Autour de [l’éditorial d’André Pratte du 11 décembre 2008->16817] (*).
***
Il est assez étonnant pour un souverainiste de constater le désarroi du
porte-parole des fédéralistes au Québec, convaincu de la domination dans la
province d’un cadre de pensée souverainiste qui serait l’héritage du Parti
québécois. Car les souverainistes ont plutôt, pour leur part, l’habitude de
penser exactement le contraire. Si bien que l’on en vient à se demander si
André Pratte ne se complairait pas un peu trop dans le rôle de la victime
(imaginaire).
Quoi qu'il en soit, il ne va jamais sans malaise de se reconnaître dans le
point de vue de son adversaire idéologique (je me réfère ici à mon propre
désarroi, croyant voir l’idéologie fédéraliste gagner du terrain au
Québec). C’est une expérience au premier abord assez troublante. On trouve
cet adversaire bien ridicule mais celui-ci nous renvoie, malgré nous, notre
propre image comme en miroir. L’effet est tel qu’on en vient à se demander
si l'on n'est tout simplement pas imbécile. À moins de croire que nous
ayons encore affaire à la vieille querelle du verre à moitié vide et à
moitié plein, ce qu’on ne peut exclure.
En réalité, la confusion idéologique et l’immobilisme sont tels que nous
finissons par ne plus y voir clair. Les souverainistes se paient désormais
le luxe de ne pratiquement jamais utiliser le mot « souveraineté » alors
que les fédéralistes se font les champions de la « stature » du Québec sur
la scène internationale, sans toutefois prendre la peine de se demander
s'ils en ont les moyens véritables. La population québécoise demeure quant
à elle confortablement indécise.
***
Malgré tout, André Pratte est fermement convaincu que le cadre de pensée
souverainiste domine la scène politique québécoise. Il déplore par exemple
le fait que Jean Charest, dont nul ne songerait sérieusement à contester
l’adhésion au fédéralisme, se meuve dans ce cadre de pensée lorsqu’il se
fait le porteur du discours des « intérêts du Québec », faisant référence
en particulier à ses déclarations récentes relatives à la culture, domaine
dont l'importance pour le Québec ne devrait échapper à personne.
Ne faut-il pas être véritablement attaché au fédéralisme pour en arriver à
craindre de voir le Québec mettre une trop grande vigueur dans la défendre
de ses propres intérêts? N'est-il pas pathétique de voir André Pratte
réprimander le premier ministre du Québec, un des plus fédéralistes qui
soient, au sujet de sa défense (pour le moment strictement de l'ordre du
discours) des « intérêts du Québec »? Pathétique ou non, l'éditorialiste en
chef de La Presse prend son rôle au sérieux : n'est-il pas l'un des plus
grands ténors du fédéralisme au Québec?
C'est que, figurez-vous, l'adhésion au fédéralisme, en elle-même, ne
semble pas suffisante : il faudrait y mettre un peu plus de cœur ! Il
faudrait être vraiment, mais alors vraiment, fédéraliste ! Car le
fédéralisme est tel un dieu impitoyable, il demande à être nourri de nos
faveurs et ne désire rien tant qu’être adoré pour lui-même. Il nous
faudrait comprendre qu'en fin de compte le prix à payer pour être du bon
bord - celui de la Vertu, de la Tolérance, de la Raison - n'est jamais trop
grand ! Le fédéralisme à la canadienne n'est-il pas cette idéologie
miracle, ce creuset fabuleux où se dissolvent toutes les contradictions,
qu'elles soient politiques, culturelles ou nationales? Le Canada n'est-il
pas ce laboratoire immense où l'avenir du fédéralisme se dessine au grand
jour? Le Canada n'est-il pas le fédéralisme se faisant chair et os pour le
bien de l'Humanité? En somme, le sacrifice de quelques uns de nos intérêts
- y compris les plus chers - pour cette noble et grande cause, seul devrait
nous animer.
***
La rhétorique fédéraliste est généralement une mécanique subtile où le
Canada et le Québec sont constamment mis et pesés dans la balance. En
apparence, le pragmatisme et le bon sens dominent. Les fédéralistes
québécois se font un plaisir de nous rappeler que l'on peut sans mal « être
à la fois Canadien et Québécois ». On peut même sans trop de difficulté
admettre l'existence de la nation québécoise (Stéphane Dion se permettait
récemment de dire qu'il était aussi nationaliste que Gilles Duceppe). Il va
sans dire que cette rhétorique de l’équilibre et de la complémentarité se
traduit forcément, implicitement, par un poids plus grand attaché au
Canada, conçu comme seul vecteur de cette possibilité. Il ne peut en être
autrement puisque c'est le Canada lui-même qui permet que cet « équilibre »
existe. Mais il s'agit en réalité de dépassement plus que d'équilibre :
l'identité canadienne dépasse (ou englobe) l'identité québécoise. En ce
sens, l'allégeance canadienne est fondamentale puisqu'en définitive c'est
celle-là même qui permet au fédéralisme, conçu comme l’armature de ce pays,
de se déployer librement.
Par ailleurs, l'idéologie fédéraliste se voit parée de toutes les vertus,
ainsi que l'identité canadienne qui la supporte. [On évoquera quelquefois
une certaine supériorité morale.->http://archives.vigile.net/dossier-medias/1-11/01-11-24-ld.html] Or il est bien difficile d'être contre la
vertu; aussi ne faut-il pas sous-estimer la force de cet argument dans la
justification de l'adhésion au fédéralisme et, à travers lui, au Canada. On
a souvent, de notre point de vue, tendance à penser que cette adhésion
n'est pas porteuse de rêves. Je crois qu’il s’agit d’une erreur :
l'adhésion au fédéralisme ennoblit et transporte, d'une certaine manière,
ceux qui le défendent.
***
Il peut cependant arriver que cette subtile mécanique se montre sans fard.
On parlera alors de « fédéralisme assumé ». C'est d’ailleurs le cas lorsque
les intérêts du Québec paraissent prendre le pas, ne serait-ce que dans
l'ordre du discours, sur la défense du fédéralisme. C'est dans de telles
situations que la rhétorique fédéraliste se fait davantage transparente et
que deviennent clairement visibles les véritables enjeux politiques au
Québec.
Selon cette optique, le Québec ne peut aspirer qu’au statut de province et
la notion même d’état autonome lui est inadmissible. Le Québec n’a d’espoir
et d’intérêt véritable que dans le moule canadien. C’est le Canada fédéral
qui lui a donné naissance, qui l’a vu s’épanouir et qui lui permet encore
d’exister pleinement. Le Québec est un fier rejeton du Canada.
Nulle part ailleurs que dans cet éditorial de Pratte ces enjeux ne
s’affichent avec la plus grande clarté : les intérêts du Québec sont
subordonnés à la défense du fédéralisme. Pour le dire autrement, la défense
du Canada, en tant qu’incarnation de l’idéologie fédéraliste en nos terres,
est le principal enjeu de la lutte politique au Québec. Dans la poursuite
de cet objectif, Pratte a le mérite d’être clair. Tenons-nous le pour dit.
Sylvain Maréchal
15 décembre 2008
(*) André Pratte, [« La vraie victoire du PQ »->16817], La Presse, 11 décembre
2008.
En complément, voir également les réactions entourant la sortie du livre [«
Reconquérir le Canada »->rub633] en novembre 2007.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
Réplique à André Pratte
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé