François Legault a obtenu hier un mandat clair de la part de l’électorat pour diriger les destinées du Québec pour les quatre prochaines années. L’ampleur de la victoire de la Coalition Avenir Québec, annoncée à peine 14 minutes après la fermeture des bureaux, est sans ambiguïté.
Un faible taux de participation (n’atteignant même pas 67 pour cent) crée généralement un contexte plus favorable au gouvernement sortant qu’à l’opposition. Ce ne fut assurément pas le cas hier, alors que le Parti libéral a obtenu le faible résultat de son histoire. La moitié de l’électorat québécois a voté pour les « jeunes partis » (CAQ + QS), renforçant l’ampleur du changement de garde auquel nous assistons.
On peut malgré tout se poser une question très importante : quel est le projet de la nouvelle équipe au pouvoir?
Claude Villeneuve se posait la même question il y a quelques semaines, rappelant que François Legault a successivement justifié son entrée en politique par l’équité intergénérationnelle, l’indépendance du Québec, le développement économique, le Projet Saint-Laurent, la lutte au gaspillage, l’identité, puis la maternelle quatre ans. On pouvait cependant se dire qu’une fois au pouvoir les choses seront plus claires.
Le premier ministre désigné a débuté son discours de victoire en saluant le courage des Québécois qui avaient tourné la page sur le « débat qui nous divisait depuis 50 ans », soit celui de la souveraineté. D’accord, mais c’est un peu court. Changer de débat, mais pour le remplacer par quoi? Qui plus est, cesser la division référendaire et se concentrer sur les « vraies affaires » de la gestion quotidienne de la province de Québec, n’est-ce pas également la vocation du PLQ, qui fait campagne sur ce thème depuis 20 ans?
Dans son allocution, François Legault a aussi répété à plusieurs reprises les mots « nouveauté » et « changement ». Au risque de me répéter, de quoi parle-t-on exactement? M. Legault n’a pas jugé bon de rappeler ses principales promesses ou d’avancer un quelconque échéancier pour les réaliser, ou même d’effleurer les contours d’un semblant de plan d’action. Changement! Nouveauté!
Je me permettrai de reproduire ces mots d’un billet que je publiais hier, car je crois qu’ils portent la réponse à ces questions :
Les libéraux ont gagné. Peu importe qui l'emporte ce soir, la campagne qui se clôt témoigne d'une victoire éclatante des libéraux. Aucun grand projet, seulement des promesses clientélistes ciblant des groupes précis. Que des «vraies affaires», aucune idée d'envergure pour l'avenir. Aucun débat sur le «pourquoi», seulement une discussion sur le «comment». Aucun affrontement entre visions, uniquement une confrontation entre les manières d'administrer à la petite semaine. Fini le temps du sens de l'État, place à la gestion comptable. Plus de citoyens, seulement des clients. Tournons la page sur le politique, bonjour le technique. Cette élection a montré que les libéraux sont profondément parvenus à leurs fins: ils ont bel et bien réussi à ce que l'État québécois renonce à incarner notre nation et à porter sa spécificité et ne soit plus qu'un comptoir administratif. 15 ans d'efforts s'avèrent couronnés de succès.
La CAQ nous propose davantage une administration à la petite semaine qu'une grande vision d'envergure. À ce titre, il faut remarquer que M. Legault est probablement le plus piètre orateur de tous les premiers ministres depuis plusieurs décennies. Je n’évoque pas cet aspect dans le but d’humilier le nouveau chef du gouvernement, mais parce qu’il est bon de noter qu’il s’exprime entièrement comme un PDG, pas comme un leader charismatique dirigeant l'État incarnant une nation distincte. La rupture par rapport à ses prédécesseurs est considérable et le virage managérial auquel je faisais référence ci-haut atteint un niveau symbolique sans précédent.
M. Legault lui-même affirmait récemment que son gouvernement réorienterait les Délégations générales du Québec à l’étranger vers une mission strictement économique consistant à attirer les investisseurs étrangers et faire rayonner les entreprises québécoises dans ces pays. Le réseau des DGQ, même si la première d’entre elles a été créée avant la Révolution tranquille, résulte d’une volonté de faire valoir le point de vue sur le monde de la nation québécoise. Quand on a questionné le chef caquiste sur la traditionnelle mission diplomatique des Délégations, soit de nouer des liens de nation à nation, d’État à État, il a semblé n’avoir qu’un intérêt limité à son endroit, rappelant qu’il était « un homme d’affaires ». De toute manière, le virage qu’il souhaite enclencher dans les bureaux du Québec à l’étranger a déjà été opéré sous les libéraux...
Il faut aussi se questionner sur la capacité d’agir du nouveau gouvernement. Étant majoritaire, on se dira d’emblée que la marge de manœuvre de la CAQ est quasi illimitée. Or, rappelons-nous que les libéraux ont été au pouvoir pendant 15 ans. Un parti qui est en permanence au pouvoir, connaissant les moindres racoins du système politique, ne peut que devenir abusivement à l’aise. Les scandales de corruption montraient que la saine frontière entre le parti au pouvoir et l’État avait progressivement fondu. On peut donc présumer, sans trop se tromper, que l’appareil d’État est une véritable pépinière de libéraux. Le gouvernement caquiste aura un sacré ménage à faire s’il ne veut pas que la technocratie interne ne lui mette des bâtons dans les roues. Existe-t-il, cependant, un réseau caquiste d’une assez grande ampleur pour se substituer à celui d’un parti qui existe depuis 1867?
Il lui faudra donc une volonté politique d’acier. Mais celle-ci doit bien entendu faire suite à un projet. Malgré ses ambiguïtés, François Legault semble afficher une adhésion constante à une certaine forme de nationalisme économique, ayant proposé de réorienter Investissement Québec et d’utiliser plus activement la Caisse de dépôt et placement. Avec le nouvel ALÉNA et les menaces qui planent sur le système de gestion de l’offre au Québec, il n’aura d’autre choix que s’y consacrer.
On ne compte plus, par ailleurs, le nombre de dossiers dans lesquels les libéraux ont montré leur adhésion religieuse au laisser-faire et à la circulation illimitée des capitaux, qu’on pense à Bombardier, à Rona ou à la Davie. Le PLQ ne semble jamais avoir cru en la nécessité de relocaliser au Québec nos activités, nos emplois, et de bénéficier de leurs retombées.
François Legault pourrait ainsi faire œuvre utile en repensant, au Québec, un État ayant une réelle fonction stratégique.