«Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément», disait Boileau.
Pauline Marois a fait une remarquable démonstration par l'absurde de cette maxime samedi après-midi, alors qu'elle ne semblait pas très bien connaître les dispositions de son propre projet de loi sur l'identité québécoise, encore moins celles de la loi canadienne sur la citoyenneté et de la Charte canadienne des droits et libertés.
Un Québec souverain serait libre d'imposer les conditions de sa citoyenneté, mais il fait toujours partie du Canada. Dans le projet de Marois, la première condition est même d'être citoyen canadien depuis au moins trois mois.
En toute logique, il ne devrait donc pas avoir pour effet de priver un nouvel arrivant de droits que lui confère déjà sa citoyenneté canadienne. Or, tout citoyen «né au Canada ou non» se voit garanti le droit d'être candidat aux élections fédérales, provinciales et territoriales.
S'il était adopté par l'Assemblée nationale, le projet péquiste risquerait fort d'être déclaré inconstitutionnel. Dans un texte publié aujourd'hui dans nos pages, [Jean-François Lisée->9776], qui fait partie des conseillers de la nouvelle chef du PQ, évoque le cas de l'élection du gouvernement de la nation Nisga'a, mais il ne s'agit pas d'une élection provinciale ou territoriale.
Théoriquement, rien n'empêcherait le Canada d'imiter la Finlande ou la France et de modifier la Charte des droits pour consentir une exception en faveur du Québec, mais il serait pour le moins étonnant que le fédéralisme d'ouverture de Stephen Harper aille jusque-là. La Chambre des Communes a reconnu l'existence d'une nation québécoise «au sein du Canada», ce qui implique d'en respecter les lois.
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Évidemment, si le projet de loi sur l'identité s'inscrit dans la stratégie dite des «gestes de rupture» illégaux que proposait jadis le directeur de l'Action nationale, Robert Laplante, c'est une autre affaire.
Certains autour de Mme Marois sont peut-être de cette école, mais on n'avait pas compris qu'elle-même en faisait partie. Au contraire, elle avait suscité la colère des «purs et durs» au congrès péquiste de juin 2005 en intervenant de façon très active sur le plancher pour empêcher que des éléments de cette stratégie ne se retrouvent dans le programme du parti.
D'ailleurs, dans le projet de constitution québécoise que le PQ a également rendu public la semaine dernière, on a bien pris soin de ne pas inclure les dispositions controversées de la Loi sur les droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec, que le gouvernement Bouchard avait adoptée en réaction à la loi fédérale sur la clarté.
«Je ne peux pas croire que 30 ans après la loi 101, on se questionne encore sur le bien-fondé de protéger la langue française», s'est écriée Mme Marois. Là n'est pas la question. Il n'y a aucun problème à inclure un droit à «l'apprentissage du français» dans la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Octroyer un tel droit ne devrait cependant pas signifier d'en enlever d'autres à ceux qui choisiraient de ne pas l'exercer ou qui n'en tireraient pas tout le profit souhaité.
Dans [un texte publié hier dans Le Devoir, Mme Marois et Daniel Turp->9748] invoquent les tests imposés par les ordres professionnels. S'il faut une connaissance appropriée du français pour travailler dans un hôpital, pourquoi pas pour être maire ou député? La différence est que ces tests sont imposés à tout le monde, alors que seuls les nouveaux arrivants auraient à subir l'examen de citoyenneté. Un anglophone de souche pourra continuer à ignorer le français sans le moindre inconvénient.
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Mme Marois est la première à dire que l'examen imposé aux nouveaux arrivants serait très sommaire. Autrement dit, cela ne contribuerait que marginalement à leur francisation, alors que les inconvénients politiques pourraient être considérables pour le PQ et pour le projet souverainiste.
C'est à l'école et dans les milieux de travail que l'essentiel se joue. Faire en sorte qu'il ne soit pas possible de gagner convenablement sa vie au Québec sans parler le français convenablement est le plus sûr moyen d'assurer l'intégration des immigrants.
L'entourage de Mme Marois était divisé sur le projet de citoyenneté québécoise. À entendre ses laborieuses explications, on peut se demander si elle-même a pris le temps de bien mesurer ses implications. Dans le contexte du débat sur les accommodements raisonnables et sur l'immigration en général, le moment était particulièrement mal choisi. Ce qui se voulait un moyen de renforcer la cohésion de la société québécoise risque de devenir plutôt un facteur de division.
Il lui arrive parfois de s'avancer prématurément et de devoir battre en retraite précipitamment. Le soir de son élection comme députée de Charlevoix, elle avait annoncé que son éventuel cabinet inclurait un «ministre de la souveraineté». Quatre jours plus tard, elle faisait savoir qu'il n'en était plus question.
Elle sait d'expérience qu'il vaut mieux subir les sarcasmes pendant quelques jours que de s'enfoncer dans une voie sans issue. Quand Lucien Bouchard l'avait chargée de déconfessionnaliser les structures scolaires, ses fonctionnaires avaient d'abord imaginé un échafaudage si compliqué qu'elle avait elle-même eu du mal à l'expliquer. Elle s'était vite rendu compte que cela ne tiendrait pas la route. Quand les moqueries se sont tues, elle est revenue avec une solution beaucoup plus simple qui s'est avérée un succès. Savoir reconnaître une erreur est une précieuse qualité qui n'est pas si fréquente en politique, et il faut parfois plus de courage pour reculer que pour avancer.
Les trois partis représentés à l'Assemblée nationale se disent en faveur de l'adoption d'une constitution québécoise. Si le PQ insiste pour y inclure une citoyenneté aux conditions énoncées dans son projet de loi, il n'y aura tout simplement pas de constitution. Dans les circonstances, Mme Marois devrait faire marche arrière et, forte de cette malheureuse expérience, apprendre à se méfier des amateurs de gadgets politiques.
mdavid@ledevoir.com
Le courage de reculer
Mme Marois devrait faire marche arrière et, forte de cette malheureuse expérience, apprendre à se méfier des amateurs de gadgets politiques
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