Si, pendant des siècles, la valeur d’un individu s’est mesurée en fonction de sa capacité de travail devenue ensuite capacité de production, aujourd’hui il ne vaut que par sa capacité à consommer. Cette capacité, somme toute limitée, fait l’objet de toutes les convoitises générant diverses études ayant toutes pour but de chercher la meilleure manière d’oriente les choix individuels ou, dit plus clairement, comment manipuler les gens. Après le marketing, voici le neuromarketing, en attendant le psycho-endocrino-marketing ou quelque chose du même genre…
A – Les origines du NeuroMarketing
Des études de marchés, aux stratégies en passant par le mix-marketing, tout a toujours tourné, pour les responsables du marketing, autour de deux obsessions : pénétrer dans votre esprit pour connaître vos pensées et activer le bouton qui vous fera acheter. Que dois-je faire pour que mon produit plaise, pour que ma marque reste gravée dans la mémoire des consommateurs et comment agir sur leur comportement d’achat ?
Au fil du temps, les traditionnelles recherches de marché, questionnaires, sondages, groupes de discussion ont montré leur limite. C’est bien connu que 80% à 90% des produits lancés sur le marché, échouent au cours de la première année. Pourtant, des études ont précédé leur lancement. Il y a donc un fossé entre ce que les gens disent et ce que les gens font. Les questionnaires sont biaisés, le fait même de poser la question, fausse la réponse. Les groupes de discussions peuvent être complètement « phagocytés » par un personnage qui prendrait le pouvoir sur les autres d’un point de vue mental ou à cause de sa personnalité.
Neurologues et Psychosociaux se sont penchés sur la question et leur réponse est sans appel : les consommateurs ne disent pas la vérité. Pourquoi ? Parce que si on regarde vraiment comment nos décisions sont prises, il y a une grande part d’émotion. Nous sommes irrationnels, 85% de nos actions sont profondément irrationnelles.
Elizabeth Loftus (Professeur de psychologie, Irvine, CA) a pu démontrer que les souvenirs pouvaient être largement déformés par des événements plus tardifs et notamment par des questions ultérieures. Ainsi faisant voir des diapositives relatant un accident de la circulation, une voiture verte renverse un cycliste en voulant éviter un poids lourd. Si plus tard on pose la question : Pourquoi la voiture bleue a-t-elle renversé le cycliste ? plusieurs » témoins » confirmeront que la voiture était bleue. La mémoire est un processus de construction (voir paragraphe II_C). Cette construction évolue au cours du temps et peut se transformer en reconstituant des éléments manquants en fonction d’une meilleure logique de l’histoire, ou en agglomérant des éléments qui proviennent d’autres événements, comme dans la question posée.
Alors comment mesurer de façon sûre et objective l’impact d’une publicité, d’une marque, d’un message publicitaire ? C’est Read Montague, un neurologue Américain, qui en a eu l’idée.Pepsi mena une série de campagnes publicitaires entre 1970 et 1980, montrant des consommateurs effectuant un test à l’aveugle de leur boisson comparée à celle du leader du marché : Coca-Cola. Le Pepsi sortait largement vainqueur de ces tests.
En 2003, Read Montague se souvint de ces tests et se demanda pourquoi si les gens donnaient la préférence à Pepsi lors de tests à l’aveugle, cette marque ne dominait pas le marché. Il refit les mêmes tests et s’aperçut que si les gens préféraient Pepsi lorsque la dégustation se faisait en aveugle, les résultats étaient diamétralement opposés lorsque les testeurs avaient connaissance de la marque de la boisson qu’ils savouraient. Comment expliquer ce changement d’opinion ? C’est là que Read Montague eut une idée simple et géniale. Il refit l’expérience en mettant les consommateurs dans un scanner IRM. Et là, il put constater que les deux tests ne faisaient pas réagir les mêmes zones dans le cerveau des testeurs. Lorsque ces derniers font le test à l’aveugle, une partie bien précise de leur cerveau, le putamen, réagit violemment. Le putamen fait partie de notre cerveau primitif, il serait le siège des plaisirs immédiats et instinctifs. Alors que quand les dégustateurs connaissent la marque de la boisson qu’ils testent, la zone primitive du cerveau n’est plus activée et c’est une autre zone dans le cortex préfrontale (c’est-à-dire la zone de la conscience) qui est activée. Visiblement notre cerveau primitif prend des décisions (j’aime, j’aime pas) et finalement la conscience vient inhiber cette décision. Toute l’imagerie Coca-Cola, tout le branding qui est fait autour de cette marque, les publicités, vont venir changer le choix et la préférence des consommateurs. Quand on leur montre la marque, ils déclarent préférer Coca et le cerveau montre qu’ils aiment moins Pepsi puisqu’il n’y a pas d’activation de la zone de plaisir.
Ce résultat jeta les bases d’un nouveau domaine de recherches : le NEUROMARKETING ou l’étude des réactions du cerveau aux publicités, aux marques et aux messages qui font partie du paysage culturel. Pour Read Montague les sujets se rappelaient des images et des messages publicitaires de Coca-Cola et la marque se substituait dans leur cerveau à leur jugement.
B – Peut-on lire dans les pensées ?
Nous allons développer dans les chapitres qui suivent ce qu’est exactement le neuromarketing, ce qu’il apporte et quelles sont ses limites. Mais que disent les scientifiques ? Peut-on lire dans la pensée des gens ? Si je pense très fortement à un objet, une machine peut-elle « deviner » cet objet ? Il paraît que oui.
Marcel Just (Center for Cognitive Brain Imaging, Carnegie Mellon University, Pittsburgh) et son équipe ont mis au point un logiciel capable de reconnaître des mots auxquels on pense sous IRM. Mots que l’ordinateur devine en regardant l’activité du cerveau. Pas très rassurant si on songe à l’usage que certains pourraient en faire.
Interrogé à ce sujet, le professeur Marcel Just aurait répondu : « Depuis quelques années, on utilise l’IRM pour identifier le contenu des pensées. Grâce à de nouveaux outils de traitement des données et des machines plus intelligentes, nous sommes capables d’établir un lien entre un schéma d’activité cérébrale et un certain type de pensée. Cela veut dire que quand nous pensons à une chaise, à une pomme, à un marteau, ou n’importe quel objet physique, il se passe des choses semblables dans nos cerveaux.
D’ici dix ou vingt ans, on n’aura plus besoin de l’IRM. L’activité électromagnétique du cerveau, sera détectée par de simples capteurs. On aura peut-être un petit matériel portatif, avec lequel on pourra voir ce qu’il se passe dans le cerveau d’un autre. Ce sera un peu comme un camp de nudisme mental. Je ne sais pas comment éviter que ce soit mal utilisé. C’est un nouveau savoir formidable. Ça peut sûrement être utilisé à des mauvaises fins. On s’inquiète à propos d’interrogatoires de police, du neuromarketing, etc … Bien sûr, on pourra l’utiliser pour de mauvaises raisons. Aujourd’hui, la coopération des gens est nécessaire. On doit faire exprès de penser à une pomme pour que ça marche. Mais au fil du temps, il faudra moins de coopération. Est-ce mauvais si chacun sait à quoi vous pensez ? Ce serait la fin de la vie privée. Au fur et à mesure que la science se développe, les possibilités de manipuler, en bien ou en mal, l’être humain sont absolument énormes. Je crois que nous pourrons modifier la race humaine. Voulons-nous créer une nouvelle espèce ? Je crois que nous en aurons les moyens. C’est au-delà de tout ce que je peux imaginer. Le voulons-nous vraiment ? C’est une des plus formidables questions auxquelles nous aurons à répondre. Et c’est pour bientôt. »
Rassurés ?
C – Sommes-nous manipulés ?
Bon, admettons, on pourra « voir » à quoi je pense, mais pourra-t-on changer mon comportement ? Pourra-t-on me manipuler ? Autrement dit peut-on agir sur mon inconscient pour piloter mes décisions ?
En 1957 déjà, un certain James Vicary responsable marketing affirma que, grâce à l’insertion d’images subliminales telles que « Buvez du Coca-Cola » ou « Mangez du pop-corn », les ventes avaient augmenté de 18% pour le Coca-Cola et de 50% pour le pop-corn. On apprit plus tard qu’il s’agissait d’une escroquerie. Au chômage, James avait fait une fausse annonce avec la complicité d’un animateur de radio. Il prit la fuite après avoir empoché des contrats d’agences de publicité.
L’image subliminale est l’insertion d’une image hors contexte (promotionnelle, par exemple), parmi les 24 images par seconde qui sont projetées sur l’écran. L’image ne s’affichera que 40 millisecondes et ne pourra donc pas être perçue consciemment par le spectateur, mais pourrait être enregistrée par le cerveau malgré tout. Aussitôt, les messages subliminaux furent interdits aux USA et en Europe.
Peu d’études ont été réalisées pour démontrer l’impact réel des messages subliminaux et on ne sait pas si les publicitaires ont eu recours à cette technique. Il n’empêche que cela ouvrit une brèche dans les croyances des consommateurs et l’on pensa dès lors que le cerveau pouvait être stimulé afin de modifier le comportement de quelqu’un.
Le message subliminal n’est pas forcément une image, il peut être sonore. À Louvain (BE), à l’institut de gestion et d’administration, des tests ont été effectués. Alors que des personnes sont supposées tester un logiciel de conduite automobile, le manipulateur propose de brancher la radio. Des noms de marques sont insérées dans l’émission, mais les cobayes n’y prêtent pas attention, trop occupés à conduire. Après le test, l’air de rien, on revient sur les pubs. La majorité de ces personnes prétendent ne pas avoir entendu de publicité. Sous prétexte d’un test auditif, on leur fait alors écouter un dialogue extrêmement dégradé dans lequel on insère à nouveau ces noms de marques. Les personnes vont alors très vite les reconnaître malgré que ces noms sont à peine audibles. Tout se passe comme si les cobayes reconnaissait le message alors qu’ils prétendaient ne pas l’avoir entendu. Le message publicitaire est allé se loger dans la mémoire implicite.
Mais la science avance et Daria Knoch, professeur au département de psychologie sociale et affective de l’université de Bâle, a réussi l’exploit de modifier le comportement d’un sujet. Cette scientifique de réputation internationale connaît de près les méandres du cortex préfrontal latéral, une zone qui joue un rôle important dans la prise de décision. Daria Knoch a mis au point une technique permettant de désactiver temporairement cette zone donc d’influencer directement votre comportement et vos décisions. Il s’agit de stimulations magnétiques, indolores et non invasives. Les impulsions pénètrent dans le cortex frontal et en neutralisent une petite zone.
Nos recherches démontrent clairement, explique Daria Knoch, nous l’avons constaté au travers de neuf études, que lorsque nous stimulons une zone bien précise sur la partie frontale du cerveau, les gens peuvent changer de comportement en devenant par exemple plus impulsifs, moins corrects. Et on peut agir aussi sur d’autres dimensions du comportement.
De quoi faire frémir ! Serons-nous encore capables de décider par nous-mêmes ?
Il est vrai que ces manipulations peuvent aussi servir à des fins thérapeutiques. En stimulant certaines zones du cortex, il est possible de limiter les addictions, d’atténuer les troubles alimentaires ou les toxicomanies. Et les techniques d’influence mises au point par les psychologues sociaux, sont aujourd’hui utilisées dans des campagnes de santé publique, par exemple pour inciter les gens à se faire vacciner ou à faire don de leurs organes. La manipulation n’est donc qu’un outil, tout dépend comment on s’en sert. Il n’empêche qu’au service d’une dictature, il peut s’avérer redoutable.
D – Et la politique, s’est-elle servie de ces techniques ?
Peu avant la campagne présidentielle de 1988, le visage du candidat et président sortant, François Mitterrand, serait apparu discrètement dans le générique du journal de la chaîne Antenne 2 (France 2). Les images furent rapidement retirées, et le procès intenté pour « manipulation électorale » fut perdu, car l’« image » durait plus d’un vingt-cinquième de seconde, ce qui excluait la qualification de subliminale.
Selon Olivier Oullier professeur en neurosciences (université Aix-Marseille) : « En 2004, les neurosciences ont permis de façonner les campagnes de pub des candidats aux États-Unis afin de toucher le plus grand nombre d’électeurs.
Les études ont porté sur les types d’images à mettre dans les spots publicitaires de la campagne Bush / Kerry. Par exemple, l’impact des images du 11 septembre (on voyait en arrière-plan les twin towers qui s’effondraient).
Lors de la dernière campagne (Obama / McCain) les cerveaux des électeurs américains ont été étudiés de près. De grand cabinet de conseil ont épluché leurs réactions et décortiqué leurs différentes zones neuronales. Ils voulaient ainsi connaître l’impact des candidats auprès des électeurs et savoir si un homme de couleur pouvait devenir Président des États-Unis. Plusieurs compagnies aux USA étaient sur les starting-blocks avant cette campagne sachant que ça allait être une vache à lait une corne d’abondance pour trouver des fonds et faire fonctionner les compagnies de neuromarketing encore une fois indépendamment de la qualité de l’analyse. Le pouvoir de l’image du cerveau est énorme. »
E – A-t-on abordé les dangers d’un mauvais usage ?
Les possibilités du NEUROMARKETING sont donc importantes et il est à parier qu’elles le seront encore plus à l’avenir au regard des progrès scientifiques. Quant aux dangers que cette science représente … je laisse la parole à ceux qui engendrent ce progrès :
A.K. Pradeep, PDG de NeuroFocus, Berkley USA (l’une des plus grosses entreprises de neuromarketing dans le monde) : « Une bougie peut donner de la lumière, une bougie peut brûler un immeuble. Il faut être prudent quant à l’usage de la bougie et ne pas blâmer la bougie. »
Olivier Oullier Chercheur en neurosciences : « On n’a pas attendu l’imagerie cérébrale par résonance magnétique pour manipuler les gens et les faire acheter ce qu’ils ne voulaient pas ou ce qu’ils ne connaissaient pas. C’est le propre du marketing et de la psychologie appliquée aux consommateurs que de l’influencer ou de le manipuler (on peut jouer sur les mots) de le faire adopter des décisions qu’ils ne voulaient pas prendre. »
En attendant, nous sommes exposés à deux millions de pubs TV dans notre vie. C’est comme regarder 8 heures de pubs par jour, 7 jours sur 7 pendant 6 ans. On ne peut pas se souvenir de tout ! Donc pour survivre, nous devons sélectionner. Et nous savons désormais que le cerveau fait la sélection pour nous. Sinon on « crasherait » comme un ordinateur. On ne se souvient que de ce qui est pertinent. Le reste est littéralement effacé de notre cerveau. Et devinez quoi ? 99.9% des pubs sont diffusées hors contexte. C’est pour cela que ça ne marche pas. Et c’est pour ça que les consommateurs sont irrités.
C’est aussi la raison pour laquelle le neuromarketing se développe autant. Parce que l’industrie désespère de trouver le moyen de comprendre notre dimension irrationnelle pour consolider la valeur de la marque dans notre cerveau.
Et il y a la loi ! En France les techniques d’imagerie cérébrale (qui est utilisée dans le NeuroMarketing) ne peuvent être employées qu’à des fins médicales, ou de recherche scientifique (Art.16-14 du code civil). L’imagerie cérébrale à des fins commerciales est donc illégale en France.
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