Dans une lettre ouverte publiée la semaine dernière, un ancien chef de cabinet de Mario Dumont, Jean Nobert, qui faisait partie du petit groupe de dissidents libéraux de 1992, rappelait au père fondateur de l'Action démocratique du Québec, Jean Allaire, leur commune indignation devant les manœuvres douteuses de la direction du Parti libéral du Québec pour faire avaler l'entente de Charlottetown.
De l'enterrement du rapport Allaire au congrès spécial tenu au PEPS de l'Université Laval, le PLQ avait peut-être vécu une des périodes les moins édifiantes de son histoire, mais il y avait eu un congrès — déchirant, il est vrai —, au cours duquel MM. Allaire et Dumont avaient au moins eu l'occasion de s'adresser aux délégués avant qu'ils se prononcent.
M. Nobert a raison: la façon dont l'establishment de l'ADQ s'y est pris pour faire avaliser la fusion avec la CAQ ne répond pas aux normes démocratiques auxquelles les militants adéquistes étaient en droit de s'attendre. Pas de congrès, ni de conseil général, aucun débat sur l'opportunité de la fusion, l'accès à la liste des membres refusé aux opposants... Est-ce qu'Omar Bongo y figure toujours?
Une autre lettre ouverte, publiée hier par trois anciens députés adéquistes sous le titre «Nous ne sommes pas à vendre», était un véritable cri du coeur. Quoi qu'on pense de l'ADQ ou des idées qu'elle a véhiculées, un minimum d'égards s'imposait avant de saborder un parti auquel des milliers d'hommes et de femmes ont consacré une partie de leur vie.
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On peut facilement comprendre la colère des députés péquistes et de leurs collègues néodémocrates, qui se sont sentis trahis par les défections de François Rebello et de Lise St-Denis. Il semble que M. Rebello devra aussi faire son deuil de vieilles amitiés, comme en témoigne la lettre très dure (voir en page Idées) que lui adresse aujourd'hui même le porte-parole du Nouveau Mouvement pour le Québec (NMQ), Jocelyn Desjardins.
Aussi détestables que puissent être les vire-capot, ils font partie d'une réalité dont chacun profite à tour de rôle. Quand l'ancien chef de l'Union nationale Rodrigue Biron s'est joint au Parti québécois en 1980, ses nouveaux collègues n'ont pas exigé qu'il se soumette au test d'une élection partielle.
En 1992, il était évident que l'immense majorité des électeurs de Westmount voyaient comme une véritable trahison le passage au PQ de Richard Holden, qui avait été élu sous la bannière du Parti Égalité trois ans plus tôt. On lui avait pourtant déroulé le tapis rouge.
Aux Communes, les transfuges font également partie des moeurs. Devant le tollé qu'avait soulevé l'affaire Gurmant Grewal, un député conservateur de la Colombie-Britannique que les libéraux de Paul Martin avaient tenté de débaucher en 2005, le commissaire à l'éthique de l'époque, Bernard Shapiro, avait commandé une étude sur le phénomène à l'historien Desmond Morton, qui avait recensé 180 cas depuis les années 1920, dont 84 concernaient des députés québécois. Devant une telle abondance, M. Shapiro avait préféré ne tirer aucune conclusion sur le plan de l'éthique.
Il y a cependant une grande différence entre ces députés qui ont «traversé la Chambre» et les élus adéquistes qui se sont précipités dans les bras de François Legault. Le PQ survivra au départ de M. Rebello, tandis que les membres de l'aile parlementaire de l'ADQ ont décidé de sacrifier le parti à leur carrière.
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Il est vrai que les orientations idéologiques de l'ADQ sont plus radicales depuis que Claude Garcia et Adrien Pouliot ont pris la direction de la commission politique. C'est essentiellement la question constitutionnelle qui avait amené les premiers adéquistes à claquer la porte du PLQ. Certes, ils voulaient aussi mettre un frein aux excès de l'État providence, mais Jean Allaire demeurait malgré tout un rejeton de la Révolution tranquille qui ne s'est pas reconnu dans ce nouveau libertarisme.
Les adéquistes d'aujourd'hui sont également plus fédéralistes que ceux d'il y a quinze ans. Durant la campagne référendaire de 1995, Claude Garcia voulait «écraser» le camp du OUI, dont faisait partie M. Allaire. La perspective de cohabiter avec les ennemis d'hier qui ont trouvé refuge à la CAQ ne doit certainement pas lui sourire. À cet égard, le moment de la défection de M. Rebello, qui prétend y voir un nouveau moyen de réaliser la souveraineté, était particulièrement mal choisi. Un véritable «pied de nez», a commenté Jean Nobert.
Le nombre de membres de l'ADQ a chuté brutalement au cours des dernières années. La proportion de «purs et durs», jadis minoritaires, est sans doute plus importante. Est-ce la raison pour laquelle l'establishment du parti a voulu étouffer le débat sur la fusion avec la CAQ? Un rejet plongerait tout ce beau monde dans un profond embarras.
«L'Action démocratique du Québec fonde son programme sur la démocratie et l'amélioration des processus d'expression de la volonté populaire», pouvait-on lire dans le document adopté au congrès de fondation en 1994. Apparemment, cela ne s'appliquait pas aux militants du parti.
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