De temps en temps, certaines nouvelles concernant l’avenir du français nous frappent. Mais cette semaine, elles ont frappé encore plus fort. Le Devoir nous annonçait que d’après des projections récentes de Statistiques Canada, en 2036, c’est-à-dire demain, la proportion de la population qui a la langue française pour langue maternelle ne sera plus que de 69%, au mieux, de 72% alors qu’elle était de 79% en 2011. C’est pour l’essentiel le résultat de l’immigration massive. On cherche à relativiser la chose en disant que le critère de la langue maternelle n’est plus nécessairement pertinent, qu’il alimente des peurs excessives. Il faudrait en trouver de nouveaux pour changer notre regard. En gros, si ce que le monde devient ne nous plait pas, il ne faut pas changer le monde, mais changer notre regard sur lui. Si les statistiques nous révèlent une régression inquiétante du français, il ne faut pas agir politiquement, mais modifier nos outils statistiques pour rosir à nouveau notre vision de la réalité.
Les Québécois, pourtant, tardent à réagir. On dit qu’ils s’inquiètent, et peut-être s’inquiètent-ils vraiment. Mais leur rapport à la question linguistique s’est transformé considérablement en quelques années. La loi 101 aura 40 ans cette année. La plupart s’imaginent qu’elle conserve le mordant de ses premiers jours et qu’elle est toujours aussi efficace pour assurer la défense et la promotion du français. Mais c’est faux. Elle a d’abord été torpillée par les tribunaux qui ont restreint terriblement sa portée. Et les élites politiques, intellectuelles et médiatiques ont intériorisé peu à peu les contraintes idéologiques et juridiques imposées par la constitution de 1982, qui a complètement restructuré l’imaginaire politique du Québec. Désormais, la Charte canadienne des droits et libertés est la référence fondatrice de la démocratie québécoise, qui a ainsi été mise en tutelle. Nous avons intériorisé la logique du trudeauisme. La loi 101 ne doit pas la combattre mais s’y soumettre.
La loi 101 devait faire du français la langue du pouvoir. Désormais, on se montre satisfait si elle permet globalement aux francophones de se faire servir en français. Nous redevenons, psychologiquement, une grosse minorité qui veut qu’on protège ses droits et nous avons cessé de nous voir comme une majorité désireuse d’exercer le pouvoir. On peut voir dans la régression du français une des nombreuses conséquences de l’échec de l’indépendance. Imaginons pourtant ce que serait une réaction vigoureuse. Il faudrait d’abord se fixer un objectif politique clair: stopper la régression du français et cesser de la dédramatiser – et il faudrait faire cesser cette régression à la fois à Montréal et à la grandeur du Québec. Il faut refaire du français un enjeu politique. Il faut aussi marquer une claire rupture avec le régime de 1982. Il ne faut plus soumettre ce qu’on pourrait appeler la souveraineté linguistique du Québec dans les mains du gouvernement des juges – et encore moins des juges d’Ottawa. En un mot, nous devons rompre avec l’idéologie dominante qui nous a conditionné à trouver normale la perte de force d’attraction du français.
Certaines mesures sont aussi impérieuses, dans la mesure où elles enverraient un signal clair. Il faudrait naturellement réduire les seuils d’immigration pour les adapter à nos capacités d’intégration. Il faudrait en finir avec le bilinguisme systématique mais inavoué de l’État québécois, dans la mesure où il permet aux nouveaux arrivants d’interagir avec les pouvoirs publics sans passer par le français. Les droits de la minorité historique anglophone, qui sont incontestables, ne doivent pas servir à restaurer par la bande un bilinguisme d’État. Dans un monde normal, il faudrait imposer aussi la loi 101 au niveau collégial, ce qu’aucun leader politique majeur ne souhaite en ce moment, hélas. Et on ne pourra faire l’économie d’une vraie francisation du monde du travail. Il faudrait aussi que les Québécois eux-mêmes, dans leur vie quotidienne, résistent à l’anglicisation ambiante qu’on cherche à leur vendre au nom de la mondialisation et de l’ouverture à l’autre.
Une chose est certaine : la grande mutation qu’on nous annonce aura pour conséquence la dissolution identitaire et politique du peuple québécois. On ne voit pas trop pourquoi on envisagerait l’avenir avec insouciance.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé