C'est bien mal parti. Le débat sur les hausses de tarifs fait rage avant même d'avoir formellement commencé. Les libéraux en discutent lors de leur conseil général, les ministres réfléchissent à voix haute, le premier ministre Charest envoie des messages contradictoires, tandis que les partis de l'opposition sont déjà sur le sentier de la guerre.
Ce désordre illustre bien le fait, qu'au Québec, la révision des tarifs des services gouvernementaux sera un champ miné, ou plutôt un pré où broutent bien des vaches sacrées. Si le gouvernement hésite, c'est qu'il devra affronter de sérieux obstacles politiques, culturels et idéologiques.
Sur le plan de la stricte logique, il est évident que la tarification plus adéquate des services publics est une voie qui doit être explorée. Le gouvernement du Québec, comme tous les gouvernements, fait face à une grave crise des finances publiques à cause de la récession. Une situation exceptionnelle qui ne peut être résolue uniquement par une compression des dépenses. Il faudra aussi regarder du côté des revenus.
Les hausses de tarifs sont une excellente façon d'aller chercher ces revenus. Cette forme de ponction comporte moins d'effets économiques négatifs que les hausses d'impôt. Elle repose sur un principe d'équité, celui de l'utilisateur-payeur, par exemple dans le cas des péages autoroutiers. Elle encourage une meilleure utilisation des services publics. Ce nettoyage permettrait de mettre fin à plusieurs aberrations où le gouvernement se retrouve à subventionner des activités qui ne devraient pas l'être.
Pour toutes ces raisons, la plupart des pays, notamment en Europe, font de plus en plus le choix de la tarification. À ce chapitre, le Québec est en retard. C'est donc un bon choix, si la mise en oeuvre se fait de façon équilibrée et ordonnée, et si l'on épargne les plus vulnérables.
Mais ce n'est pas si simple. D'abord parce qu'au Québec, le gouvernement devra affronter un problème politique de taille. Seulement 42% des Québécois paient de l'impôt sur le revenu, de sorte qu'une majorité de citoyens sont indifférents, sinon favorables, aux hausses d'impôt. Des hausses de tarifs, par contre, touchent tout le monde. On peut donc s'attendre à une levée de boucliers généralisée.
Le second obstacle est lié à une culture des droits acquis profondément enracinée. Ce qui a été donné par l'État l'est pour toujours. Tout est sacré. La somme de 7$ pour une journée de garderie. Le droit inaliénable de profiter de tarifs d'électricité au rabais.
Le troisième obstacle, c'est la conviction que le gel des tarifs constitue une forme avancée d'équité sociale. Dans les faits, c'est plutôt le contraire. Les gels les plus populaires, garderies, droits de scolarité, profitent davantage aux biens nantis. C'est encore plus vrai pour les bas tarifs d'électricité, qui profitent surtout à ceux qui ont de grosses maisons, des piscines et des chalets.
La chef de l'opposition, Pauline Marois, a bien exprimé, cette semaine, la philosophie qui nous a menés à l'impasse. «Il y a 80 000 personnes de plus qui sont à l'assurance emploi depuis le début de l'année. Pensez-vous qu'ils ont les moyens d'assumer des hausses de tarifs.» Justement. On ne règle pas le problème de 80 000 personnes en faisant un cadeau à sept millions de personnes.
Le gouvernement Charest a eu tout à fait raison d'ouvrir ce dossier. Il fallait oser, il fallait commencer à s'attaquer aux vaches sacrées. Reste maintenant à tenir le cap. En commençant par ce qui est, de loin, le plus important: la révision des tarifs d'électricité. Non seulement en raison de son impact financier. Mais aussi parce que l'électricité au rabais est devenue un indéfendable non-sens environnemental.
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