Le gouvernement fédéral est prêt à indemniser Kinder Morgan, le promoteur de l’oléoduc Trans Mountain, pour les pertes financières qui seraient occasionnées par la Colombie-Britannique. Ce geste inusité ne répondrait pourtant qu’à une seule des conditions posées par l’entreprise pour achever le projet et ne garantirait pas la fin de l’impasse. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Cette décision annoncée mercredi par le ministre des Finances, Bill Morneau, peu avant le début de l’assemblée des actionnaires de Kinder Morgan, a surpris. Ottawa a soutenu financièrement des projets énergétiques par le passé, mais jamais pour contrer les risques politiques découlant des décisions d’un gouvernement provincial.
En plus, on ignore toujours combien cela coûterait, avec quelles conditions et en vertu de quels critères seraient départagés les retards attribuables aux actions de la province, aux procédures judiciaires ou à l’opposition citoyenne et autochtone. On ne sait pas non plus si le gouvernement envisage une participation dans le projet, puisque les discussions se poursuivent.
On a toutefois compris qu’elles n’allaient pas dans la direction souhaitée. Le p.-d.g. de la compagnie, Steve Kean, n’était d’ailleurs pas ébranlé par l’offre de Bill Morneau. Cette dernière vise pourtant à calmer les inquiétudes financières des actionnaires, tout en accentuant la pression sur le vilain de service, le premier ministre de la Colombie-Britannique, le néodémocrate John Horgan. Ottawa l’accuse de faire des gestes anticonstitutionnels pour stopper le projet.
Minoritaire et soutenu par les verts, M. Horgan défend devant les tribunaux le pouvoir de la province de réglementer, pour des raisons environnementales, la quantité de matières dangereuses qui transiteront sur son territoire, une fois le projet terminé. Il ne voit pas ce qu’il y a d’inconstitutionnel à s’adresser aux tribunaux pour déterminer où s’arrête le pouvoir fédéral et où commence celui de la province. Il rappelle aussi que rien n’interdit entre-temps à la compagnie de poursuivre les travaux.
C’est autre chose qui, de toute façon, a poussé Kinder Morgan à cesser toutes dépenses non essentielles le 8 avril dernier. Elle exige la levée, dès le 31 mai, de l’incertitude réglementaire et juridique qui entoure le projet de 7,4 milliards. Elle veut aussi qu’on rassure ses actionnaires qui hésitent à investir davantage dans un projet pouvant se faire imposer, une fois terminé, un régime réglementaire défavorable.
Ottawa offre un remède à leur frilosité financière, mais ne peut rien contre les manifestations et les recours judiciaires. Il ne peut pas non plus prédire leur issue. Kinder Morgan demande finalement l’impossible en exigeant la levée de toute incertitude pour le 31 mai. Pourquoi ?
Persuadé de l’emporter sur le front constitutionnel, le fédéral promet que son offre d’indemnité va demeurer sur la table pour quiconque accepterait de prendre la relève de Kinder Morgan. Le scénario d’une vente n’est pas loufoque. Il se discuterait en coulisses, écrit le Globe and Mail. Selon une de ses sources, la sortie d’Ottawa viserait, d’une part, à faire comprendre aux actionnaires qu’il y a des limites à vouloir soutirer des milliards au gouvernement et, d’autre part, à inciter des entreprises à manifester leur intérêt pour le projet. Encore faut-il que Kinder Morgan veuille se départir du pipeline dont on veut tripler la capacité.
Coincés, les libéraux ont trop investi politiquement dans la réalisation d’un pipeline vers la côte ouest pour abandonner. Ils en ont fait un symbole de leur campagne pour la conciliation environnement-économie en Alberta afin de la convaincre de se joindre au plan canadien de lutte contre les changements climatiques.
Cette affaire soulève toutefois des questions constitutionnelles qui doivent être résolues et cela ne se fera pas à coups d’argent, de chantage et d’échéanciers artificiels. Un renvoi à la Cour suprême accélérait par contre l’obtention d’une réponse et Ottawa devrait s’y résigner.