Le Québec actuel me désole...

Le "Nous" - l'expérience québécoise

«Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas; c'est parce que nous n'osons pas que les choses sont difficiles.» (Sénèque)
J'ai décidé de vous écrire cette petite lettre. De vous écrire en utilisant les mots de tout le monde, les mots de tous les jours, les mots qui ne demandent pas d'ouvrir un dictionnaire pour comprendre.
Le Québec actuel me désole. Le Québec actuel me renverse. Le Québec actuel me rend malade, me laisse mal à l'aise, me fait capoter. Il se passe ici, sur ce territoire, quelque chose d'anormal, quelque chose de loufoque, d'incompréhensible, quelque chose de démesuré.
Table rase
C'est comme si on avait décidé de tout liquider, de faire table rase, de se débarrasser de tout un héritage plusieurs fois millénaires, de nier ce que nous étions pour n'être plus rien, de cracher sur tout ce qui était avant pour mettre à la place le nihilisme et le non-sens.
Le Québec de la post-modernité sent la rancoeur, le défaitisme, l'anarchisme larvé, le règlement de compte, la vengeance éclatée. Il expulse toute spiritualité, toute référence à la transcendance, tout ce qui peut permettre d'aborder les questions de l'esprit. Il n'y a plus de guide dans la cité, de direction dans les institutions civiles, d'ouverture aux grands espaces de l'esprit dans les institutions scolaires. Il n'y a que la quête du profit, la recherche du pouvoir à tout prix, la complaisance pour accéder à la une des médias, le mensonge qui reste, selon moi, la première de toutes les forces qui dirigent et minent le monde.
Le Québec vit dans le brouillard des pollutions idéologiques et le pouvoir d'une certaine intelligentsia qui cherche à dominer en planifiant sans cesse de nouvelles stratégies anti-vérités qui veulent empêcher le débat des idées. Il existe ici, comme ailleurs, des groupes qui ont intérêt à cacher la vérité. D'autres, le cerveau lessivé par une propagande sournoise, ne veulent absolument pas la connaître. C'est la foire aux cancres!
Le mensonge est devenu la grande industrie nationale et mondiale. On interdit de vendre certains poisons qui pourraient nuire à la santé du corps. On tolère aisément toute autre forme d'intoxication qui consiste à fausser le jugement et la conscience du citoyen. On n'enseigne plus les vertus morales qui doivent guider et structurer l'agir de l'être humain, mais on répand partout une pédagogie de la facilité, un appel au laisser vivre et au laisser faire, à l'émancipation et à l'expérimentation sous toutes ses formes et on prône souvent, sans regret et sans vergogne, un inquiétant sous-développement moral et spirituel qui engendre la confusion des valeurs.
À moins d'être aveugle, il faut bien admettre que le Québec actuel vit une grave tragédie qui peut engendrer anarchie, révolte ou répulsion incontrôlable. La collectivité encourage et tolère que chacun fasse ce qu'il veut. Pire encore : elle en arrive à tout justifier de crainte d'être trop intolérante. Il déifie celui qui décide à sa guise où sont le bien et le mal, le vrai et le faux. Il excuse les gestes les plus répréhensibles, trouve moyen d'encenser les fautes les plus graves, met sous le tapis les écarts de conduite les plus condamnables par les civilisations d'antan. Tout cela est le signe d'une grande déception, d'un désespoir profond, d'une décadence évidente. Le Québec a tous les moyens pour bien vivre. Il lui manque cependant des raisons de vivre.
Vide spirituel
Comment le Québec en est-il arrivé là? La réponse me semble fort simple. Le Québec vit une profonde crise de la pensée. Chacun fabriquant sa propre vérité en fonction de ses convenances personnelles, un profond désordre moral s'est installé à l'insu de tous et chacun. Le Québec est devenu un pur produit de l'économisme. Dans son discours à Harvard en 1978, Alexandre Soljenitsyne soulignait les causes profondes du désarroi des libertés et de l'insécurité d'aujourd'hui. Voici ce qu'il disait : «Le droit est trop froid et trop formel pour pouvoir exercer sur la société une influence bénéfique. Lorsque toute la vie est pénétrée de rapports uniquement juridiques, il se créé une atmosphère de médiocrité morale qui asphyxie les meilleurs élans de l'homme. Face aux épreuves du siècle qui menacent, jamais les béquilles juridiques ne suffiront à maintenir les gens debout.»
Le Québec souffre d'un mal terrifiant, mortel peut-être qui s'appelle le vide spirituel. Le Québec a du pain, des machines, des jeux, la liberté extérieure. Mais les habitants de ce pays, ne sont pas faits uniquement de matière. Il semble que le meilleur du Québec a faim. Et il n'y a rien sur la table pour le soutenir, l'assouvir. Qui lui donnera une nourriture spirituelle dont il ne peut se passer?
Un jeune me confiait à peu près ceci dernièrement : «Nous regardons autour de nous et nous ne trouvons rien ni personne pour nous aider à vivre. La religion est devenue un rite où chacun intervient à sa guise. La politique est un jeu, même une grande farce. Quand elle n'est pas tout simplement un grand mensonge. Autour de nous, je le sens, c'est le vide moral total. Je me sens mal, je me sens asphyxié. J'étouffe. Le Québec s'est développé matériellement. C'est correct. Mais j'ai besoin de forces spirituelles et de d'autres valeurs. Je n'arrive pas à les trouver. Je cherche un maître, un guide. S'ils y en a, quelque part, pourquoi se taisent-ils.»
Le Québec doit reprendre le combat pour l'essentiel. L'essentiel, ce n'est pas se contenter du minimum. L'essentiel d'un arbre, c'est sa sève. L'écorce demeure décorative. La sève, l'essentiel c'est d'avoir une portion de liberté, d'apprendre à aimer, de se savoir aimer et de réfléchir sur sa condition humaine. Le Québec peut bien essayer un autre chemin. S'il veut vivre et survivre, il doit emprunter celui qui demande le maximum.
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Nestor Turcotte
Philosophe


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