Cette année, le patrimoine culturel a fait l’objet d’une attention médiatique et politique sans précédent. Évidemment, il faut se questionner sur les conséquences concrètes de cette attention. La démolition d’immeubles patrimoniaux qui ne sont pas classés pourra-t-elle être évitée à l’avenir ? Les prochains mois nous permettront d’y voir plus clair.
Par contre, les événements de cet automne (Château Beauce de Sainte-Marie, maison Boileau de Chambly et moulin du Petit-Sault de L’Isle-Verte) ont véritablement favorisé une prise de conscience populaire. De plus en plus, l’idée que le patrimoine est une ressource collective qui doit être protégée a fait, pour le mieux, son chemin dans les esprits. C’est déjà beaucoup, car notre retard en ce domaine est important. Il l’aurait été davantage n’eussent été les pionniers comme Paul Gouin, Gérard Morisset et autres précurseurs qui ont constaté bien avant nous la fragilité de cette ressource.
Tout le débat sur la protection du patrimoine ouvre la porte à des questions plus larges, qui se rattachent à la vision que nous entretenons de notre passé, mais également au présent et à l’avenir. L’aménagement du territoire en fait certainement partie. Notre territoire est un espace commun qui doit être habité à la hauteur de nos aspirations collectives. Les démolitions récentes nous ont permis de constater que, dans bien des cas, le patrimoine n’est pas considéré comme une source de développement du territoire. Que la continuité historique du Québec se rompt par la construction d’édifices et d’infrastructures qui ne s’intègrent pas à notre trame territoriale. Toute cette banalisation et cette uniformisation de nos milieux de vie ne sont-elles pas un signe de notre appauvrissement culturel ? De la victoire de l’individuel sur le collectif ?
Une question de culture
Il faut rappeler que la protection du patrimoine est d’abord et avant tout une question de culture. Tous les peuples du monde, d’une manière ou d’une autre, cherchent à mettre en valeur les traces particulières de leur évolution collective, les repères de leur cheminement culturel. Le débat sur le patrimoine dépasse les frontières du Québec. Il pose la question de la place de la culture dans la société, à une époque où le vent de la surconsommation et de l’uniformisation déracine collectivités et individus.
Et au Québec, se poser la question de la place de la culture dans la société, c’est inévitablement se demander de quelle société on parle exactement. Le patrimoine est une matérialisation de l’identité culturelle distincte du Québec. Les immeubles anciens, le patrimoine immatériel et les paysages sont des traces de la singularité de notre parcours en Amérique.
Pour ma part, c’est en lisant davantage sur l’évolution de nos maisons traditionnelles — uniques au monde — que j’ai pris la pleine mesure de notre richesse culturelle. C’est en visitant la Gaspésie, Charlevoix ou l’Estrie que j’ai compris que notre parcours ne se lit pas uniquement dans l’histoire, mais également dans notre territoire, et que c’est pour cette raison que nous devons en prendre soin. Combien de Saint-Élie-de-Caxton restent à raconter au Québec ? Combien de Côte-Nord restent à chanter ? De L’Île-d’Orléans à préserver ? Beaucoup, si nous le voulons. Il faudra que les gens de ma génération se lèvent pour empêcher ce développement contraire à nos intérêts. Sans cette mobilisation, les nécessaires changements en ce domaine ne seront pas à l’ordre du jour politique. Le Québec continuera à s’enlaidir et à perdre une partie de son âme.
Ce qu’il faut souhaiter en 2019, c’est que le Québec s’approprie pleinement son patrimoine. Qu’il découvre son potentiel immense pour nous permettre de prendre conscience de notre histoire dans une perspective qui favorise l’humanisme au populisme, la culture à l’ignorance et le bois au vinyle !