LES XXVes RENCONTRES DE PÉTRARQUE À MONTPELLIER

Le préoccupant déclin de la responsabilité politique dans nos démocraties

États américains - impasse budgétaire


Nombreux sont ceux qui analysent et cherchent à mesurer la défiance qui affecte la démocratie représentative, insistant sur la désaffectation des urnes et la distance croissante entre représentants et représentés. Si le phénomène n'a pas la nouveauté que certains lui prêtent, son terreau a néanmoins connu de profonds bouleversements depuis le début du XXe siècle, qui le rendent assurément plus complexe : professionnalisation accrue de l'activité politique, complexification des clivages sociaux, fragmentation des espaces publics, allongement des chaînes d'interdépendance qui relient les individus, etc.
Tous s'accordent, avec raison, à trouver ce phénomène préoccupant. Plus rares sont ceux, en revanche, qui mettent au coeur de leurs préoccupations la question des modalités de mise à l'épreuve de la confiance dans la démocratie, si ce n'est, mais en contournant l'obstacle en quelque sorte, pour promouvoir une participation accrue des citoyens qui viendrait combler les manques ou les apories de la représentation, voire s'y substituer. Or, comme le montrent bien certains théoriciens de ce "nouvel esprit de la démocratie" - pour reprendre le titre du brillant essai de Loïc Blondiaux (Seuil, 2008) -, les expériences actuelles de la participation citoyenne ne sont souvent qu'un leurre, reproduisant de façon masquée le cens social au principe sociologique du lien représentatif.
Si la question de la participation ne doit bien sûr pas être balayée d'un revers de main, c'est donc celle de la représentation qui demeure cruciale et sans doute première. Mais dans quels termes la poser dans sa relation à la confiance ?
Au coeur du fonctionnement de la démocratie représentative, dans la forme du régime parlementaire qu'elle a commencé à prendre il y a environ deux siècles en Europe, il y a une idée très simple : les gouvernants qui ne jouissent plus de la confiance des gouvernés, ou de leurs représentants, doivent quitter le pouvoir. Dans l'exercice du pouvoir qui leur est confié, ils doivent répondre en permanence de cette confiance, ce qui suppose de devoir rendre des comptes sur l'usage qu'ils font ou ont fait de la confiance qui leur a été accordée. Ce dispositif de mise à l'épreuve de la confiance se nomme responsabilité. La langue anglaise utilise un substantif presque intraduisible - accountability (imputabilité - Vigile)- qui exprime mieux l'idée que les gouvernants sont comptables d'une forme de dette contractée au moment de leur désignation, et qui est justement la confiance. Ce qui importe ici est que la responsabilité politique mesure l'état d'une relation de confiance, qu'elle est indépendante de toute faute et de toute culpabilité.
Mais la traduction institutionnelle de ce principe n'a jamais été simple. Le droit constitutionnel est plus à son aise quand il s'agit de définir la responsabilité par la négative, à travers des sanctions, que lorsqu'il faut organiser positivement la responsabilité en termes de comportements attendus des gouvernants.
L'exclusivité de la confiance parlementaire comme mode d'expression de la responsabilité politique s'est également avérée problématique lorsque le Parlement a tout à la fois perdu son rôle central dans la "démocratie d'opinion" et s'est retrouvé corseté par la discipline majoritaire. En France, la Ve République a promu une pratique démocratique déviante, le découplage entre l'exercice du pouvoir d'Etat et la responsabilité politique des gouvernants, la confiance pouvant être accordée lors de grand-messes aujourd'hui quinquennales mais jamais retirée.
Il en a résulté d'ailleurs une régression démocratique supplémentaire : la tentation de substituer, de façon bricolée et incertaine, la responsabilité pénale à la responsabilité politique ; la "criminalisation" de la responsabilité politique, pour parler comme le juriste Olivier Beaud, n'ayant plus rien à voir avec la question de la confiance. Force est alors de constater que, de nos jours, il ne reste rien de la relation consubstantielle entre responsabilité politique et confiance. Même l'expression du suffrage universel - pensons au référendum européen du 29 mai 2005 - s'avère impuissante à infléchir, ne serait-ce qu'à la marge, les modes d'occupation du pouvoir. Et s'il fallait une preuve ultime de la confusion des esprits, il suffirait de considérer la réforme constitutionnelle engagée dès son élection par Nicolas Sarkozy, dont l'un des mots d'ordre était justement la "responsabilisation" du président de la République. Le résultat final, de ce point de vue, fut éloquent : la possibilité offerte au président de venir s'exprimer, sans risque et selon son bon plaisir, devant le Parlement...
Si l'on s'accorde à penser que poser la question de la confiance, c'est poser la question de la responsabilité politique, au sens exigeant de l'accountability, c'est un immense chantier auquel nous sommes dès lors confrontés : celui des mécanismes assurant - et permettant de vérifier - que le pouvoir s'exerce bien conformément à la volonté populaire.
Dernier ouvrage paru : "La Constitution Sarkozy" (Odile Jacob, 2009).
Les XXVes Rencontres de Pétrarque dont le thème est "En qui peut-on avoir confiance ?", du lundi 19 au vendredi 23 juillet à Montpellier. Rectorat de l'académie de Montpellier, cour Soulages, rue de l'Université, de 17 h 30 à 19 h 30 (entrée libre). Diffusion sur France Culture du 9 au 13 août de 20 h 30 à 22 heures. Sur le Web : [Franceculture.com->www.Franceculture.com].
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Bastien François, directeur du département de science politique de l'université Paris-I, cofondateur de la convention pour la VIe République


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