Le premier ministre Charest n'a pas semblé très impressionné par les «cols rouges» qui ont envahi la colline parlementaire dimanche. Il en faudra certainement plus pour le convaincre d'adoucir les mesures annoncées dans le budget du 30 mars dernier.
Quand il a débarqué à Québec, en 1998, M. Charest se présentait volontiers comme un émule du premier ministre de l'Ontario, Mike Harris, dont la «révolution du bon sens» avait bouleversé une province traditionnellement peu encline aux perturbations sociales.
En octobre 1995, le gouvernement Harris avait provoqué une vague d'indignation en faisant installer des barrières coulées dans le ciment pour interdire l'accès à l'Assemblée législative aux hordes de manifestants qui protestaient contre des compressions budgétaires massives. «Est-ce un parlement ou une forteresse?» avait lancé un député néo-démocrate, qualifiant M. Harris de «dictateur».
Pendant des semaines, le parlement de Queen's Park a été littéralement assiégé. Trois mois plus tard, les fonctionnaires ontariens, inquiets de leurs emplois, déclenchaient la première grève générale de leur histoire, qui avait duré cinq semaines.
Peine perdue, «Mike the Knife» est demeuré inébranlable. Les compressions ont été maintenues et 10 000 postes ont été supprimés d'un coup. Résultat: quatre ans plus tard, les conservateurs ont été réélus haut la main.
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Le sondage de Léger Marketing dont Le Devoir a publié les résultats hier donne la mesure de la colère provoquée par le premier budget de Raymond Bachand. Même durant le premier mandat, où les bourdes s'étaient multipliées, le taux d'insatisfaction à l'endroit du gouvernement Charest n'avait pas atteint un tel sommet (77 %) et les révélations spectaculaires sur le financement du PLQ faites hier à Radio-Canada par l'ancien ministre de la Justice, Marc Bellemare, ne sont pas de nature à améliorer les choses.
Il n'y aura cependant pas d'élections générales avant trois ans. La reprise économique aidant, la grogne pourrait s'estomper. Au cours des prochains mois, un affrontement avec les syndicats du secteur public pourrait également profiter au gouvernement, comme il avait profité à Mike Harris.
Il y a néanmoins une différence de taille. Le gouvernement Harris avait décrété des compressions budgétaires pour financer les baisses d'impôt promises durant la campagne électorale, tandis que M. Bachand a annoncé à la fois des compressions et des hausses de taxes et de tarifs.
Même au moment où Queen's Park était en état de siège, le gouvernement Harris, qui en était à son premier mandat, avait conservé l'appui de la moitié des électeurs ontariens. Le budget Bachand a plutôt ajouté à une insatisfaction déjà chronique, ce qui le rend encore plus indigeste.
M. Harris mécontentait surtout les progressistes ontariens. Tous ceux qui pestent contre le budget Bachand ne sont pas nécessairement des défenseurs du «modèle québécois» hostiles aux compressions budgétaires. Plusieurs trouvent au contraire qu'il y a «trop» d'État et craignent surtout que les compressions ne soient pas au rendez-vous.
Il était humiliant, mais relativement aisé de reculer sur la «réingénierie», dont les contours demeuraient plutôt flous. D'ailleurs, on a assez bien réussi à présenter cet échec comme celui de l'ancienne présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget.
Un budget est d'une tout autre nature. Une fois adopté, il a force de loi. Si M. Bachand a pu y inclure des dispositions aussi risquées sur le plan politique, c'est que le premier ministre lui avait donné un appui sans réserve. Maintenant que M. Charest a fait son lit, une retraite devant le péril rouge semble impensable.
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Deux députés péquistes, de même que le chef de l'ADQ, Gérard Deltell, s'étaient joints à la manifestation de dimanche. Le sondage Léger Marketing-Le Devoir démontre toutefois que les partis d'opposition ne profitent pas comme ils le devraient de l'insatisfaction à l'endroit du gouvernement.
Certes, le PQ obtiendrait une majorité de sièges si des élections générales avaient lieu maintenant, mais les intentions de vote pour le PQ (40 %) sont exactement les mêmes qu'il y a un an.
Pauline Marois a eu beau changer sa personnalité et sa garde-robe, comme elle l'a elle-même expliqué, la population ne lui trouve pas plus l'air d'une première ministre. Sa popularité personnelle a même baissé de 3 points depuis le printemps 2009.
Quand elle a officiellement succédé à André Boisclair en juin 2007, 37 % des Québécois voyaient en elle la plus apte à occuper le poste de chef du gouvernement. Ils ne sont plus que 27 %. Si elle y accède un jour, ce sera plus par défaut qu'en raison des qualités qu'on lui prête.
Il y a deux ans, seulement 5 % des personnes interrogées par Léger Marketing se disaient incapables d'exprimer une préférence ou refusaient de le faire. À la veille des élections de décembre 2008, cette proportion était de 10 %. Aujourd'hui, elle s'élève à 39 %.
Manifestement, le vide laissé par l'effondrement de l'ADQ et le départ de Mario Dumont n'a pas été comblé et chacun sait que la politique a horreur du vide. Or, le seul parti où un changement de chef est sérieusement envisageable d'ici les prochaines élections est le PLQ.
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