En réponse à ceux qui prétendent que le multilinguisme fausse les résultats

Le multilinguisme et le déclin (bien réel) du français

Le français — la dynamique du déclin

La mise en garde de Statistique Canada
Puisque le questionnaire a changé par rapport aux années antérieures, Statistique Canada a préféré mettre la population en garde relativement aux possibles biais dans la comparaison avec les données des dernières années, bien qu’ils affirment du même souffle que les données sont bonnes, comparables et peuvent être utilisées sans problème. Selon ceux-ci, le nouveau formulaire pourrait avoir favorisé les réponses multiples pour la langue maternelle, ce qui pourrait avoir comme conséquence de gonfler les chiffres pour le français et l’anglais. Statistique Canada revérifiera cette hypothèse dans les semaines qui suivront afin de confirmer que le changement de formulaire n’a pas eu d’impact sur les données.
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Le multilinguisme et son effet sur la langue française
Tant confirmé par les statisticiens de Statistique Canada que les démographes de l’Institut de recherche sur le Français en Amérique, le français recule de manière incontestable. Vincent Geloso, étudiant au London School of Economics, collaborateur à l’Idée fédérale et blogueur au Huffington Post, a le mérite d’avoir rapidement tenté d’apporter une hypothèse plutôt créative en affirmant que le multilinguisme fausse l’interprétation des résultats. Bien que, comme plusieurs, j’aurais aimé concéder à M. Geloso d’avoir un optimisme justifié pour la situation du français au Québec sur l’unique base du multilinguisme, autant son hypothèse que ses calculs ne font que confirmer que le Québec s’anglicise sur tous les fronts. Voyons pratiquement tous les scénarios imaginables, incluant les scénarios 1 et 2, qui sont ceux prônés par les statisticiens et les démographes, et les scénarios 3 et 4, qui reprennent l’hypothèse plus originale voulant que le multilinguisme masque les progrès du français.
Scénario 1 : Langue plus souvent parlée, catégories mutuellement exclusives
Les calculs de Statistique Canada utilisent plusieurs méthodes pour gérer les réponses multiples; la principale méthode donne un bon aperçu des comportements linguistiques de la population et est la méthode la plus utilisée par les démographes et statisticiens. Celle-ci consiste à utiliser la principale langue parlée à la maison et à répartir les réponses multiples entre les groupes concernés. Par exemple, si vous êtes en couple et affirmez parler « le plus souvent » autant l’anglais que le français à la maison, nous pouvons logiquement déduire que l’un des partenaires est anglophone et l’autre francophone, bien que tous les deux soient parfaitement bilingues (mais il s’agit ici d’une tout autre donnée, la connaissance d’une langue, que nous verrons à la fin du texte). Avec un tel scénario, on additionne au français et à l’anglais une unité chaque (+1 pour le français, +1 pour l’anglais, total de deux unités). L’avantage d’une telle répartition est qu’elle permet une meilleure comparaison entre les groupes tout en préservant un total de 100 % lorsqu’on additionne les trois catégories (francophones, anglophones et allophones). En utilisant cette méthode, le français passe de 81,8 % en 2006 à 81,2 % en 2011, alors que l’anglais progresse de 10,6 % à 10,7 % pour la même période.
Constat : Le français recule, l’anglais progresse.
Scénario 2 : Langue plus souvent parlée à la maison, hypothèse « Justin Trudeau »
Une autre façon de calculer la langue la plus souvent parlée à la maison est de calculer chaque catégorie indépendamment les unes aux autres. Cette méthode, également utilisée par Statistique Canada, a tendance à gonfler les chiffres puisqu’elle additionne les réponses multiples à plus d’un endroit. Reprenons l’exemple du même couple bilingue, qui utilise autant le français que l’anglais à la maison. À moins que les deux partenaires soient de véritables « Justin Trudeau », le scénario le plus probable est que l’un de ceux-ci soit francophone et l’autre anglophone, bien que cela ne soit qu’une hypothèse. Prenons l’hypothèse inverse, soit qu’effectivement ce couple parle couramment « bilingue ». Avec un tel scénario, l’addition des pourcentages de chaque catégorie mène à un pourcentage supérieur à 100 % puisque vous considéreriez le couple bilingue (français et anglais le plus souvent) comme étant à la fois anglophone et francophone (donc +2 pour le français, +2 pour l’anglais, ce qui au final donne quatre unités pour seulement deux individus). Même en utilisant cette méthode, on constate un déclin du français comme langue la plus souvent parlée, passant de 83,9 % en 2001, à 82,7 % en 2006 pour finalement aboutir à 82,5 % en 2011 (-1,4 point depuis 2001). En refaisant le même exercice avec l’anglais, nous constatons que l’anglais augmente de 11,18 % en 2001, à 11,23 % en 2006 à finalement 11,67 % en 2011 (+0,49 point depuis 2001).

Constat : le français recule, l’anglais progresse.

Scénario 3 : Langue la plus souvent parlée à la maison et langue parlée régulièrement, catégories mutuellement exclusives
Troisième scénario pour interpréter les données du recensement : l’ajout des langues parlées régulièrement à la maison dans le calcul. Ce scénario reprend l’hypothèse de M. Geloso, c’est-à-dire que le multilinguisme causé par l’augmentation du nombre d’allophones cause une sous-estimation du groupe francophone. Patrick Sabourin, doctorant à l’INRS, est celui qui a effectué ce calcul dans le but de répondre à l’hypothèse voulant qu’il n’y ait pas d’anglicisation au Québec et que le recul du français soit une illusion causée par l’augmentation du nombre d’immigrants. On reprend donc ici l’hypothèse de Vincent Geloso, tout en préservant l’anglais et le français comme catégories mutuellement exclusives, minimisant ainsi la catégorie « allophones » à ceux qui ne parlent ni le français ni l’anglais à la maison. Afin de préserver l’exclusivité mutuelle des catégories, M. Sabourin a additionné tous ceux qui ont déclaré parler « français seulement », « français le plus souvent et anglais régulièrement » et « français et autre » dans la catégorie « francophone », et vice versa pour l’anglais. Les réponses multiples entre le français et l’anglais (« les deux le plus souvent » et « les deux régulièrement ») ont été réparties également entre les deux groupes. Puisqu’on tente ici de comparer les tendances entre l’anglais et le français, la catégorie allophone est volontairement sous-évaluée. On gonfle donc au maximum les catégories francophone et anglophone tout en maintenant un total de 100 %. Voici les résultats :
Français : 84,7 % en 2001, 84 % en 2006 puis 83,8 % en 2011 (-0,9 point).
Anglais : 11,8 % en 2001, 12 % en 2006 puis 12,2 % en 2011 (+0,4 point).
Autres : 3,4 % en 2001, 4 % en 2006 puis 4 % en 2011 (+0,6 point).
Constat : le français recule, l’anglais progresse.
Scénario 4 : Langue parlée le plus souvent et régulièrement, sous-estimation maximale du groupe allophone.
Dans son premier texte, M. Geloso défendait ce qui semblait être le scénario 3 pour avancer l’idée que le français progressait au Québec. Il a depuis expliqué qu’il fallait calculer chaque catégorie indépendamment des autres et indépendamment du niveau d’utilisation de la langue (ainsi, quelqu’un qui parle anglais le plus souvent et français régulièrement est compté comme étant un francophone) afin d’arriver à sa conclusion que le français progressait au Québec face à l’anglais. J’avais effectué un calcul similaire dans mon précédent billet afin de simplement démontrer que l’usage du français (indépendamment du niveau) diminue dans les foyers québécois alors que l’usage de l’anglais augmente, sans ajouter la catégorie « autres combinaisons » (catégorie pêle-mêle incluant les trilingues et ceux qui parlent deux langues « immigrantes »). Avec un tel scénario, on calcule comme francophone quelqu’un qui parle, par exemple, le plus souvent l’anglais et l’italien à la maison, mais qui parle aussi « régulièrement » le français. On pousse donc à l’extrême l’interprétation des chiffres afin de gonfler le français en ignorant complètement l’assimilation et les préférences linguistiques d’un individu… mais le constat final est tout de même un déclin du français par rapport à l’anglais.
Selon le rapport de Statistique Canada, « plus de » 80 % de ceux qui sont dans la catégorie « autres combinaisons » seraient trilingues (français et anglais inclusivement) pour la région de Montréal. Sur son blogue, M. Geloso invoque 85 % pour l’ensemble du Québec (un chiffre avancé par M. Geloso pour estimer le « plus de 80 % », mais qui n’est nulle part mentionné par Statistique Canada). Prenons les deux extrêmes, 80 % et 100 %, étant donné que « plus de 80 % » est extrêmement vague comme affirmation, surtout lorsque considéré pour l’ensemble du Québec (ce chiffre pourrait donc être en réalité légèrement inférieur pour l’ensemble du Québec).
En ajoutant 80 % de la catégorie « autres combinaisons » au français et à l’anglais, voici les résultats :
Français : 87,3 % (2001), 86,8 % (2006), 86,7 % 2011), perte de 0,6 point.
Anglais : 16,5 % (2001), 17 % (2006), 18 % (2011), gain de 1,5 point.
Constat : le français recule, l’anglais progresse rapidement.
Poussons maintenant au maximum afin de gonfler les pourcentages pour le français en ajoutant 100 % de la catégorie « autres combinaisons » au français et à l’anglais :
Français : 87,5 % (2001), 87 % (2006), 87 % (2011), perte de 0,5 point.
Anglais : 16,7 % (2001), 17,2 % (2006), 18,3 % (2011), gain de 1,6 point.
Constat : le français recule entre 2001 et 2006, puis stagne de 2006 à 2011 (malgré tout une perte par rapport à l’anglais), alors que l’anglais progresse très rapidement.
Conclusion
En fait, peu importe le scénario ou le tour de magie que l’on puisse utiliser pour masquer la réalité, le constat sera toujours le même : le français recule depuis 2001 alors que l’anglais progresse continuellement comme langue d’usage. Même s’il est vrai que les politiques de sélection des immigrants ont amélioré les choses et que nos politiques en matière de langue aident à défendre la langue française, la réalité est que le Québec est plus dépendant que jamais à l’immigration internationale.
Depuis 2001, le nombre d’immigrants admis au Québec a plus que doublé annuellement alors que les migrations interprovinciales ont varié d’année en année. Les fortes pertes migratoires en 2006 et 2007 pourraient expliquer pourquoi le déclin du français est moins rapide que prévu par Statistique Canada. Indépendamment des variations annuelles, l’exode des anglophones vers les autres provinces suffisait autrefois à maintenir la proportion de francophones au Québec alors qu’aujourd’hui seules les politiques linguistiques et de sélection peuvent permettre au français de redevenir la langue commune à Montréal. C’est d’ailleurs dans cette ville et en Outaouais que l’on retrouve la chute la plus marquée du ratio francophone/anglophone.
Si plusieurs semblent satisfaits des gains de la langue française chez les allophones, ceux-ci sont insuffisants pour contrer l’anglicisation de Montréal. Même si, par exemple, 75 % des allophones effectuaient un transfert linguistique vers le français et 25 % vers l’anglais, le français diminuerait alors que l’anglais augmenterait. La raison est simple : prenez une classe de 10 élèves (9 francophones et 1 anglophone, donc à 90 % francophone) et faites entrer 10 nouveaux étudiants (8 francophones et 2 anglophones, donc à 80 % francophone). Le pourcentage initial (90 %) descendra à 85 % (17 francophones et 3 anglophones).
De plus, le pourcentage d’allophones qui effectuent un transfert linguistique au Québec est plutôt faible alors que le taux de transferts linguistiques est présentement estimé à 54-56 % vers le français et 44-46 % vers l’anglais. D’ailleurs, même en considérant uniquement la connaissance des langues officielles, on constate que la connaissance du français au Québec a chuté depuis 2001 (94,6 %, 94,5 % puis 94,4 %), alors que la connaissance de l’anglais a globalement augmenté (45,4 %, 45,1 %* puis 47,2 %)! Afin d’améliorer la situation du français au Québec, il faudra avant tout reconnaître qu’il y a bel et bien un problème, tel que démontré dans tous les scénarios ci-haut. Moderniser nos lois linguistiques, hausser nos budgets en francisation, revoir nos critères de sélections et valoriser notre langue en l’affirmant, voilà tant de pistes de solutions qui devront être explorées!
*Un message circulant sur le web en 2006 suggérait aux francophones de ne pas déclarer connaître l’anglais afin d’éviter de voir le financement des institutions francophones revu à la baisse, ce qui pourrait expliquer la baisse de la connaissance de l’anglais entre 2001 et 2006. Ce message était, selon Statistique Canada, un canular provenant d’une source inconnue.

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Maxime Duchesne25 articles

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Maxime Duchesne est présentement étudiant à HEC Montréal et travaille au Parlement du Canada comme employé contractuel.

Il est détenteur d'une maîtrise en Science politique de l’Université de Montréal depuis novembre 2012 et d'un baccalauréat en Science politique de la même université depuis 2010.

Ses études l’ont mené à passer un trimestre en Chine et à effectuer un stage au Parlement du Canada pour le compte d’un député fédéral. Cette dernière expérience lui a permis d’obtenir un emploi comme adjoint parlementaire contractuel.

Il a également été membre des Forces canadiennes durant plus de six ans. Ses études universitaires se sont centrées autour de la politique québécoise, le nationalisme, la gouvernance et les affaires publiques.

Il détient également un DEC du Collège de Maisonneuve en Informatique de gestion.





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