Même si les musulmans forment aujourd’hui près du quart de la population mondiale, ils sont toujours peu ou mal représentés dans l’univers du jeu vidéo, l’une des plus importantes industries culturelles de notre époque. À Montréal, un concepteur d’origine irakienne tente de sensibiliser ses collègues à la diversité du monde musulman, pour que les jeux qu’ils produisent permettent de lutter petit à petit contre l’islamophobie.
Dans une salle du Palais des congrès de Montréal, une trentaine de représentants de l’industrie du jeu vidéo sont venus écouter mardi les conseils d’Osama Dorias dans le cadre du MIGS, le Sommet international du jeu vidéo de Montréal. Sur scène, ce designer de jeu senior chez WB Games Montréal, l’un des plus gros studios de la métropole, commence sa présentation en leur expliquant comment le cinéma a influencé la manière avec laquelle les jeux vidéo sont produits depuis des années.
Les images de dangereux musulmans enturbannés sont tenaces, et les créateurs de jeux vidéo n’hésitent pas à les reproduire sans trop se poser de questions, déplore-t-il.
« Personne ne m’a dit : “Je veux mal représenter les musulmans”, explique celui qui dirige également le programme de jeu vidéo du collège Dawson. Pour certains, c’est simplement que ça va de soi. On imite ce qu’on a vu dans un film populaire ou un jeu populaire. On se dit que si le film s’est vendu et qu’il n’y a pas eu de problème, on peut le refaire. C’est un cercle vicieux. »
Osama Dorias estime qu’au moment où les conflits ayant une dimension religieuse se multiplient à travers le monde, il est essentiel d’utiliser le jeu vidéo comme courroie de transmission pour calmer le jeu et faire tomber les oeillères.
Large portée
« Les jeux vidéo sont perçus comme étant seulement pour les enfants, mais ce n’est pas vrai. Les statistiques prouvent que c’est un média important, qui a un grand impact sur la société », dit-il.
Selon les données compilées cette année par l’Association canadienne du logiciel de divertissement, 37 % des Canadiens se considèrent comme des joueurs et l’âge moyen du joueur canadien est de 36 ans.
« Chez les non-musulmans, une meilleure représentation des musulmans va faire en sorte qu’il y aura moins de cas d’islamophobie, parce que les joueurs vont constater que les musulmans forment une population diversifiée. Et pour les musulmans, ça va apporter un sentiment d’appartenance », prédit-il.
Trois conseils
Comment tenir compte de la réalité musulmane tout en évitant les clichés ? Mardi, Osama Dorias a offert trois conseils aux personnes venues l’entendre.
La règle d’or, a-t-il insisté, est de rechercher l’authenticité. Un musulman ne porte pas toujours un turban, et un non-musulman peut en porter un, fait-il remarquer. « Nous arrivons à le savoir si ce ne sont pas des musulmans qui racontent notre histoire, tout comme je suis certain que vous pourriez le savoir si un auteur étranger racontait une histoire canadienne ou américaine en utilisant certains stéréotypes », a-t-il lancé à son auditoire.
Cela vaut pour les personnages, qui doivent être crédibles à tous points de vue, mais aussi pour la voix des acteurs, la musique ou l’environnement dans lequel se déroule le jeu.
Mais pour parvenir à créer des personnages et des environnements musulmans crédibles, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. « Parlez-nous. Les gens ont peur d’être offensants. Mais en réalité, c’est plus offensant de ne rien demander et d’aller de l’avant avec une mauvaise idée. »
Finalement, conclut Osama Dorias, il ne faut pas « accumuler des jetons » pour se donner bonne conscience. « Je sais qu’actuellement, il y a un désir d’avoir une large représentation dans les jeux vidéo. On crée un personnage musulman, une lesbienne, un amputé, un Noir… On coche toutes les cases et le reste de la distribution est composé d’hommes blancs. Ce n’est pas de cette façon-là que ça doit fonctionner. »
Exemples à suivre
Parmi les exemples réussis de représentation musulmane, le cofondateur du Festival indépendant ludique de Montréal cite la série Assassin’s Creed, produite par Ubisoft, dont le premier jeu, sorti en 2007, a démontré une réelle volonté de sortir des sentiers battus.
Au sein de l’industrie du jeu vidéo, la plupart s’entendent cependant pour dire que le jeu Overwatch, sorti en 2016 par Blizzard, fait figure d’exemple à suivre.
L’action qui se déroule dans un monde futuriste met notamment en scène Ana, une guerrière portant un voile sous son armure. La religion n’occupe pas une place prédominante dans le jeu, mais elle y est malgré tout présente en toile de fond, comme dans la vraie vie.
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