Depuis quelque temps, on entend beaucoup parler du fameux «cynisme» de la population à l'égard de ses politiciens. Politiciens et analystes sont déçus d'une telle réaction des citoyens, comme s'il s'agissait là d'un comportement à bannir, à éradiquer et qui, pour quelques pommes pourries, venait éclabousser et entacher injustement toute la classe politique, sans égard pour la majorité des élus qui sont sur la scène politique pour «changer les choses», avec dévouement, sincérité et oubli de soi. Je pense, entre autres, à Liza Frulla qui fut particulièrement véhémente à ce sujet la semaine dernière sur les ondes de RDI, et même menaçante sinon prophétique, prenant à parti les auditeurs sur un ton péremptoire: «Vous aurez les politiciens que vous méritez!» Non, le peuple n'aurait pas le droit d'exprimer son cynisme, car il serait infondé, irrationnel et même puéril.
Un cynisme infondé? C'est là une première erreur chez ses détracteurs. La liste des raisons pouvant mener au cynisme est longue et fastidieuse, mais quelques exemples pris dans les quatre dernières années rafraîchiront la mémoire aux pourfendeurs du cynisme:
- l'affaire du mont Orford;
- les compteurs d'eau à la Ville de Montréal et les promenades en yacht;
- les tristes et pathétiques stratégies du Parti libéral fédéral vociférant contre le gouvernement Harper, mais votant avec lui;
- Jack Layton et le NPD votant aussi avec Harper pour éviter que celui-ci ne tombe;
- le PQ, par l'abstention de ses députés lors d'un vote sur le budget, maintenant en vie le gouvernement minoritaire de Jean Charest (raison officielle: Mme Pauline Marois prétendait que les Québécois ne voulaient pas d'élection. Or, il y a fort à parier que si on lui avait démontré qu'elle aurait été victorieuse, elle n'aurait pas hésité une seconde à défaire le gouvernement libéral);
- le refus obstiné du premier ministre Jean Charest d'ouvrir une enquête publique sur la construction et le financement du Parti libéral;
- les places en garderie;
- un permis de port d'arme douteux.
Une saine lucidité
On le voit aisément: c'est une affirmation fallacieuse que celle qui prétend que le cynisme actuel est infondé et qu'il mérite d'être dénoncé. Mais ce qui est le plus curieux, c'est l'étonnante confusion qu'on entretient à propos du terme «cynisme». On l'associe indifféremment à une certaine hargne, une colère, un désenchantement, un je-m'en-foutisme généralisé. Or, le cynisme est avant tout une forme d'humour dont la base est la dérision et le pessimisme.
Il est également faux de croire qu'il est une réponse trop fougueuse et sans nuance, qu'il ne discerne pas la différence entre quelques politiciens véreux et la vaste majorité des politiciens soucieux de respecter les lois. C'est bien mal comprendre où se trouve la source du cynisme. Certes, le cynisme est aussi alimenté par les scandales, mais c'est surtout du côté de la malhonnêteté intellectuelle des politiciens, qui n'hésitent pas à se contredire, à bafouer leurs principes et leurs idéaux pour des raisons purement stratégiques (mais sans jamais l'admettre), qu'il faut rechercher la véritable cause du cynisme. Croire que la population est dupe de telles entourloupes dénote tout le mépris qu'on lui porte et la suffisance de ceux qui cherchent à la tromper et la culpabiliser.
Plus personne n'ignore de nos jours que la politique est devenue un spectacle, que les partis et les chefs engagent des publicitaires, des communicateurs et des faiseurs d'image, tout comme l'apparition à un talk-show dominical est devenue un passage obligé... On vend un parti politique comme on vend un autre produit de consommation, avec les mêmes techniques publicitaires, les mêmes stratégies de séduction. Surtout: ne pas oublier de prendre affectueusement un bébé dans ses bras lors d'une campagne électorale...
En fait, il est à se demander si ceux qui nous clament que l'on ne devrait pas être cynique ne cherchent pas à nous endormir. On veut nous empêcher d'exprimer notre dérision à l'égard des petites manigances de la classe politique, car on nous préfère anesthésiés, sans aucune envie de réagir. Car il ne faut pas croire que le cynisme est une finalité; il est plutôt le début d'un remous et d'une grogne qui pourrait bien enfler et éclater. En culpabilisant le peuple qui exprime son cynisme, ne chercherait-on pas à l'empêcher de se soulever?
Je réclame le droit au cynisme. Je crois même qu'il dénote une saine lucidité face à l'hypocrisie politique et partisane, même si parfois il s'exprime de façon malhabile. Le cynisme démontre que les citoyens ne sont pas dupes et qu'ils ont un certain sens de l'humour. Comme le disait Pessoa: «Le cynique est simplement un pessimiste joyeux.» Voilà qui me convient.
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Mario Vivier, Auteur
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