Norman Cornett est professeur. De ces professeurs d'université qui marquent leurs étudiants et changent parfois leur vie. Un professeur aux méthodes peu orthodoxes pour qui l'enseignement est une vocation.
Norman Cornett est professeur, mais voilà, depuis presque trois ans, il ne travaille plus comme professeur. Du jour au lendemain, la faculté d'études religieuses de l'Université McGill pour laquelle il a travaillé pendant presque 15 ans l'a mis à la porte, sans la moindre explication. Des étudiants et des professeurs ont protesté. Il y a eu une pétition, il y a eu des lettres dans les journaux. Il y a quelques jours encore, le McGill Daily en a publié de nouvelles. Du côté de la direction de l'université, toujours le même silence.
J'ai rencontré Norman Cornett la semaine dernière en compagnie de la cinéaste Alanis Obomsawin, qui lui a consacré un documentaire fascinant. Un documentaire qui, au-delà de la controverse, pose une question fondamentale: qu'est-ce qu'un bon professeur?
Le film sera présenté pour la première fois à McGill ce soir. Ce sera aussi la première fois que Norman Cornett remet les pieds dans l'institution qui l'a chassé. «Je me sens comme Daniel dans la fosse aux lions», me dit-il, dans son français impeccable teinté d'un accent américain.
Le professeur Cornett et celle qu'il appelle avec respect «Mlle Obomsawin» se sont rencontrés dans le cadre d'un cours où il l'avait invitée. Un couple improbable, uni par une admiration mutuelle et un désir d'ébranler l'ordre établi. Lui, 60 ans, le regard grave. Cheveux grisonnants, moustache soigneusement taillée. L'air austère avec sa chemise rayée et sa cravate, il m'a fait penser à ce professeur en deuil dans une nouvelle de Luis Sepulveda. Un prof en exil qui rêve de son école et se réveille avec de la craie sur les doigts.
Elle, réalisatrice et artiste autochtone de talent. Tout de noir vêtue, cheveux noirs tressés. Yeux charbonneux, regard perçant, sourire espiègle. Élégante, mystérieuse, avec cet air juvénile qui ne laisse pas deviner ses 77 ans.
Alanis Obomsawin me raconte son ravissement la première fois qu'elle a mis les pieds dans un cours du professeur Cornett. «Je trouvais ça extraordinaire. Je me disais: On devrait féliciter McGill d'avoir un prof comme celui-là.» Norman Cornett voulait consacrer un cours à la crise d'Oka. Kahnawake est à quelques kilomètres du campus, se disait-il. Pourquoi ne pas créer une occasion de dialogue entre les étudiants et des autochtones? C'est ainsi qu'il a invité en classe la plus connue des réalisatrices autochtones du pays.
«Pour moi, le dialogue est la plaque tournante», explique Norman Cornett, qui a ainsi fait défiler dans ses cours des personnalités de tous les horizons, de Lucien Bouchard à Oliver Jones. On y discutait de tout, du nationalisme québécois au conflit israélo-palestinien, en passant par la musique et la médecine.
Américain francophile, originaire du Texas, Norman Cornett a fait sa thèse de doctorat sur Lionel Groulx. Il a commencé sa carrière en enseignement comme un professeur «normal» qui donnait des questionnaires et des examens de mi-session. Mais le jour où il a vu un étudiant rongé par le stress faire une dépression nerveuse sous ses yeux, il s'est dit qu'il devait y avoir une meilleure façon d'enseigner. Il a laissé tomber les quiz et les travaux traditionnels et a décidé de faire travailler ses étudiants autrement. Son but: non pas leur donner les bonnes réponses, mais plutôt leur apprendre à poser de bonnes questions.
«Je ne vous enseigne pas pour un cours. Je vous enseigne pour la vie», aimait-il dire à ses étudiants.
Pourquoi ce professeur aussi apprécié a-t-il été limogé? Norman Cornett, qui a décidé d'entamer des poursuites contre l'Université McGill, aimerait bien le savoir lui-même. «Je ne me lancerai pas dans des hypothèses. Les faits m'importent.» Il dit avoir bénéficié des conseils de feu Charles Gonthier, ex-juge de la Cour suprême, qui aimait venir assister à ses cours. On voit d'ailleurs Gonthier dans le film louer le travail du professeur Cornett et exprimer son désarroi à la suite de son congédiement.
Norman Cornett a refusé une entente à l'amiable avec l'université qui l'aurait contraint à une clause de confidentialité. «Ma préoccupation n'est pas légale. Elle est pédagogique», dit-il.
À la suite de son congédiement en 2007, de nombreuses personnalités se sont portées à sa défense. Des universitaires ont fait publier une lettre dans Le Devoir. L'Université McGill pratique-t-elle la censure? ont-ils demandé.
«McGill honore la liberté d'expression», a répondu l'université, sans toutefois donner plus d'explications sur les motifs du congédiement.
Alanis Obomsawin a sollicité à deux reprises l'université pour qu'elle offre sa version des faits dans le film. Elle n'a jamais reçu de réponse.
J'ai, à mon tour, appelé l'Université McGill cette semaine pour avoir des explications. «Pas de commentaires», m'a-t-on répondu.
Voilà une bien drôle de façon d'honorer la liberté d'expression.
(*) Le film Professeur Norman Cornett: «Depuis quand différencie-t-on la bonne réponse d'une réponse honnête?» (ONF, 2009, en anglais avec s.-t. français) sera présenté ce soir à 19h à l'Université McGill. Immeuble Leacock, 855, rue Sherbrooke Ouest, local 132. La projection sera suivie d'une discussion avec la réalisatrice et le professeur. Entrée libre.
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