Le miroir

La nation québécoise vue du Québec



Quand Jean Charest lui avait confié la présidence du nouveau comité constitutionnel libéral, au début de 1999, Benoît Pelletier avait cru discerner dans le fédéralisme canadien une «nouvelle dynamique» favorable aux aspirations du Québec.
Au moment où Jean Chrétien venait tout juste de saboter le jeu de la campagne électorale du PLQ, en déclarant que la Constitution canadienne n'était pas un magasin général, on pouvait se demander si M. Pelletier était vraiment aussi naïf qu'il en avait l'air ou s'il prenait les gens pour des valises.
À peine un an avant de faire le saut en politique, le professeur Pelletier avait pourtant écrit: «La volonté politique d'aboutir à une quelconque refonte constitutionnelle qui satisferait en partie le Québec semble plus que jamais faire défaut. Et ce, tant au niveau de l'ordre central qu'au niveau des provinces majoritairement anglophones du pays.»
Aujourd'hui, le professeur est devenu ministre, mais on peut se poser la même question qu'il y a sept ans. Et puisque l'inexpérience ne peut plus être invoquée, l'hypothèse des valises se trouve renforcée.
Depuis que Michael Ignatieff a réussi à faire adopter par la section québécoise du PLC une résolution prévoyant la reconnaissance de la nation québécoise, le Canada anglais tout entier lui est tombé dessus. Le plus influent chroniqueur politique du ROC, Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, l'a même qualifié - en français - d'«idiot savant».
Qu'en conclut le ministre responsable du dossier constitutionnel? «Il y a de l'ouverture par rapport à la reconnaissance de spécificité du Québec.» Sérieusement, c'est ce qu'il a déclaré vendredi dernier, à l'Assemblée nationale, alors qu'il était interpellé par son homologue péquiste, Jonathan Valois, au sujet de la politique constitutionnelle du gouvernement Charest.
Bien entendu, M. Pelletier sait parfaitement à quoi s'en tenir, mais à partir du moment où M. Ignatieff a ouvert la boîte de Pandore, il lui faut bien dire quelque chose. À l'approche des élections générales au Québec, il serait imprudent de laisser à la population l'impression qu'il faudra choisir entre la souveraineté et le statu quo constitutionnel.
Le problème est que M. Ignatieff ne s'est pas contenté d'allumer un incendie au Canada anglais. Il a également haussé la barre de plusieurs crans pour le gouvernement Charest. Peu importe comment les délégués au congrès du PLC tenteront de noyer le poisson, comment un gouvernement québécois digne de ce nom, tout fédéraliste qu'il soit, peut-il désormais exiger moins que la reconnaissance constitutionnelle de la nation québécoise?
Vendredi, Jonathan Valois a bien essayé d'amener M. Pelletier à prendre cet engagement, mais il s'en est bien gardé. Le professeur est devenu un parlementaire aguerri, qui sait très bien embrouiller les choses. En deux heures de débat, il a abondamment parlé de nation et de reconnaissance, mais jamais dans la même phrase. La seule reconnaissance qu'il envisage explicitement est celle de la «spécificité québécoise».
Le ministre savait que chacun de ses mots serait scruté à la loupe. Pas question d'improviser sur une question aussi délicate. Son texte avait été soigneusement préparé. La phrase clé était la suivante: «Il importe davantage de se pencher sur les conséquences juridiques de la reconnaissance de la spécificité québécoise que sur la nature des termes employés.»
Il dit souhaiter «le même type de reconnaissance que l'on trouvait dans Meech, c'est-à-dire une disposition qui servirait éventuellement de clause d'interprétation de la constitution canadienne».
Il sait pourtant que les mots n'ont pas seulement une portée juridique. Pour le commun des mortels, c'est même une considération secondaire. À l'époque, personne n'avait la moindre idée de ce que signifierait concrètement la reconnaissance de la «société distincte», mais son rejet a été vécu comme une véritable humiliation... nationale.
D'ailleurs, le ministre le reconnaît: la constitution est aussi un «miroir dans lequel il est impérieux que Québécois se reconnaissent». Or, ils se voient maintenant comme nation. Qu'à cette nation doive nécessairement correspondre un État souverain est une tout autre question.
Le 13 octobre dernier, M. Pelletier écrivait lui-même dans Le Devoir: «Le Québec est bel et bien une nation au sens sociologique et politique.» Voilà qui est clair. Il ajoutait: «Il est bien pour une société de s'affirmer comme nation, mais il est encore mieux d'être respectée et reconnue comme telle.»
Dans son rapport rendu public en 2001, le comité Pelletier insistait déjà sur le message positif que constituerait la reconnaissance de la spécificité québécoise, mais deux ans de travaux n'avaient pas suffi à la définir. Pourquoi aller au-devant des ennuis? Convaincu que personne n'avait envie de rouvrir le dossier constitutionnel, M. Charest avait commandé une politique qui n'était valable que dans la mesure où elle n'était pas appliquée.
À cet égard, rien n'a changé. Vendredi, il était assez savoureux d'entendre M. Pelletier avertir ceux qui craignent une reprise du débat constitutionnel qu'elle est inévitable. En réalité, il doit être un de ceux que cette perspective effraie le plus.
À l'époque de Meech, Robert Bourassa avait pu compter sur l'appui de la grande majorité des Québécois, mais Jean Charest serait coincé. À moins de réclamer officiellement la reconnaissance de la nation québécoise, ses demandes seraient jugées insuffisantes. Et s'il l'exigeait, le refus du Canada anglais serait immédiat.
Heureusement, il n'y aura pas de reprise des négociations, mais l'incroyable bourde de M. Ignatieff a déjà eu pour effet de mettre en lumière la fragilité de la position constitutionnelle du gouvernement Charest. M. Pelletier a peut-être fait de grands progrès en politique, mais le miroir ne trompe pas. Lui-même devrait peut-être s'y regarder.
mdavid@ledevoir.com


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