C'est au risque de perdre la mémoire que nos sociétés croient s'exempter de la connaissance explicite de leur passé, montre Jean-Pierre Rioux.
La France perd la mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, par Jean-Pierre Rioux, Éditions Perrin, 2006, 228 pages, 16 euros.
La mémoire française fout le camp ! C'est le diagnostic sombre mais pourtant convaincant de Jean-Pierre Rioux. Dans notre monde de consommation, l'histoire et l'historien subissent une évolution de la demande sociale qu'« ils ne peuvent tenir pour recevable sous peine de se renier ». D'autant, ajoute l'auteur, que les politiques cèdent à cette « tyrannie du présent », ce présentisme ou encore cet « éternel présent » évoqué par Hobsbawm dans l'Âge des extrêmes, cette autre face de « la perte d'autonomie économique et monétaire du pays, du relâchement du lien social, de la montée de l'incivisme et de l'incivilité, et surtout la de poussée de l'individualisme hagard et du multiculturalisme ».
Quant au fameux devoir de mémoire, Jean-Pierre Rioux estime qu'il ne peut l'emporter sur la connaissance explicite de l'histoire et sur la raison qui fonde la citoyenneté. L'enseignant constate que « nul n'attend plus de la classe d'histoire qu'elle ait à connaître d'abord de l'intérêt général et du destin collectif ». Pourtant, faute de se situer dans le passé et de se projeter dans l'avenir, une société « s'immobilise puis entre en convulsions, avant d'agoniser ».
Ce culte de l'instant n'a pas toujours été au pays de Danton et de Robespierre. L'historien rappelle à juste titre que ceux qui refusèrent le combat politique instauré à la faveur de 1789 en France furent marginalisés. Et de citer l'Action française, l'extrême gauche comme l'extrême droite, le centrisme. Et de préciser que ce ne « fut pas le cas du Parti communiste, d'abord stalinisé avec application mais qui sut depuis 1935 et dans la Résistance chanter la Marseillaise pour réintégrer la communauté nationale en fier combattant ».
Qu'on partage ou non l'ensemble des conceptions de Jean-Pierre Rioux, on ne peut rester insensible à son appel au devoir d'intelligence qui consiste à faire comprendre un enjeu de taille : construire un récit historique n'est jamais se soumettre à une fatalité du passé. Les progressistes ont appris que c'est même le contraire.
Valère Staraselski
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