Pour Jean Charest, à 61 ans, c’est maintenant ou jamais. La dernière chance de réaliser le rêve initial : devenir premier ministre du Canada.
Il y a un avantage immédiat pour lui de laisser dire qu’il réfléchit à la direction du Parti conservateur.
Quoi de mieux pour laisser croire que même en son for intérieur, il n’a rien à se reprocher dans les affaires au cœur de l’interminable enquête Mâchurer de l’UPAC (et du livre PLQ inc. de notre Bureau d’enquête)?
Fortune
Dans la vie d’un homme politique, il y a la «fortune», notion chère à Machiavel. C’est la force des événements ouvrant des occasions en or que seuls ceux faisant preuve de virtù sauront saisir.
Actuellement, la fortune fait intensément appel à Jean Charest. Un peu comme en mars 1998 lorsque Daniel Johnson démissionnait de la tête du PLQ. «Je ne me doutais pas de l’intensité et de l’ampleur des réactions qui allaient se manifester. [...] Le téléphone ne dérougissait pas», raconte Charest lui-même dans J’ai choisi le Québec (Pierre Tisseyre, 1998).
Bien sûr, les circonstances diffèrent. Charest a gouverné pendant près de 10 ans une province mal aimée du Dominion, le Québec.
Le téléphone ne dérougira tout de même pas dans les prochaines semaines. Car sur plusieurs plans, il incarne ce que nombre de membres du PC ont dit souhaiter : un chef expérimenté, s’exprimant bien dans les deux langues officielles (Charest étant même parfois plus précis en anglais), aux valeurs dénuées de ce conservatisme social ayant coulé Andrew Scheer au Québec, entre autres.
Coalition gagnante
Jean Charest a aussi un réseau d’un océan à l’autre. Le 13 novembre, il se permettait déjà un clin d’œil à l’Ouest, disant qu’il fallait «reconnaître» que la période économique difficile crée là-bas de l’«anxiété».
Le PM albertain Jason Kenney s’inquiéterait quand même de voir arriver à la tête du PC un enthousiaste de la bourse du carbone, doublé d’un ex-libéral ayant abandonné une «réingénierie» de l’État! Mais le vernis vert de l’ancien ministre de l’Environnement canadien à Rio 1992 l’aiderait ailleurs au pays.
D’accord, le parti a énormément changé depuis que Charest l’a quitté. Le PC en 2019 est celui que Harper a forgé en convainquant le Parti progressiste-conservateur d’être avalé par l’Alliance canadienne il y a 16 ans.
Mais justement, Charest pourrait promettre, lui, de raviver les grandes coalitions de peuples fondateurs des ères Diefenbaker et Mulroney. Cela trancherait avantageusement avec la conception postnationale de Trudeau fils. Un autre fils, Antoine Dionne-Charest, écrivait d’ailleurs cela en substance dans La Presse, en novembre. La réflexion est bien entamée dans la famille...
Évidemment, les casseroles éthiques de JC sont innombrables. Un député conservateur, Gérard Deltell, a déjà déclaré, en 2010 : «Jean Charest, c’est le bon parrain du Parti libéral».
L’obstacle est grand. Mais si Brian Mulroney a réussi à se refaire une vertu après On the take (livre d’enquête dévastateur) et les histoires de valises d’argent comptant (de Schreiber), son émule Charest pourrait bien réussir sa résurrection sur la scène fédérale.