Le projet d'indépendance piégé par l'électoralisme et le parlementarisme

Actualité québécoise - vers une « insurrection électorale »?

Le projet d’indépendance du Québec :

piégé par l’électoralisme

et le parlementarisme
Par PIERRE GRAVELINE

Écrivain et éditeur
Dans sa conférence prononcée en juin dernier à l’occasion de l’assemblée générale annuelle des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO), Jacques Parizeau soulignait le potentiel extraordinaire que représente le fait qu’une majorité de la députation québécoise − députés à l’Assemblée nationale et députés au Parlement d’Ottawa confondus − soit aujourd’hui constituée de souverainistes. Il rappelait de surcroît que le projet d’indépendance du Québec, même s’il n’est plus que rarement évoqué dans l’actualité politique depuis le référendum de 1995, n’en persiste pas moins à recueillir généralement plus de 40% d’opinions favorables dans les sondages, franchissant même à quelques occasions la barre des 50%.
Comment expliquer alors la perception actuellement dominante, y compris chez les partisans de la souveraineté, que ce projet politique soit désormais stagnant, sinon en net recul, voire même inatteignable?
Je crois que la réponse à cette question tient largement au fait que les partis politiques souverainistes se sont laissés piéger dans une logique électoraliste réductrice et leurs représentants élus dans un activisme parlementaire à courte vue, avec la conséquence désastreuse qu’ils ont manifestement renoncé à la mobilisation du peuple, condition pourtant essentielle à l’atteinte de cet objectif politique indéniablement «révolutionnaire».
Le PQ et le Bloc piégés par l’électoralisme
Loin de moi l’idée de contester la nécessité d’élire une majorité de députés souverainistes à Québec, préalable primordiale à la constitution d’un gouvernement ayant la légitimité démocratique de mettre en œuvre une stratégie d’accession de la nation québécoise à son indépendance politique.
Loin de moi, par ailleurs, l’idée de nier l’importance du rôle que joue la députation souverainiste comme chien de garde des intérêts du Québec à Ottawa.
Mais la réduction de la mission du PQ et du Bloc à ces deux seuls aspects du combat indépendantiste se révèle à l’usage, me semble-t-il, un égarement dans une ornière peut-être suicidaire.
Quiconque est membre du Parti Québécois et/ou du Bloc Québécois peut en témoigner : pour ces partis politiques, les membres ne sont plus, pour l’essentiel, que des pourvoyeurs de fonds qu’on harcèle pendant les campagnes annuelles de financement, comme les citoyens ne sont que des pourvoyeurs de votes qu’on sollicite lors des campagnes électorales. En dehors de ces deux «moments forts» de la vie politique partisane, ni les membres ni les citoyens ne sont plus, depuis longtemps, invités à quelque manifestation que ce soit de leur soutien au projet politique fondamental qui est pourtant à l’origine de la création de ces deux partis et qui devrait être au cœur de leur action. Bien que non dit, le message est limpide : donnez-nous votre argent et votre vote, restez sagement à la maison et laissez-nous faire; un jour, peut-être, «si les conditions le permettent», nous vous donnerons votre indépendance…
***
Les effets de cet électoralisme réducteur sont catastrophiques, particulièrement pour le Parti Québécois. Alors que ce parti a déjà rassemblé plus de trois cents mille membres, il n’en compte plus, sur papier, que quelques dizaines de milliers. Des centaines de militantes et de militants indépendantistes parmi les plus déterminés ont quitté le navire, s’éparpillant dans une kyrielle de petits partis et mouvements plus ou moins marginaux. Jamais le mouvement souverainiste n’est-il apparu si divisé, au point que des voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer l’organisation d’États généraux afin d’en recréer l’unité.
Pendant ce temps, à la base du PQ, la vie militante est la plupart du temps réduite à sa plus simple expression : la tenue une fois l’an de l’assemblée générale de l’association de comté réunissant quelques dizaines de membres afin d’élire un exécutif dont on peine à combler les postes. La vie démocratique interne est à l’avenant : le dernier congrès général du parti s’est tenu en 2005 et le prochain, sans cesse repoussé, aura peut-être lieu en 2011. Encore un petit effort et le record du Parti communiste cubain qui n’a pas convoqué son congrès depuis une décennie sera battu! Mais à quoi bon s’en offusquer puisque les programmes qu’on y adopte laborieusement sont rapidement reniés par les chefs qui se succèdent?
Les résultats de cet électoralisme «trépidant» parlent d’eux-mêmes et en montrent clairement l’échec : nonobstant le nombre de députés élus du fait des fluctuations du vote adéquiste, sous Pauline Marois en 2008, comme sous André Boisclair en 2007 et sous Bernard Landry en 2003, le Parti Québécois a obtenu, à quelques milliers de voix près, le même soutien : à peine un électeur inscrit sur cinq lui accorde désormais son appui; moins de la moitié des souverainistes déclarés lui donnent leurs suffrages. Peu importe, jouant à fond l’illusoire politique de l’autruche, on n’en persiste pas moins à la direction du parti à croire aveuglément qu’en ne faisant pas de vagues, la simple règle de l’alternance apportera automatiquement au PQ, la prochaine fois, le pouvoir sur un plateau d’argent.
***
Pour sa part, le Bloc Québécois, profitant de circonstances politiques exceptionnelles − le scandale des commandites des libéraux, puis les politiques anti-québécoises, anti-sociales et anti-culturelles des conservateurs − a mieux tiré son épingle du jeu en matière de résultats électoraux. Mais est-il probable qu’une telle conjoncture favorable perdure indéfiniment sur la scène fédérale? Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, ne peut-on craindre que le Bloc ne voit bientôt son appui populaire fondre à un niveau équivalent à celui qu’obtient le Parti Québécois?
Les députés souverainistes piégés par le parlementarisme
Il est vrai que le mouvement souverainiste québécois − avec sa centaine de députés élus, chacun d’entre eux profitant des services d’attachés politiques et de recherchistes, de même que de ressources financières significatives − jouit en théorie d’une puissance politique potentielle majeure : c’est, au bas mot, plus de 500 personnes qui − de par la volonté démocratique de centaines de milliers de citoyens québécois − sont aujourd’hui salariés à temps plein de ces partis et devraient donc être en première ligne du combat pour l’indépendance du Québec.
Quel rayonnement cette cause ne devrait-elle pas connaître de ce simple fait! Les artisans de la Révolution tranquille ne disposaient pas, pour la mettre en œuvre, d‘une telle force de frappe…
Or, il n’en est rien. Soumis à une constitution canadienne qu’ils appliquent tout en affirmant ne pas en reconnaître la légitimité et qui les contraint néanmoins à s’enfermer dans un légalisme provincialiste stérile, encarcanés dans des agendas qu’ils ne contrôlent pas, occupés à étudier les projets de loi soumis par les gouvernements en place, à siéger dans une pléthore de commissions et de comités, à préparer leurs interventions à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des communes, à recevoir leurs commettants, les députés souverainistes et leurs adjoints − quand ils ne sont pas, par ailleurs, conscrits pour mener des activités de financement, parrainer des circonscriptions «orphelines» et préparer leur réélection − «s’épuisent» pour la plupart dans un activisme parlementaire à courte vue qui ne leur laisse, sauf accessoirement, aucune énergie à consacrer à la lutte pour l’indépendance politique de notre nation.
***
Bien qu’il paraisse évident que les tares du carriérisme et des attitudes bureaucratiques se soient répandues au sein du PQ et du Bloc au cours des dernières années et que certains ne se gênent pas pour traiter le projet d’indépendance du Québec comme un fonds de commerce au service de leurs ambitions personnelles, loin de moi l’idée de mettre en doute la bonne foi de la plupart des députés souverainistes ou de leurs employés. Loin de moi, aussi, l’idée de nier les responsabilités et les obligations parlementaires de ces représentants du peuple.
Mais où est-il écrit que les députations souverainistes et leurs leaders, à Ottawa comme à Québec, ne puissent se doter de plans d’action et de priorités dans la gestion de leur temps et de leurs ressources qui accordent une large place à la promotion du projet d’indépendance du Québec et à la mobilisation du peuple québécois derrière cette grande aspiration?
Sont-ils seulement conscients, ces députés et ces militants souverainistes salariés, du potentiel politique extraordinaire qu’ils sont en voie de gaspiller? Ou ont-ils tout simplement cessé de croire à notre rêve collectif de liberté?
Jusqu’à «vendre son âme au diable»
L’électoralisme réducteur et le parlementarisme à courte vue semblent aujourd’hui à ce point ancrés dans les pratiques des partis souverainistes et de leurs députés qu’ils les conduisent désormais à rester à la maison quand des jeunes manifestent pour l’indépendance, voire même, parfois, à «vendre leur âme au diable».
Chacun a pu le constater, en février 2009, quand le Parti Québécois, sous le fallacieux prétexte de ne pas déplaire aux commerçants de Québec, s’est montré disposé dans un premier temps à accepter qu’un organisme fédéral «célèbre» la tragique défaite des plaines d’Abraham, en banalise les retombées pour notre nation, en fasse un spectacle folklorique pour amuser les touristes canadiens et américains. Il a fallu que le Réseau de résistance du Québécois (RRQ) tire courageusement la sonnette d’alarme et que des centaines de citoyens fassent entendre leur voix pour mettre un frein à cette folie et pour ramener le PQ à sa raison d’être. À cette occasion, le Parti Québécois poussa même le ridicule jusqu’à mettre plus de vigueur à condamner certains propos, jugés excessifs, du jeune leader du RRQ et à couper les fonds à cette organisation qu’il n’en mit à combattre l’inacceptable projet fédéral!
Chacun a pu le voir également, le 24 mai dernier, quand, répondant à l’appel d’un collectif de jeunes constitué sur Facebook, des milliers de personnes ont marché pour l’indépendance dans les rues de huit villes du Québec. Or, bien qu’ils aient été sollicités des semaines auparavant, ni le PQ ni le Bloc ne jugèrent bon de mobiliser leurs membres, pas même de leur transmettre l’invitation. À peine une petite poignée de députés souverainistes firent acte de présence et contribuèrent − on ne peut plus modestement − au financement des manifestations. À Montréal, où la marche citoyenne débutait pourtant dans le comté québécois de Mercier, représenté par Amir Khadir, et dans le comté fédéral de Laurier Sainte-Marie, représenté par Gilles Duceppe, ni l’un ni l’autre ne trouvèrent utile d‘y participer. Notons toutefois que deux anciens premiers ministres, Jacques Parizeau et Bernard Landry, étaient présents, de même que le président du Parti Québécois, Jonathan Valois.
Le même désolant absentéisme a dans l’ensemble prévalu au PQ et au Bloc lors de la marche pour l’indépendance tenue dans le cadre du défilé de la fête nationale le 24 juin à Montréal et lors de la marche organisée à Québec le 13 septembre pour commémorer la bataille des plaines d’Abraham sous le thème «on reprend nos plaines, on marche pour l’indépendance». À cette dernière occasion, Pauline Marois a certes pris part à la marche, mais pendant une courte étape et accompagnée d’un seul député! Mentionnons cependant que Françoise David était au nombre des manifestants.
***
Ainsi, outre, jusqu’à un certain point, le «Moulin à paroles», les deux principales actions indépendantistes menées en 2009 − le combat contre la «célébration» de la bataille des plaines d’Abraham et les marches de mobilisation pour la liberté du Québec −, toutes deux, soulignons-le, couronnées de succès, ont été initiées à l’extérieur des partis souverainistes et, à peu de choses près, réalisées sans leur appui!
Y a-t-il quelqu’un, au sein du Parti Québécois, du Bloc Québécois (et de Québec solidaire) à prendre acte de cette extraordinaire évolution, à s’en inquiéter, à questionner les pratiques électoralistes et parlementaristes qui les ont menés là, à en tirer les leçons politiques?
Malheureusement, il semble bien que non.
La nécessaire mobilisation du peuple
Que croient donc les chefs et les députés des partis souverainistes? Qu’ils feront l’indépendance du Québec sans les Québécoises et les Québécois? Qu’ils obtiendront un appui majoritaire de l’électorat à ce grand projet par le seul mérite de leurs rares discours? Qu’ils la proclameront en vase clos? Qu’ils en négocieront les modalités avec le Canada, sans l’exercice d’un rapport de force? Qu’ils vaincront l’opposition que cette révolution politique ne manquera pas de susciter sans une mobilisation décisive de la nation québécoise, en particulier de sa jeunesse? Qu’ils conquerront la liberté du Québec sans que le peuple ne descende dans la rue pour la réclamer?
Aucun indépendantiste lucide ne peut s’illusionner ainsi.
Et puisque les partis et les députations souverainistes ne semblent pas disposer pour l’instant à sortir de l’électoralisme réducteur et du parlementarisme à courte vue dans lesquels ils se sont enfermés, les militantes et les militants pour l’indépendance qui croient à la nécessité de mobiliser la population derrière cet objectif doivent cesser d’attendre que ces partis, leurs députés et leurs leaders se décident à agir. Refusant les discours attentistes ou défaitistes, unissant leurs forces, ils doivent résolument passer eux-mêmes à l’action.
Nous ne le répéterons jamais assez : l’indépendance politique de la nation québécoise ne pourra se faire que par la mobilisation du peuple québécois et de la jeunesse québécoise. C’est en menant sans relâche des actions citoyennes, avec persévérance, avec courage, avec détermination, que nous parviendrons à réaliser notre rêve de liberté pour le Québec.
***
Ce texte est publié dans le numéro de décembre-janvier de l’Action nationale qui paraît le 10 décembre 2009.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé