Avec la pandémie et la mise sur pause du Québec qui s’en est suivie, la société québécoise croyait avoir conservé la solidarité qui l’avait souvent servie à travers son histoire. La maladie et le ralentissement de l’économie devaient faire ressurgir les vertus de l’altruisme dans un monde rongé par l’individualisme.
Malgré les beaux gestes d’entraide et de solidarité observés ici et là tous les jours, force est de constater que le Québec n’aura pas été à la hauteur de sa bonté légendaire. S’est plutôt révélée une société aussi socialement et moralement abîmée que les autres sociétés occidentales.
Une société fragmentée comme les autres
Lorsque la pandémie a frappé à nos portes, nous pensions être parmi les meilleurs et pouvoir même gagner en autonomie après la crise, mais nous sommes rapidement passés du retour chaleureux à la maison mère au désarroi, à la confusion et à l’impuissance. En quelques semaines, le bonheur de nous retrouver tous ensemble autour d’une même cause a fait place à la fragmentation sociale et à l’évaporation du sens du devoir. Nous sommes vite passés des couleurs stimulantes du « ça va bien aller » aux dérives embarrassantes suscitées par la crise.
Cette crise a d’abord été l’occasion de la découverte choquante d’un rapport trouble et malsain à la vieillesse. Notre relation difficile à la mort n’est pas sans lien avec la faillite du système d’hébergement de nos vieillards et leur exclusion sociale. À travers les personnes âgées, c’est notre propre fin que nous anticipons, mais que nous ne voulons pas voir. Partout en Occident, la jeunesse est sanctifiée, glorifiée, mythifiée, alors que la mort qui est au bout de la vieillesse est niée, pour ne pas dire rejetée.
Nous désertons les personnes âgées pour ne pas avoir à réfléchir à notre finitude et à l’assumer.
L’actualité nous a montré que ce rapport pathologique aux vieillards était loin d’être exclusif au Québec. En Italie, en Espagne et en France, la pandémie aura révélé des cas de négligence presque aussi graves. Sur le plan psychosocial, le choc est toutefois plus grand au Québec, car nous pensions être en bonne partie immunisés contre les excès déshumanisants de la modernité. Le Québec pratique une forme de séparation générationnelle sans l’admettre, tout en continuant de s’imaginer être le fruit d’une grande et belle « histoire de famille ».
Le Québec, si « tricoté serré » ?
Cette crise a ensuite montré de façon tout aussi choquante l’emprise démesurée du corporatisme sur notre société prétendument « tricotée serré ». Alors qu’une grande partie de la population se préparait déjà à faire des sacrifices, plusieurs syndicats et ordres professionnels ont surfé sur la crise pour négocier des primes pour leurs membres. D’ici quelques mois, le chômage atteindra pourtant des sommets historiques et l’État sera dans une situation économique extrêmement fragile.
Comment justifier de telles revendications dans le contexte actuel ? Comme l’a souligné Patrick Lagacé dans La Presse du 25 avril (« Les lavabos »), ceux qui ont encore un emploi devraient réaliser leur chance inouïe au lieu d’en réclamer davantage. Au Québec, c’est comme si nous voulions bien être solidaires, mais à condition d’être payés pour l’être.
Le refus de l’autocritique
La crise aura aussi exacerbé un autre tabou. Il existe au Québec une tendance paradoxale à l’autodépréciation systématique dont l’envers, la surévaluation, mène au refus de l’autocritique. Cette incohérence empêche la tenue d’un débat équilibré sur les grands enjeux de notre collectivité. Les Québécois tolèrent mal la critique, surtout lorsqu’elle est émise par un concitoyen, parce qu’ils y voient une forme de trahison de sa part. Ils évitent sans doute le débat par crainte de l’effritement national.
Ce refus de voir nos travers ressort particulièrement au sein de certains milieux nationalistes, qui contribuent à instaurer un climat délétère de censure autour du Québec et de son modèle social.
Toute remise en question d’un trait de la société québécoise est interprétée comme une attaque frontale envers la nation dans son ensemble, voire comme du Quebec bashing.
Le 14 mars 2017, une tempête de neige a forcé au moins 300 personnes à passer la nuit dans leur véhicule sur l’autoroute 13 ou à quitter la route à pied dans des conditions épouvantables. Deux personnes sont même mortes asphyxiées dans leur voiture alors que la neige bloquait le tuyau d’échappement. Les médias ont appris que des camionneurs avaient refusé de se porter au secours des personnes prisonnières.
À la suite de l’incident, l’essayiste et universitaire Andrew Potter a publié un texte dans Maclean’s où il expliquait l’incident par le manque de dévouement des Québécois qu’il décrivait comme habités par un profond « malaise social ». Accusé de dénigrer gratuitement le Québec, M. Potter a été forcé de démissionner de son poste de directeur de l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill. Le premier ministre Philippe Couillard était lui-même intervenu pour le condamner. La crise du coronavirus aura-t-elle donné raison à Andrew Potter ?