Les Wallons ont connu une progression fabuleuse de leurs pouvoirs (s'étendant quasi sans restriction sur la scène internationale) : de 0 en 1980 à 70% des pouvoirs étatiques. Mais l'idéologie en Wallonie demeure pesamment belge, c'est-à-dire plus que jamais sans projet politique réalisable dans la mesure où la consistance politique belge s'efface rapidement et perd tout aussi rapidement les moyens politiques de réaliser quoi que ce soit. Il y a quelque chose d'insensé à tenir encore ce discours national dépourvu de perspective puisque dépourvu de moyens et aussi parce que sans âme depuis toujours.
Les médias nous font peur avec leur nationalisme
Rappelons la définition par Michaël Billig du nationalisme ordinaire : «l’ensemble des habitudes idéologiques qui permettent aux nations occidentales établies d’être reproduites (...) ces habitudes ne sont pas extérieures à la vie quotidienne, comme l’ont supposé certains observateurs. Chaque jour la nation est indiquée, ou "balisée" (flagged) dans la vie des citoyens. Le nationalisme, loin d’être une humeur intermittente dans les nations établies, en est la condition endémique.»
Les médias dominants produisent cela sans même que l'on ne s'en rende compte et c'est effectivement de manière si «endémique», que cela apparaît spontané, mais surtout normal et impossible à faire cesser. Surtout cette dernière caractéristique.
Si j'écoute les informations à la radio ou à la télé, je suis certain que toute la journée, j'entendrai parler du temps qu'il fait en Belgique (ou Canada), de même que des exploits sportifs des même pays, du succès de leurs entreprises, de l'adhésion intense (ceci c'est pour la Wallonie seulement), de foules innombrables au régime monarchique. Dans les 10 provinces (dix! il faudra se farcir dix visites royales que les princes avaient déjà faites en 1999-2000), où reine et roi se rendent. Les enfants des écoles (qui n'ont pas le choix d'être là ou non) vont agiter des milliers de drapeaux belges (un par enfant), en criant (seule chose spontanée chez eux). Et sous le regard éperdu des notables qui n'ont pas non plus le choix de n'être pas là, car notables : un notable qui ne manifeste pas sa notabilité dans le costume de sa corporation (avec les groupes folkloriques auxquels il ressemble), n'en est plus un.
De tout mon coeur je souhaite que la nation wallonne se substitue à la nation belge car si cela ne se produit pas, la Wallonie mourra et le régime de domination bourgeoise francophone puis flamande auquel elle a été soumise, aura atteint ses fins.
Un nationalisme négateur
Le Québec est bien plus loin que nous à cet égard, quoique pas encore arrivé à une position aboutie. Mais nous, non. L'épithète «wallon» n'est pratiquement jamais appliquée à ce qui en règle général illustre un peuple, à savoir ses élites dans les domaines culturel, sportif, moral, intellectuel, scientifique etc. Ou ses habitants ordinaires. Avec une exception (qui leur fait du tort en ce cas) pour les syndicalistes et les hommes politiques. En effet, s'il y a bien un gouvernement wallon dont va effectivement de plus en plus dépendre le sort des habitants du Pays wallon, ceux-ci ne seront jamais qualifiés comme tels : le gouvernement de Namur est peut-être wallon, mais il ne gouverne que des Belges. Bien des militants avaient cru en 1980 que les choses iraient plus vite, que le vocabulaire utilisé pour les dirigeants, serait employé aussi pour désigner ceux qu'ils dirigent. Et que cela aille aussi vite que ce ne l'a été en termes institutionnels (passage de 0 à 70% de compétences de 1980 à d'ici 2014-2015, redisons-le). Or les populations de Wallonie, considérées comme seulement belges par les dominants sont toujours considérées comme étrangères à ceux qui les dirigent. Comment veut-on que s'instaure dans ce cas une dynamique vraiment démocratique? Dont, il est vrai, les dirigeants en question ne se soucient pas trop : le belgicanisme sert l'Oligarchie belge en sa déclinaison wallonne.
Faut-il pour autant souhaiter qu'au nationalisme ordinaire belge se substitue un nationalisme ordinaire wallon? Posée ainsi, la question n'est pas totalement pertinente, dans la mesure où l'hostilité des médias à une telle révolution est acquise.
D'ailleurs si chaque visite du roi et de la reine apparaît comme le renouvellement d'une adhésion profonde à la Belgique éternelle, il n'en va pas de même des manifestations d'adhésion à la Wallonie. La fête de la Wallonie (aujourd'hui et demain) a beau accueillir à Namur des foules énormes, dont les médias admettent l'importance infiniment plus élevée qu'aux ramdams monarchiques, ils insistent sur le fait que cela n'a pas de signification et détaillent avec un scrupule qui ne les honorent pas tout incident fâcheux qui survient lors de ces rassemblements : bagarres, ivresse sur la voix publique etc. L'insistance est mise sur la dimension folklorique et l'importance de la foule – 350.000 personnes chaque année soit 20 fois, 100 fois plus que lors de n'importe quelle visite royale – est indirectement proportionnelle à son éventuelle signification politique. S'il y a 20 fois 100 fois moins de monde aux visites royales, leur signification semble 20 fois, 100 fois plus significative politiquement et nationalement que les foules de Namur ou d'ailleurs, cela aux yeux des médias et de la particratie qui les domine. Même si des autorités politiques importantes plaident pour un nationalisme wallon lors de ces fêtes ou des gens moins importants comme moi s'écrient «VIVE LA REPUBLIQUE!» Le nationalisme belge ne souffre aucune concurrence et le bourgmestre de Charleroi le sait bien qui a choisi de s'adresser hier, ceint de l'écharpe tricolore belge, à une salle remplie de drapeaux wallons.
Un nationalisme doit-il se substituer à l'autre?
Mais imaginons maintenant qu'un nationalisme wallon ordinaire se substitue au nationalisme belge ordinaire. Il me semble que ce serait insupportable. Le nationalisme belge a réussi à ce point à se confondre avec ce que l'on pourrait appeler le paysage sociologique, que le chauvinisme exacerbé de son discours nous échappe. Or, quand on l'analyse, on voit bien que l'on ne pourrait pas purement et simplement le «traduire» en nationalisme wallon (et heureusement!).
Il ne faut pas oublier que le nationalisme belge s'est créé assez vite après 1830, sur le modèle d'ailleurs d'un national-chauvinisme français élevant des statues aux chefs de la vieille Gaule, aux quatre coins de la France (Vercingetorix etc.), à quoi a répondu chez nous autant d'Ambiorix (la Belgique était aussi une partie de la Gaule, évidemment, ce n'est pas très malin). Un discours nationaliste voulu par la classe dominante d'alors, obnubilée par le simple rendement de la véritable usine qu'était alors la Wallonie, nationalisme belge qui (Martin Conway l'a souligné), a écrasé tout un peuple ouvrier comme peu d'autres l'ont été en Europe, a soutenu une expansion coloniale qui au crime du colonialisme en lui-même a ajouté d'autres crimes infiniment plus graves (les massacres de masse au Congo), mais commis en fin de compte par un représentant d'une dynastie belge qui, même si elle a quasiment perdu tout pouvoir, demeure inattaquable en tant que symbole (prétendu), de l'unité du pays.
Le point le plus important du programme que je propose est d'ailleurs la réconciliation avec la Flandre, impossible aujourd'hui parce que le nationalisme belge, niant les différences entre Wallons et Flamands (et Bruxellois), niant notre dualité, détruit les bases mêmes d'un dialogue possible. Ce n'est pas en rabâchant comme on le fait «On est tous belges» que l'on y parviendra.
Ethiquement, politiquement, économiquement il y a bien longtemps que le projet nationaliste belge est ruiné. Il n'a d'ailleurs pas pu empêcher le lent démantèlement du Royaume unitaire, mais son aura désuète continue à éblouir les dindons de la farce belge qui ne voient pas qu'il ne porte aucun projet, ne s'anime d'aucune perspective concrète et ne peut plus déboucher sur rien que sur de creuses incantations.
Le hideux nationalisme belge
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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