leur accorde les moyens, les gens du réseau sont capables de grandes réussites. On en parle peu dans nos médias, à qui on ne doit cependant pas reprocher d'insister sur les problèmes: ils jouent ainsi un rôle essentiel de contre-pouvoir, dénonçant ce qui ne fonctionne pas, éclairant les failles, soulignant les erreurs. Évitons simplement de confondre cette image avec le réseau lui-même et prenons cela comme un défi!
Pour améliorer l'accès et la performance du système de soins, il faut y travailler ensemble: gouvernement, ministères, médecins, infirmières, autres professionnels, syndicats, gestionnaires, etc. On peut y arriver. Autre preuve récente, cette entente signée il y a quelques semaines à l'hôpital Sainte-Justine, visant l'amélioration de l'accès à la chirurgie à l'interne sans recourir à un «sous-traitant» externe.
«Primum non nocere»
La position des Médecins pour l'accès à la santé ne correspond ni à l'angélisme ni à la naïveté. Le vrai défi est aujourd'hui de promouvoir et d'appliquer des solutions efficaces, qui sont généralement publiques. Pourtant, certains polarisent le débat et veulent rapidement nous pousser à des choix irréversibles: par exemple, ouvrir dès maintenant la porte à une prestation et un financement privés des soins, par des mécanismes qui pourraient avoir à long terme des effets aussi néfastes que sous-estimés. Ainsi, certaines transformations proposées par la commission Castonguay, notamment la conversion des agences de santé du rôle de fournisseurs à celui d'acheteurs de soins publics et privés, risquent de mener à un glissement vers une marchandisation de la santé, dès lors potentiellement soumise aux règles du commerce international.
Le développement d'un système privé aux dépens du régime public, en plus de nous éloigner d'une équité essentielle, ne permettra pas de rehausser l'accès aux soins.
Plusieurs arguments, largement évoqués pour appuyer l'expansion du privé en santé, comme la diminution des coûts de revient, l'allégement de la bureaucratie et la diminution des listes d'attente, ne résistent pas non plus à l'analyse, l'effet étant souvent inverse. Or, la devise médicale par excellence est: «Primum non nocere», «Avant tout ne pas nuire». S'il faut choisir maintenant, réaffirmons plutôt notre profond attachement au régime public de santé et travaillons de tout coeur à l'améliorer.
Soigner, sans discriminer
«Le médecin ne peut refuser d'examiner ou de traiter un patient pour des raisons de condition sociale», dit le code de déontologie des médecins. S'inquiéter légitimement de l'accroissement du recours au privé dans notre système de soins est certes un réflexe éthique essentiel, mais aussi et surtout la conséquence d'une analyse rigoureuse.
Les médecins ont aujourd'hui une grande responsabilité: il ne faut pas laisser tomber le réseau public, s'en retirer, baisser les bras. Alors que l'époque est à la morosité, il s'agit au contraire de relever la tête et de se concentrer sur notre mission première, afin d'en assurer la pérennité: soigner sans discrimination.
C'est le défi que se donnent les Médecins pour l'accès à la santé. Parlez-en à votre médecin.
***
Alain Vadeboncoeur, Médecin porte-parole de Médecins pour l'accès à la santé
Ont cosigné ce texte, du regroupement Médecins pour l'accès à la santé: Louise Authier, Marie-Michelle Bellon, Lucie Dagenais, Charlotte Dussault, Saideh Khadir, Paul Lévesque, Véronique Morin, Marie-Jo Ouimet, Simon Turcotte et Cory Verbauwhede.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé