par Jonathan Trudel - La Ligue nationale de hockey (LNH) est atteinte d'un virulent « virus antifrancophone », dénonce Bob Sirois. Quand il évoluait pour les Flyers de Philadelphie et les Capitals de Washington, dans les années 1970, cet ancien joueur étoile a lui-même souvent essuyé les insultes d'autres joueurs - sur la patinoire comme dans son propre vestiaire. Non seulement la situation ne s'est pas améliorée depuis, mais le virus aurait contaminé les hauts dirigeants de nombreuses équipes de la LNH, clame-t-il dans un livre publié ces jours-ci aux Éditions de l'Homme, Le Québec mis en échec : La discrimination envers les Québécois dans la LNH.
« Mon but n'était pas de partir en croisade contre la Ligue nationale », jure Sirois, 55 ans, attablé dans un resto sportif de l'ouest de l'île de Montréal. Recyclé dans le domaine des affaires depuis la fin de sa carrière de hockeyeur professionnel, en 1978, cet ancien ailier gauche au crâne rasé voulait d'abord retracer l'odyssée des Québécois au sein de la LNH depuis le « premier véritable repêchage de l'ère moderne du hockey », en 1970. (Avant cette date, le Canadien de Montréal a longtemps eu la mainmise sur les meilleurs joueurs du Québec.)
Sirois a consacré des milliers d'heures (30 heures par semaine pendant deux ans et demi) à compiler des données. « Les amateurs de sport sont friands de statistiques ; ils vont être servis », dit-il. Son livre contient 120 pages de tableaux et une conclusion-choc : « La LNH est d'abord et avant tout une ligue de "bœufs" du Canada anglais, qui laisse bien peu de place aux "grenouilles" québécoises. »
Des dizaines de Québécois jouent présentement dans la LNH. Qu'est-ce qui vous pousse à accuser cette ligue de francophobie ?
- Les faits ! Les gens ont tendance à surestimer le nombre de Québécois francophones qui ont joué dans la LNH depuis 1970. J'ai fait le calcul. En comptant les Gilbert Perreault, René Robert et autres Richard Martin, 31 gardiens de but, 39 joueurs de centre, 46 défenseurs et 60 ailiers ont connu une vraie carrière, c'est-à-dire qu'ils ont joué au moins 200 matchs ou trois ans. Sur ces 176 joueurs en 40 ans - ce qui est bien peu -, pas moins de 41 % ont remporté des honneurs individuels, soit un trophée ou une participation au match des étoiles ! C'est mon cas : j'ai participé au match des étoiles en 1978.
Autrement dit, les meilleurs joueurs francophones sont les bienvenus. Mais à talent égal, il y a peu ou pas de place pour les grenouilles. Ce que j'avance dans mon livre, c'est que la LNH est d'abord et avant tout la ligue nationale des Canadiens anglais. Elle n'accepte que les meilleurs joueurs des autres nations, y compris le Québec. Les dirigeants de la Ligue ne sont pas fous, ils ne veulent pas se priver de joueurs de premier plan sous prétexte qu'ils sont nés ailleurs. Mais les Canadiens anglais et, dans une moindre mesure, les Américains partent avec une bonne longueur d'avance pour occuper des postes au sein des troisième et quatrième trios ou à titre de cinquième et sixième défenseurs d'une équipe.
Faut-il nécessairement y voir un complot ? Et si c'était plutôt une question de talent ?
- Je ne suis pas le premier à me pencher sur le sort des Québécois dans la LNH. Des universitaires canadiens-anglais, canadiens-français et américains ont déjà écrit sur la discrimination envers les francophones québécois, dont Marc Lavoie, professeur de sciences économiques et auteur du livre Désavantage numérique : Les Québécois dans la LNH [Vents d'Ouest, 1998]. Ma contribution au débat, c'est d'ajouter des chiffres.
Par exemple, j'ai découvert que le quart des Québécois ayant joué dans la LNH dans les années 1970 étaient anglophones. C'est près de trois fois leur poids démographique dans la province ! Depuis 1970, un Québécois anglophone de niveau midget sur 334 a plus tard été repêché par la LNH, contre à peine un Québécois francophone sur 618. Autrement dit, si tu es un jeune joueur francophone talentueux au Québec, anglicise ton nom, tu vas multiplier tes chances d'être repêché. Sur les 849 Québécois repêchés de 1970 à 2005, 185 ont fait une carrière de plus de 200 matchs dans la LNH. De ce nombre, 21 % étaient anglophones, soit plus du double de leur poids démographique. Me direz-vous que les anglophones jouent mieux que les francophones pour des raisons génétiques, et ce, même quand on tient compte du fait qu'ils ont été formés dans les mêmes ligues de hockey mineur ?
Les anglophones du Québec tendent à perdre leur avantage comparatif ces dernières années. Mais ce n'est pas encourageant, parce qu'ils subissent maintenant les contrecoups d'une culture qui salit l'ensemble du hockey mineur québécois.
Plusieurs dépisteurs et entraîneurs québécois, dont Guy Boucher, l'entraîneur-chef du club-école du Canadien, disent qu'il faut arrêter de se plaindre et plutôt se tourner vers le véritable problème : le manque de robustesse et de combativité des joueurs de la Ligue de hockey junior majeur du Québec.
- J'ai beaucoup de problèmes avec ce type de discours. Ça fait partie des mythes et légendes qu'on véhicule depuis longtemps à propos des joueurs issus du Québec. En réalité, les hockeyeurs québécois pèsent en moyenne à peine trois livres [1,8 kilo] de moins que la moyenne ! J'entendais les mêmes préjugés quand je jouais dans la LNH. On disait aussi, comme aujourd'hui, que les Québécois avaient un jeu défensif déficient. En fait, il se compte moins de buts par match dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec que dans les autres ligues juniors du pays. On entend souvent dire que les hockeyeurs québécois seraient moins efficaces quand ils ne sont pas en possession de la rondelle... Et alors ? Les Québécois, eux, sont bons avec la rondelle !
Les dirigeants de Hockey Canada montrent souvent du doigt le « style de jeu québécois » pour expliquer le faible nombre de joueurs québécois recrutés par l'équipe nationale junior, année après année. Depuis 10 ans, à peine 1,8 joueur québécois en moyenne fait partie de cette équipe. Dans les années 1980, Hockey Canada avait même boudé Mario Lemieux, sous prétexte qu'il n'était pas assez combatif !
Ceux qui déplorent le sort des francophones dans la LNH sont souvent les mêmes qui réclament que le Canadien privilégie l'embauche des francophones. N'est-ce pas contradictoire ?
- Le Canadien a été créé spécialement, il y a 100 ans, pour accueillir les joueurs francophones. Mais depuis l'arrivée de Bob Gainey au poste de directeur général, le Canadien n'accorde plus, à talent égal, de traitement de faveur aux francophones. Le problème, c'est que le reste de la LNH continue de privilégier les Canadiens anglais !
À l'exception des joueurs étoiles, les Québécois sont souvent vus comme des voleurs de jobs ailleurs dans la Ligue. Quand je jouais pour les Capitals de Washington, en 1977, le soigneur avait débarqué dans notre salle d'entraînement pour nous annoncer l'embauche de Robert Picard. Mes six coéquipiers anglophones présents à ce moment-là se sont plaints : « Not another fucking Frenchman ! » [pas encore un maudit francophone]. Sur ces six joueurs, cinq sont devenus dépisteurs dans la LNH. Certains de leurs amis sont devenus directeurs généraux, entraîneurs adjoints et entraîneurs-chefs. Ils forment un puissant réseau d'influence.
Le dépistage de talents n'est pas une science exacte. Les mythes et les préjugés font partie intégrante des séances de repêchage de la Ligue nationale de hockey. Je peux comprendre qu'une équipe comme les Oilers d'Edmonton préfère repêcher un joueur albertain. Mais qu'en est-il des équipes de villes comme Dallas, Phoenix, Tampa Bay ou Sunrise, qui ne forment aucun joueur localement ? Leurs directeurs généraux se tournent plus naturellement vers leur région d'origine : le Canada anglais.
Buffalo et Philadelphie ont repêché beaucoup plus de francophones que la moyenne des équipes hors Québec. Pourquoi ?
- Il s'agit d'une question de culture. Le premier directeur général des Sabres de Buffalo, Punch Imlach, avait joué pour les As de Québec, dans la Ligue américaine. C'est lui qui a créé le fameux trio surnommé la « French Connection », après avoir repêché Gilbert Perreault, Richard Martin et René Robert. Quant aux Flyers, leur club-école a longtemps été les As de Québec, et leur directeur général, Bobby Clarke, a toujours été favorable aux francophones. Il a d'ailleurs nommé l'un de ses anciens coéquipiers chez les Flyers, Simon Nolet, à titre de dépisteur.
Quelles solutions proposez-vous pour augmenter le nombre de Québécois francophones dans la LNH ?
- J'en vois deux. D'abord, le Québec doit absolument créer sa propre équipe nationale junior. On verra enfin à l'œuvre le fameux style de jeu québécois aux Championnats du monde de hockey junior. Ça fera mieux connaître les joueurs québécois, qui pourront prouver au reste de la LNH et au Canada anglais qu'ils ont leur place parmi l'élite.
Ensuite, le gouvernement doit tout faire pour favoriser le retour d'une équipe de la LNH à Québec. Quand il y avait deux équipes au Québec, on se battait pour attirer les joueurs francophones. Sur les 260 Québécois francophones qui ont joué dans la LNH de 1979 à 1994, près de la moitié ont évolué pour le Canadien ou les Nordiques ! Ces deux équipes donnaient une place exceptionnelle aux joueurs francophones.
Vous dites ne pas vouloir « faire passer les Québécois pour des braillards ». Vous ne craignez pas que ce livre ait précisément cet effet ?
- Non. Les joueurs québécois dans la LNH ont énormément de talent, personne ne les a embauchés par pitié. Ils ne risquent rien. Je ne m'attends pas à ce que beaucoup de joueurs actifs se lèvent pour valider mes propos. Je m'attends, au contraire, à ce que de nombreux joueurs et dépisteurs nient qu'il y ait de la discrimination. C'est normal. Ils ne veulent pas nuire à leur carrière. Les Québécois préfèrent souvent être « raisonnables » et ne pas créer trop de remous. Mais là, j'arrive avec des chiffres. C'est plus difficile à contester.
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« À quand une équipe nationale de hockey junior québécoise ? »
Pourquoi si peu de Québécois parviennent-ils, année après année, à se tailler une place parmi l'équipe nationale canadienne de hockey junior ? « La très grande majorité des joueurs québécois qui évoluent dans la LNH présentement ont été écartés par Hockey Canada quand ils étaient d'âge junior ; ce n'est pas normal », dit Bob Sirois. Pour mettre fin à cette « discrimination », il réclame la formation d'une équipe nationale pour représenter le Québec aux Championnats du monde de hockey junior.
Selon lui, la Fédération québécoise de hockey sur glace a le pouvoir de permettre la création d'une telle équipe. Le hic, c'est que la Fédération internationale de hockey sur glace interdit la reconnaissance officielle de deux équipes d'un même pays. La solution ? Demander à Québec de se saisir du dossier, dit Bob Sirois, qui cite en exemple les quatre équipes nationales homologuées par la Fédération internationale de soccer au Royaume-Uni (l'Écosse, l'Angleterre, le pays de Galles et l'Irlande du Nord).
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Nombre de joueurs francophones repêchés par les équipes de la LNH
de 1970 à 2009
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