Proverbe russe : « Si vous avez peur du loup, n’allez pas dans les bois. » L’Occident a commis une bévue en s’aventurant dans la forêt ukrainienne. Il a ainsi irrité le loup russe, pour finalement se rendre compte qu’il n’est pas en mesure de l’affronter.
La question qui se pose désormais : comment se tirer ce mauvais pas ?
La politique de l’Occident repose sur deux postulats erronés. Le premier est que nous devons nous opposer à une Russie revancharde. Plus concrètement : hier la Russie s’est emparée de la Crimée ; aujourd’hui, de l’Ukraine orientale ; demain – qui sait – de l’Estonie, de la Pologne ? Ce genre de considération se reflète exactement dans le cauchemar, pour les Russes, d’une expansion prédatrice de l’OTAN ; hier la Pologne et l’Estonie, aujourd’hui la Géorgie et demain – qui sait – certaines parties de la Russie proprement dite ? Les suspicions mutuelles de 1914 reviennent troubler les esprits.
En fait, avant ce que les Russes ont considéré (dans une certaine mesure à juste titre) comme une offensive en vue de contrôler Kiev en février dernier, rien ne donnait à penser que la Russie puisse être revancharde. Ceux qui font allusion à la Géorgie se trompent : ce sont les Géorgiens qui ont déclaré la guerre en 2008. Toutefois, l’Ukraine représente un dossier particulièrement sensible pour la Russie : les deux pays sont en effet unis par des liens sociaux, culturels et historiques profonds. Kiev est connue comme la « mère des villes russes ». Même en Ukraine, les Russes veulent de l’influence plutôt que des territoires à proprement parler.
L’idée de « résister à Poutine comme nous avons résisté à Hitler » est digne d’une politique de cour de récréation. Poutine, que j’ai largement eu le temps d’observer en tant qu’ambassadeur britannique à Moscou, n’est pas un fanatique mû par l’idéologie. Ce serait plutôt un Talleyrand, calculateur et pragmatique, qui s’attache à redonner à son pays la place qui lui revient dans le monde. Certes, l’annexion de la Crimée était illégale et déstabilisatrice. En fait, c’était surtout une réaction de panique face à des circonstances exceptionnelles, et non une tentative de reconstruction de l’URSS. Bien entendu, nous avons tout à fait raison de rassurer ceux qui se sentent le plus menacés, comme l’OTAN l’a fait en décidant de créer son « fer de lance ». Nous avons raison de condamner la destruction du MH17, au sujet duquel un rapport a confirmé hier qu’il avait presque certainement été abattu. Cependant, l’idée qu’une démonstration de force est nécessaire pour convaincre la Russie que l’OTAN ne plaisante pas est ridicule. Si les Russes ne prenaient pas la garantie de sécurité de l’OTAN au sérieux, pourquoi s’inquiéteraient-ils autant de voir l’Ukraine l’intégrer ?
Le second postulat erroné est que des sanctions économiques peuvent arrêter la Russie. Nous avons pris six fois des sanctions à l’encontre de la Russie depuis la Seconde Guerre Mondiale ; elles n’ont jamais eu d’effet et n’en auront pas davantage cette fois. Au sommet de l’OTAN qui s’est tenu le week-end dernier à Newport, il y avait quelque chose de désespéré dans les affirmations selon lesquelles les sanctions avaient contraint la Russie à accepter le cessez-le-feu actuel. En réalité, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Ukraine ont résisté à l’idée d’un cessez-le-feu qui laissait la Russie maîtresse de l’Ukraine orientale. L’Ukraine n’a accepté le cessez-le-feu que parce qu’elle a soudain commencé à perdre la guerre.
Les sanctions sont un pis-aller en l’absence d’une alternative efficace. Elles ont probablement causé quelques dommages économiques, mais leur seul effet politique a été de rallier les Russes derrière leur président, et de renforcer la conviction de Poutine que c’est une lutte qu’il ne peut pas se permettre de perdre, quel qu’en soit le coût. Même l’opposition russe ne soutient pas ces sanctions.
Les deux dernières semaines ont montré que les Russes sont prêts à aller jusqu’au bout pour atteindre leurs objectifs politiques en Ukraine. Rares sont ceux qui pensent pouvoir en faire autant pour les arrêter. En conséquence, tout ce que nous pouvons faire, c’est prolonger l’agonie et infliger encore plus de misère à l’Ukraine. Heureusement, le fossé entre la rhétorique flamboyante du sommet de Newport et la modération de ses décisions réelles constituait une reconnaissance implicite de cet état de fait. Malgré les demandes de la Pologne, le fer de lance ne sera pas tourné vers les frontières de la Russie. Les forces armées de l’Ukraine recevront également de l’aide de l’OTAN, mais aucun armement sérieux (car elles restent vouées à la défaite).
Pendant ce temps, le sommet n’a fait aucune référence au point le plus sensible pour la Russie : l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Quant aux membres de l’OTAN, ils ont plutôt démenti leurs craintes exprimées en public d’une Russie revancharde par leur réticence à dépenser plus pour la défense. Lorsqu’il m’a été donné de participer à des sommets tels que celui-ci, un engagement, tel que celui du communiqué de l’OTAN, « visant à » augmenter les dépenses revenait à décider de ne rien faire.
D’ailleurs, comme l’ont noté de nombreux commentateurs, les objectifs de la Russie – à savoir, la neutralité de l’Ukraine et des gardes-fous constitutionnels pour la population à l’Est – sont irréalisables. [Après tout], nous traitons avec la Chine, l’Iran ou la Corée du Nord. Ne nous en déplaise, le moment est venu de traiter avec Poutine. Dans une certaine mesure, cela ne devrait pas être trop difficile : en effet, l’Ukraine n’est en aucun cas en mesure d’intégrer l’OTAN dans un avenir proche. Négocier un niveau acceptable d’autonomie pour l’Ukraine orientale s’annonce toutefois beaucoup plus difficile. Les Russes en sont maîtres et ils ne lâcheront pas le morceau tant que leurs exigences n’auront pas été satisfaites.
De son côté, le président de l’Ukraine, M. Porochenko, est confronté à une droite nationaliste que la moindre concession met en rage. Dans ce cas précis, des sanctions pourraient avoir leur utilité si elles sont assorties d’une offre de les lever pour faciliter un accord.
Toute l’affaire soulève des questions dérangeantes quant à la compétence des décideurs occidentaux vis-à-vis de la Russie. La seule porte de sortie de cette confusion est visible depuis des mois. Mais ne jetons la pierre à personne. Les enjeux restent importants. Une Ukraine démocratique et prospère, tournée vers l’Occident (mais pas alliée de celui-ci) a toutes les chances de constituer un exemple important pour ses voisins russes. D’autre part, le rétablissement des liens économiques de l’Occident avec la Russie est également crucial pour tirer ce pays, même lentement et de manière désordonnée, vers la normalité européenne.
Sir Anthony Brenton
L’auteur a été ambassadeur britannique en Russie de 2004 à 2008.
Cet article est paru initialement dans le Daily Telegraph.
Traduit par Gilles Chertier pour Réseau International
Source : http://russia-insider.com/en/politics_ukraine/2014/09/23/02-42-20pm/its_time_back_away_russian_wolf
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