APRÈS CHARLESTON

Le rejet du drapeau des confédérés

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Exit le folklore corrosif et subversif

En janvier 2008, Barack Obama, Hillary Clinton et le troisième prétendant à la primaire démocrate, John Edwards, faisaient campagne en Caroline du Sud, un État important sur la route de la nomination pour la candidature à la Maison-Blanche. C’était le Martin Luther King Day, le jour férié marquant l’anniversaire de la naissance du pasteur afro-américain. La communauté noire était rassemblée comme chaque troisième lundi de janvier au pied du capitole de Columbia, la capitale de l’État.

Aucun des trois candidats n’aurait voulu rater l’occasion. Aucun n’a évoqué la présence du drapeau confédéré, une insulte pour l’assistance afro-américaine, à quelques mètres de l’estrade, pas plus que celle de suprémacistes blancs venus défendre le symbole brandi par les sudistes pendant la guerre de Sécession (1861-1865). Personne, et Barack Obama le dernier, n’aurait voulu ranimer une bataille de plus de trente ans dans un État au passé racial aussi lourd.

À gauche, certains ironisent : pourquoi tant d’attention, concernant la photo de Dylann Roof, pour le drapeau, et aucune pour le pistolet qu’il a en main ?

Certes, depuis 2000, le drapeau confédéré ne flottait plus sur le Capitole, où il avait été hissé en 1962 en réaction à la lutte des Noirs pour l’égalité. Mais il était déployé à la vue de tous, dans le parc qui entoure l’édifice, et sur une hampe de neuf mètres de haut. Les républicains avaient accepté un « compromis » — descendre le drapeau —, mais ils continuaient à refuser de mettre au musée l’étendard rouge, blanc, bleu à treize étoiles, un symbole largement toléré dans le Sud américain.

Symbole de la division Nord-Sud

Barack Obama s’est rendu en Caroline du Sud vendredi, pour prononcer l’éloge funèbre du pasteur Clementa Pinckney, de l’Emanuel African Methodist Episcopal Church de Charleston. Le président pourra mesurer le chemin parcouru.

En une journée, celle du 17 juin, qui a vu un Blanc de 21 ans tuer neuf Noirs dans une église, le drapeau est devenu « pestiféré ». La photo de Dylann Roof, l’auteur du massacre, revendiquant le drapeau confédéré jusqu’au moyen de la plaque d’immatriculation de sa voiture, aura réussi là où des décennies de protestations n’avaient rien fait. Pour la première fois, les républicains du Sud rejettent clairement ce symbole raciste, les uns après les autres. Un tsunami, parti de Caroline du Sud, a déferlé en quelques jours sur l’ensemble des États de l’ancienne Confédération, et jusqu’à Washington où l’on commence à recenser les statues de figures sudistes à déboulonner.

Le drapeau confédéré reste le symbole de la division Nord-Sud de l’Amérique. Pour la plupart des Américains, il fait référence à l’esclavage, en défense duquel 11 États ont mené une guerre civile de près de cinq ans, qui a fait plus de 600 000 morts.

Les descendants des combattants sudistes préfèrent y voir le manifeste d’une rébellion contre la volonté de domination des États industriels de l’époque et le poids des taxes infligées à la production de coton. Encore aujourd’hui, la fracture est patente. Le Sud reste une terre de main-d’oeuvre bon marché et non syndiquée. Sur les cinq États américains qui n’ont pas de salaire minimum garanti par la loi, tous sont d’anciens membres de la Confédération, de même que sept des dix États qui ont le plus fort taux d’incarcérations.

Sécession

En Caroline du Sud, dixième État le plus pauvre du pays, l’attachement au drapeau s’inscrit dans un contexte historique chargé. En 1860, l’État a été le premier à faire sécession quand le Nord a voulu imposer l’abolition. Dans les années 1980, il a été le dernier à adopter le Martin Luther King Day et les élus locaux ont compensé en octroyant aux fonctionnaires un « jour de la Confédération », le 10 mai, jour anniversaire de la mort du général sudiste Stonewall Jackson. Dans le nord de l’État, les contreforts des Appalaches abritent des bastions fondamentalistes protestants, dont l’Université Bob Jones, près de Greenville, où les relations interraciales étaient interdites jusqu’en 2000. Pendant quarante-huit ans, l’État a été représenté au Sénat par Strom Thurmond, un homme qui avait tenté, en 1948, de se faire élire à la présidence des États-Unis en promettant de maintenir la ségrégation.

«Symbole d’un passé tyrannique»

Après l’élection de Barack Obama, le Tea Party y a trouvé une terre d’élection, au point que dans la communauté noire, les extrémistes étaient qualifiés de « néoconfédérés ». Têtes d’affiche : le sénateur Jim DeMint, qui promettait de faire de la réforme de l’assurance maladie le « Waterloo » de Barack Obama. Et le représentant Joe Wilson, qui s’est distingué en accusant le président Obama d’être un « menteur » en plein discours sur l’État de l’Union en 2009.

Mais la Caroline du Sud est aussi un État qui a élu, en 2010, une femme au poste de gouverneure, une fille d’immigrés sikhs, Nikki Haley, 43 ans, qui a toujours de la famille à Bombay. Après le massacre de Charleston, celle-ci a bousculé le Parti républicain. « Le drapeau n’a pas sa place dans l’enceinte du Parlement, a-t-elle tranché. Pour beaucoup, il représente des traditions nobles, d’histoire et de patrimoine. Mais pour beaucoup d’autres, il est le symbole d’un passé brutalement tyrannique. »

D’autres États

La détestation du drapeau a gagné les autres États, comme si leurs responsables avaient finalement pris conscience de l’insulte quotidienne faite aux Noirs. Le gouverneur de Virginie, Terry McAuliffe, a interdit les plaques minéralogiques portant le drapeau confédéré. Le gouverneur de l’Alabama, Robert Bentley, a décidé — par décret — de déplacer l’étendard qui jouxtait le monument de la Confédération situé devant le Capitole, mettant les élus devant le fait accompli. Le Mississippi est en pleine introspection : les étoiles confédérées figurent sur le drapeau même de l’État. Plus de 50 000 personnes ont signé une pétition pour demander de le changer, avec le soutien des deux sénateurs républicains.

Références sudistes dans le pays

Le mouvement s’est propagé aux réseaux sociaux rassemblés derrière le mot d’ordre « Faites tomber le drapeau » (#bringitdown). Wal-Mart, l’un des principaux vendeurs d’armes à feu, a annoncé qu’il cessait de vendre des souvenirs aux couleurs de la Confédération. Amazon, eBay, Google ont emboîté le pas. Jusqu’à la Warner Bros., qui a décidé de retirer de la vente la voiture-jouet « General Lee » (du nom du général sudiste) correspondant à la populaire série télé Shérif, fais-moi peur. À gauche, certains ironisent sur ces conversions subites. Pourquoi tant d’attention, concernant la photo de Dylann Roof, pour le drapeau et aucune pour le pistolet qu’il a en main ?

Jusqu’où peut remonter la traque des symboles ? Les États du Sud comptent nombre de statues et de rues portant le nom d’anciens confédérés, et le reste du pays n’est pas non plus exempt de références sudistes. Les militants antiracistes l’ont fait savoir à leur manière, en peignant les monuments honorant la Confédération dans une demi-douzaine de villes, dont Charleston, Austin et Baltimore avec l’inscription : « Black Lives Matter [les vies noires comptent] ». Au coeur de l’État fédéral, à Washington, parmi les statues de la rotonde du Capitole, où chaque État a droit à deux sculptures de son choix, figure Jefferson Davis, le chef de la Confédération (envoyé par le Mississippi), aussi bien que le général Robert Lee ou le politicien de Caroline du Sud John Calhoun.

Depuis décembre 2010, les États-Unis célèbrent le 150e anniversaire de la guerre civile par une série de commémorations officielles. Dans le Sud, les partisans du drapeau ont organisé des « bals de la Confédération » et des colloques en l’honneur des défenseurs de l’esclavage, illustrant à quel point la question de la mémoire n’était pas réglée.


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