Le petit jeu auquel Québec et Ottawa se livrent depuis le début de la conférence de Nairobi sur les changements climatiques tourne franchement à la farce. Et, en toute justice, il faut reconnaître que le ministre de l'Environnement, Claude Béchard, s'est surpassé dans le rôle du dindon.
Déjà, la semaine dernière, sa vis-vis fédérale, Rona Ambrose, avait démontré une facilité déconcertante à le rouler dans la farine. Malgré les dénégations du principal intéressé, qui réclamait un droit de parole à Nairobi, elle était sortie d'une rencontre avec M. Béchard en déclarant qu'ils avaient conclu une entente qui permettrait au Canada de parler d'une seule voix.
Après avoir réalisé qu'il s'était fait berner, M. Béchard s'était envolé pour l'Afrique en se promettant de faire passer un mauvais quart d'heure à celle qui s'était payé sa tête aussi ouvertement. «Je crois qu'à la fin de la semaine, Mme Ambrose dira que c'était une erreur de ne pas nous avoir donné l'occasion de parler», avait-il déclaré.
Cette belle pugnacité n'a malheureusement pas résisté au décalage horaire. Sitôt débarqué, M. Béchard s'est empressé de conclure une nouvelle entente avec Mme Ambrose. «Je n'ai pas changé de ton, mais je ne veux pas de chicanes», a-t-il expliqué à un collègue de La Presse. Sur la promesse que la ministre fédérale allait mentionner le plan québécois dans son discours, il s'abstiendrait de critiquer Ottawa devant la communauté internationale.
Bien entendu, elle n'en a pas dit un mot et M. Béchard s'est retrouvé Gros-Jean comme devant. De toute évidence, Mme Ambrose ment comme elle respire, mais il est encore plus étonnant de voir M. Béchard gober tout ce qu'elle dit. À moins que la tactique du dindon ne soit une ruse pour démontrer toute la perfidie fédérale? Voilà qui serait vraiment très fort!
Il n'est pas rare qu'un(e) politicien(ne) donne l'impression de prendre les gens pour des imbéciles, mais Mme Ambrose a vraiment atteint un sommet de mauvaise foi dans sa présentation de la position canadienne sur la lutte contre les changements climatiques.
Le directeur de Greenpeace au Québec, Steven Guilbeault, a parfaitement traduit le sentiment général en déclarant: «Les propos de la ministre, qui prétend que le Canada respectera les obligations du protocole de Kyoto, mais pas les cibles, sont ridicules, mensongers et scandaleux.»
Cela n'excuse évidemment pas tout. Le président du Canadian Climate Action Network, David Coon, a dû présenter ses excuses à la ministre, après que des membres de son réseau lui eurent reproché de s'occuper davantage de sa coiffure que de son travail, mais l'incident témoigne de l'exaspération que provoque son attitude.
Hier, Mme Ambrose a déclaré que le protocole de Kyoto était utilisé pour diviser les Canadiens. Là encore, elle déforme scandaleusement la réalité. À en croire un récent sondage CBC-Environnics, ce serait plutôt un facteur d'unité: 70 % des Canadiens estiment que le gouvernement Harper n'en fait pas suffisamment pour la protection de l'environnement. Un tel consensus d'un océan à l'autre sur une question d'actualité est plutôt rare.
Trois fois en moins d'une semaine, les groupes environnementaux ont décerné au Canada le prix du «Fossile du jour». L'immobilisme flagrant du Canada lui vaut le 51e rang sur une liste de 56 pays. Seuls les États-Unis, la Chine, la Malaisie, le Kazakhstan et l'Arabie saoudite font pire. Le statut présidentiel du Canada à la conférence constitue un objet de gêne.
L'attitude de M. Béchard à Nairobi mériterait plutôt au gouvernement Charest le «prix du mollusque». Elle illustre de façon presque caricaturale le caractère factice de la vigueur dont il se targue en matière de relations fédérales-provinciales.
D'ailleurs, le premier ministre monte rarement au front lui-même. Au contraire, quand un de ses ministres élève un peu le ton, il s'empresse d'intervenir pour dédramatiser, comme il l'a fait la semaine dans le cas du différend sur Kyoto. S'il n'y a rien de grave pour M. Charest, comment blâmer M. Béchard de tempérer ses ardeurs? Remarquez, après sa prestation dans le dossier du Mont Orford, il est assez difficile de l'imaginer en kamikaze de la protection de l'environnement.
Le sort réservé à ceux qui ne comprennent pas que l'agressivité à l'endroit d'Ottawa a ses limites doit également faire réfléchir. Yves Séguin et Thomas Mulcair ont payé cher d'avoir pris les choses trop au sérieux. Comme on dit: jamais deux sans trois.
La défense des intérêts du Québec a toujours été le talon d'Achille de M. Charest. Par définition, le PQ aura toujours l'avantage sur ce plan. Il est d'autant plus important pour un premier ministre fédéraliste de profiter de toutes les occasions de démontrer que sa première allégeance va au Québec en dépit de son engagement envers le Canada.
Hier, à l'Assemblée nationale, l'opposition péquiste a présenté une motion dénonçant «l'affaissement du premier ministre» face au gouvernement Harper, mais Jonathan Valois exagère un peu quand il affirme qu'il ne critique plus du tout Ottawa depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs.
Les stratèges libéraux ont bien compris la nécessité de faire une petite crise de temps à autre. Le problème est que la critique semble toujours être sans conséquence, comme dans le cas du registre des armes à feu, ou encore que tout est arrangé d'avance avec le «gars des vues», comme dans le cas du strapontin à l'UNESCO.
Je parierais que, d'une manière ou d'une autre, M. Béchard va obtenir ses 328 millions pour son plan de lutte contre les changements climatiques d'ici les prochaines élections. Après l'avoir rendu aussi ridicule à Nairobi, c'est bien le moins que Mme Ambrose puisse faire.
mdavid@ledevoir.com
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