Parti québécois

Le grand saut en arrière

La réalité est qu'ils ont pris conscience que leur parti avançait désormais dans le vide.

Pacte électoral - gauche et souverainiste


Le Québec a vécu en juin 1990 l'échec de l'accord du lac Meech avec une intensité que la société québécoise aura rarement ressentie au cours de son histoire. Les Québécois avaient alors adhéré aux paroles du premier ministre Robert Bourassa qui, ce 23 juin 1990, avait voulu rassurer en affirmant que «le Québec est pour toujours une société distincte, libre et capable d'assumer son destin». On connaît la suite. Ce fut le référendum de 1995 et la quasi-victoire du Oui. Aujourd'hui, cette volonté d'affirmation nationale s'étiole. La ferveur n'y est plus.
Le Québec politique vit de profondes remises en cause depuis quelques mois. Le mouvement souverainiste est ébranlé, au point où le Parti québécois paraît menacé d'implosion. Depuis 40 ans, ce parti était tourné tout entier vers l'affirmation ultime du destin de la société québécoise, la souveraineté du Québec. Un Québécois sur deux a dit oui à ce projet en 1995, auquel auront manqué tout juste quelques milliers de voix pour qu'il se réalise. Mais depuis, cette «majorité» s'est peu à peu anémiée. Le «big bang» que fut la défaite du Bloc québécois à l'élection du 2 mai nous l'a fait réaliser.
Ceux qui ne voient dans les déchirements au sein du Parti québécois qu'une autre de ces crises dont ce parti est frappé périodiquement se trompent. La crise actuelle va bien au-delà des divergences de stratégie et de leadership habituelles. Ce 2 mai, il est apparu que les assises du mouvement souverainiste que l'on imaginait solides — les sondages accordant toujours des appuis de 40 et même de 42 % à l'idée de l'indépendance — reposaient sur du sable. Les sondages ne traduisaient toutefois pas l'absence de ferveur et de volonté à réaliser la souveraineté, ce que le vote massif en faveur du NPD à l'élection fédérale aura montré. Ce que confirme aussi l'appui que reçoit de son côté le parti politique en devenir que veut former François Legault et qui aujourd'hui apparaît pouvoir balayer tout sur son passage.
Les députés Aussant, Beaudoin, Curzi, Lapointe, qui ont quitté le Parti québécois les 6 et 7 juin, ont prétexté l'existence d'un malaise créé par l'appui donné par leur chef, Pauline Marois, au projet de loi 204 sur l'amphithéâtre sportif de Québec. La réalité est qu'ils ont pris conscience que leur parti avançait désormais dans le vide. Puisque le Parti québécois n'allait pas gagner la prochaine élection, aussi bien faire table rase et se consacrer à ce qui est pour eux l'essentiel, la souveraineté, soit en fondant un nouveau parti, soit en cherchant à refonder le Parti québécois sur de nouvelles bases et avec un nouveau chef.
On ne peut présumer ce qu'il en sera dans 12 ou 18 mois. Les efforts de Pauline Marois pour refaire l'unité du parti pourraient porter leurs fruits. Les déchirements des dernières semaines ont déconsidéré le PQ dans l'esprit de nombre d'électeurs. Puis d'autres défections pourraient survenir au sein du caucus, cette fois pour rejoindre François Legault. Quoi qu'il en soit, un immense pas en arrière a été fait.
Ce qui arrive aujourd'hui au Parti québécois n'est pas subit. Des signaux précurseurs de la baisse de ferveur souverainiste étaient perceptibles. Ce fut d'abord la création de Québec solidaire, qui a rassemblé une partie de la gauche souverainiste. Puis, il y a eu l'adhésion au Parti libéral de Raymond Bachand, un ancien conseiller de René Lévesque, alors que bien d'autres souverainistes portaient leur militantisme vers d'autres causes, notamment la protection de l'environnement. Enfin, la création par l'ancien ministre François Legault de sa Coalition pour l'avenir du Québec a attiré de nombreux souverainistes qui, ne voyant pas d'espoir de réaliser la souveraineté, veulent se consacrer à d'autres objectifs politiques.
Les événements des dernières semaines viennent tout simplement rendre évidentes pour tous ces fractures. Les partis politiques, comme n'importe quelles institutions, naissent et meurent. Si c'est ce qui devait arriver au Parti québécois, on peut croire que d'autres reprendront le flambeau. Néanmoins, ce sera un échec pour toute une génération de militants qui ont cru et qui continuent de croire possible la souveraineté. L'effet démobilisateur pourra être ressenti longtemps. Le projet de la souveraineté pourrait être mis entre parenthèses pour plusieurs années.
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Il n'y a pas de raison de se réjouir, comme société, de la possible disparition du Parti québécois ou de sa transformation en un tiers parti. Comme le signalait à juste titre le député François Gendron mercredi, ce parti a marqué l'histoire du Québec. Il a mis en place des politiques, notamment sur le plan linguistique avec la Charte de la langue française, qui ont contribué à consolider l'existence d'une société de langue et de culture françaises en Amérique, ce destin évoqué par Robert Bourassa ce 23 juin 1990. Il a élaboré des politiques sociales audacieuses reprises par d'autres partis, comme le réseau des «garderies à 7 $» et les congés de maternité.
Surtout, par sa seule présence sur la scène politique, le Parti québécois a créé une dynamique politique incontestable. Il est celui qui a défini les enjeux. Il a imposé au reste du Canada la question de l'avenir politique du Québec, qui est ainsi demeurée constamment présente dans l'ordre du jour politique. Les souverainistes peuvent regretter de ne pas avoir encore réalisé la souveraineté, mais le Québec a, grâce au Parti québécois, fait de nombreuses avancées. Sans le Parti québécois et le Bloc québécois, la Chambre des communes aurait-elle reconnu le Québec comme nation?
Les perspectives que nous laissent deviner les sondages des dernières semaines quant au comportement électoral possible des Québécois devraient faire réfléchir les militants souverainistes aux conséquences du grand saut en arrière que certains d'entre eux leur proposent. Si leur parti ne retrouve pas rapidement son unité et sa cohésion, le prochain gouvernement québécois sera dirigé par le futur parti de François Legault qui, soulignons-le, entend faire l'impasse sur les questions constitutionnelles. Quant à l'opposition officielle, elle sera libérale. Divisé entre plusieurs factions ou petits partis, le mouvement souverainiste n'aurait que quelques sièges et serait réduit à prêcher dans le désert. Peut-on croire que cela aidera la société québécoise à assurer son destin?


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