Le pays anglais

Recensement 2006 - Langue française

Je pense que cela a commencé sous Jean Chrétien. Les libéraux n'ont jamais cru au biculturalisme. Quant au bilinguisme, c'était une affaire d'interprètes et de traducteurs, qu'ils auraient volontiers remplacés par des ordinateurs s'ils avaient pu. Paul Martin, pour le peu de temps qu'il fut à la tête du gouvernement, n'a pas arrangé les affaires: les francophones n'avaient même plus droit de cité dans sa capitale.
Stephen Harper approche la question en pragmatique. Exemple éclatant de l'efficacité et du succès des classes d'immersion jusque dans l'Ouest du pays, le nouveau premier ministre parle plutôt bien le français - il le massacre moins, en tout cas, que Paul Martin, voire que Jean Chrétien! Il le célèbre et le met en évidence dans les réunions internationales, même celles où le français n'a aucun statut comme le G8 ou le Commonwealth.
Mais Harper doit s'arranger avec le parti et les élus qu'il a. Il a dû se résoudre à nommer des ministres unilingues anglophones alors qu'en théorie tous les ministères, des sous-ministres aux réceptionnistes, doivent pouvoir fonctionner dans les deux langues. Avec ce manque flagrant de leadership, ce qui devait arriver arriva: on dispense des groupes importants de la fonction publique et des forces armées de tout effort de bilinguisme - comprendre tout effort de parler français. Car il serait impensable de tolérer des services fédéraux unilingues francophones.
Effets pervers
Ce laisser aller, que signale le nouveau Commissaire aux Langues officielles, Graham Fraser, dans son premier rapport au Parlement - et qu'il avait souvent relevé dans des articles du Globe & Mail et dans son livre, Sorry, I Don't Speak French -, a des effets pervers dans toutes les sphères d'activité de l'économie, et parmi toutes les classes de la société canadienne. Comme l'a démontrée l'enquête du Journal cette semaine, des entreprises très publiques comme La Baie, Starbucks ou Krispy Kreme n'offrent pratiquement aucun service téléphonique en français à leur clientèle francophone.
La réaction du secteur privé - surtout s'il s'agit de filiales d'entreprises étrangères - est compréhensible: pourquoi feraient-elles l'effort d'être fonctionnellement bilingues si, par l'attitude du gouvernement national et la pratique dans l'ensemble du pays, elles ont l'impression d'être dans un pays anglais? D'ailleurs, on ne peut pas vivre entièrement en français dans la capitale du pays, Ottawa. Tant au plan de la vie quotidienne que des loisirs culturels, la disponibilité de services en français est très limitée. Je le sais, j'ai vécu 17 ans là bas!
Point de non retour
Je pense personnellement que le Canada a atteint un point de non retour et que ce n'est qu'une question de temps avant qu'il ne soit, dans les faits, un pays unilingue anglophone. Certes, quelques sursauts spectaculaires comme le Plan de 2003 de Stéphane Dion pour les Langues officielles, ou les discours jovialistes de ministres juniors de service comme Josée Verner, et surtout l'acharnement exemplaire des communautés francophones de l'extérieur du Québec à survivre, vont maintenir l'illusion pendant quelque temps encore! Mais dans les faits, le Canada a abandonné tout effort pour s'assurer qu'il reste un pays bilingue.
Par exemple, le Canada n'est pas seulement un pays bilingue mais il utilise deux systèmes juridiques - le Droit commun au Canada anglais, et le Code civil au Québec. Or les Facultés de droit à deux exceptions près, McGill et Ottawa, n'enseignent que l'un ou l'autre des pratiques de Droit. Les Écoles de journalisme du reste du Canada n'exigent jamais la connaissance du français pour accorder un diplôme aux futurs journalistes. Il s'ensuit les plus grands malentendus, parfois des préjugés, entre les deux groupes fondateurs du pays.
Bilingue?
D'ailleurs, quel est ce pays très officiellement bilingue dont les universités n'exigent jamais, contrairement à ce qui se fait dans beaucoup d'autres pays, une connaissance minimale de la deuxième langue officielle du pays? Comment un touriste français ou américain peut-il croire qu'il se trouve dans un pays bilingue quand il est incapable de se faire soigner en anglais dans certaines villes du Québec ou en français dans le reste du pays? La même remarque vaut certainement pour ces touristes qui utilisent les services d'Air Canada ou qui passent par les services des Douanes canadiennes.
En fait, disons les choses comme elles sont: le Canada n'est plus un pays bilingue. Pire encore: il n'y croit plus...
Il y a une semaine... Seulement?
Quelque chose ne va plus dans le déroulement de l'actualité. Samedi dernier, je vous parlais de l'affrontement prévu entre Gilles Duceppe et Pauline Marois dans la course pour la présidence du Parti québécois. Mais avant que vous ayez fini de lire cette chronique, elle était déjà périmée!
Est-ce l'histoire qui s'accélère? Ou les médias qui, concurrence des chaînes télévisées d'information en continu comme LCN et RDI aidant, vont trop vite à créer la nouvelle? Ou les politiciens qui improvisent? Une chose est sûre, il y a quelque chose de malsain dans cette façon de fonctionner.
J'ai déjà parlé de «l'époque des chefs jetables», comme les briquets et les stylos «jetables». C'est pire en fait. La décision de se porter candidat à la présidence du Parti québécois semble si peu importante qu'on peut annoncer un vendredi matin que la fonction intéresse et déclarer, moins de 24 heures plus tard, que tout compte fait elle n'intéresse plus! C'est le plus grand coït interrompu de son histoire auquel le Québec tout entier a assisté le week-end dernier!
Indispensable
Et l'événement était tellement gros, le précédent tellement unique, qu'il donna lieu aux explications les plus abracadabrantes qu'on ait pu imaginer. En 2005, après le départ de Bernard Landry, Gilles Duceppe se prétendait indispensable à Ottawa et «se sacrifiait» dans l'intérêt supérieur de la nation. Cette année, c'est encore dans l'intérêt supérieur de la cause que le chef du Bloc s'efface devant l'ancienne ministre Pauline Marois. L'ancien journaliste Bernard Drainville, qui a bien failli manquer une carrière de 'cheer leader', se répandait en cris d'admiration pour le «courage» de Gilles Duceppe.
On ne peut pas perdre dans le mouvement souverainiste: même l'improvisation devient courage et abnégation!


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