La commission Bastarache va très certainement réussir à démontrer que plus on aime le pouvoir, plus on risque de s'y brûler les ailes. Je ne suis pas sûre que ce soit exactement son mandat, mais une fois que tous les témoins auront parlé, quand l'armée d'avocats présents aura fini de palabrer, on saura que le pouvoir est un jeu dangereux qui agit sur ceux qui s'y adonnent comme le feu quand il attire les papillons de nuit et les éblouit avant de les brûler. Pour certains, ce sera une découverte; pour d'autres, ça confirmera ce qu'ils savaient déjà.
Cette commission n'est pas celle que nous attendions. Elle n'aura pas été inutile cependant si elle permet à ceux et celles qui la regardent chaque jour de comprendre que la politique n'est jamais faite seulement par des anges. Les partis politiques, par définition, attirent le meilleur et le pire de la société. Sur un pied d'égalité.
Au début, le liant d'un parti politique, c'est les idées. Quand tous les membres sont nouveaux, portés par un désir véritable de changer le monde et convaincus que les changements qu'ils proposent sont les meilleurs. Puis rapidement, il faut grossir les rangs, trouver des gens qui ont des compétences, mais surtout plus d'ambition. Il faut surtout trouver de l'argent, l'argent étant, c'est bien connu, le nerf de la guerre.
René Lévesque, qui avait bien connu le Parti libéral des années 1960, avait tellement peur des effets de l'argent sur son parti qu'il s'en rendait malade. Il ambitionnait de fermer la route à toute tentative de contrôle, même minime, de son parti par l'argent et il était totalement consacré à donner un gouvernement propre au Québec. C'était une véritable obsession chez lui. Il serait intéressant d'entendre ce qu'il aurait à dire sur ce que nous vivons maintenant.
C'est une mince consolation de se dire que c'est, hélas, partout la même chose, avec des détails qui diffèrent, des méthodes qui innovent parfois, mais le même résultat partout. J'ai souri quand j'ai lu que le gouvernement mexicain venait de congédier 3200 policiers dans une tentative d'enrayer la corruption qui gangrène tout le pays. S'il fallait faire le tour de tous les pays, partout sur la planète, pour vérifier le degré d'honnêteté de l'administration, on perdrait probablement la foi dans la droiture des humains pour toujours.
Je m'excuse auprès du commissaire, mais quand j'en ai assez d'écouter ses invités palabrer, je lis. Je viens justement de terminer la lecture d'un formidable livre qui m'a permis de mieux comprendre comment se passait la corruption «à la française» et dont je suis sûre qu'il l'apprécierait lui aussi. Il a été écrit par une journaliste du nom de Raphaëlle Bacqué et son titre est Le Dernier Mort de Mitterrand*. Le «mandat» de la journaliste va beaucoup plus loin que celui du commissaire Bastarache. Elle a choisi de faire la lumière sur la mort de François de Grossouvre, ami personnel, financier personnel de François Mitterrand, qui s'est suicidé dans son bureau de l'Élysée le 7 avril 1994, à quelques pas du bureau du président. La corruption est partout en toile de fond. C'est un livre tout indiqué à lire en ce moment.
Ce que ce livre permet de mieux saisir, c'est aussi l'isolement qu'apporte le pouvoir au sommet de la pyramide, cet isolement qui peut mener à la folie qui atténue peut-être les contorsions que le pouvoir impose et qu'on estime essentielles à son propre maintien au pouvoir. Ce que ça fait ressortir également, ce sont les douleurs et les injustices qui découlent des décisions de ces «gens de pouvoir» qui marchent sur les egos, qui écrasent les vies autour d'eux, qui traversent la durée de leur règne sans jamais regarder derrière eux pour voir les dommages collatéraux qu'ils ont causés.
Le vrai problème, au fond, c'est quand on constate que la démocratie est malmenée par le pouvoir. Quand la confiance a disparu, sur quoi peut bien reposer la démocratie? Il me semble que c'est à ce moment-là que la population doit se tenir debout en espérant que le tort ne soit pas irréparable. Ce que nous vivons au Québec en ce moment a donné tout son sens au cynisme, qui est devenu notre lot quotidien.
On nous a menti. On nous a traités avec mépris. Les dossiers sont nombreux sur lesquels nos dirigeants n'ont pas manqué de nous faire savoir que ce n'était pas de nos affaires. À Ottawa, on veut abolir le registre des armes à feu, et à Québec, on s'apprête à brader une ressource naturelle comme le faisait Maurice Duplessis en nous disant: «Toé, tais-toé!» Et nos leaders voudraient qu'on les encense et qu'on les admire? Ça va être difficile.
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*Le Dernier Mort de Mitterrand, Raphaëlle Bacqué, Grasset-Albin Michel, 2010.
Le pouvoir et ses pièges
On nous a menti. On nous a traités avec mépris. Les dossiers sont nombreux sur lesquels nos dirigeants n'ont pas manqué de nous faire savoir que ce n'était pas de nos affaires.
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