Contestés, mais sur le point d’être achetés. Les Forces armées canadiennes viennent d’exprimer officiellement leurs intentions d’acquérir, dans les prochaines années, des drones armés pour leurs opérations militaires. Ces avions sans pilote, utilisés par les Américains en Afghanistan et Irak, entre autres, font régulièrement la manchette en raison des nombreux civils qu’ils entraînent dans la mort. Le Canada cherche toutefois par cette acquisition, évaluée à entre 500 millions et 1,5 milliard de dollars, à moderniser sa philosophie de la guerre, tout en alignant ses pratiques sur celles de son voisin du Sud.
« C’est la première fois que le Canada expose de manière explicite son intention d’acheter des drones armés, et ce, pour ses forces terrestres et ses forces spéciales », a résumé jeudi en entrevue au Devoir le spécialiste en politique de défense Philippe Lagassé, professeur à l’Université d’Ottawa. L’homme a, entre autres, siégé à un comité d’experts pour le remplacement des chasseurs CF-18. « Pour le moment, l’armée dispose de tels avions, mais pour des opérations de surveillance seulement. »
D’ici 2021
Le changement de cap vient d’être tout juste formulé, sans tambour ni trompette, dans le Guide d’acquisition de la Défense 2014, document rendu public il y a quelques jours par le ministre de la Défense nationale, Rob Nicholson, pour énoncer les besoins à venir des Forces et les achats envisagés au cours des 20 prochaines années. Ce guide vise à donner les grandes orientations de l’armée canadienne aux industriels pour leur permettre « d’investir judicieusement en recherche et développement », et ce, afin de répondre adéquatement aux besoins du ministère.
En matière de « système d’aéronef sans pilote » (SASP, terme administratif qualifiant les drones), Ottawa dit vouloir augmenter sa capacité d’ici 2021, et plus seulement pour des opérations aériennes de renseignement, de surveillance et de reconnaissance. Ces appareils vont devoir à l’avenir fournir « une force de frappe de précisions en soutien aux forces terrestres ou spéciales », peut-on lire. Ils devront également « réduire la durée entre la reconnaissance d’un objectif, la demande de frappe de précision et la production de l’effet ».
Ces drones pourraient prendre part à des opérations nationales — le domaine maritime et l’Arctique sont mentionnés — et internationales, tout en permettant au Canada de participer à des opérations militaires conjointes, dans le cadre de l’OTAN, à titre d’exemple. « Si nos alliés ne sont pas en mesure de nous fournir un soutien aérien lors d’opérations à l’étranger, nous allons être en mesure de le faire nous-mêmes avec ces drones », dit M. Lagassé.
Aucun modèle précis de drones armés n’est pour le moment évoqué par la Défense nationale dans son guide. « Il en existe plusieurs modèles, poursuit le spécialiste. Mais il pourrait s’agir d’un drone hybride fabriqué au Canada, avec la collaboration des États-Unis et d’Israël [deux pays qui utilisent régulièrement ces avions sans pilote à des fins létales]. » L’attribution des contrats doit se faire d’ici 2019, selon le document.
Une guerre déshumanisée
Les intentions du fédéral en matière de drones armés n’étonnent pas Houchang Hassan-Yari, professeur au Collège militaire royal du Canada qui suit de près les mutations des corps armés à travers le monde. « On assiste à une déshumanisation de la guerre, dit-il à l’autre bout du fil. Sur le théâtre des opérations, les robots et les drones remplacent de plus en plus les humains, et cette acquisition ne fait que confirmer cette tendance. »
Le drone, téléguidé à distance, peut parcourir de grandes distances pour mener des opérations ciblées à l’autre bout du monde, tout en permettant à son opérateur de rester dans son pays. Ses coûts d’utilisation sont inférieurs à ceux d’un chasseur classique avec pilote, « ce qui, dans nos contextes budgétaires actuels, est un atout pour ces armes », souligne M. Hassan-Yari. Les drones permettent aussi de faire la guerre dans une plus grande acceptabilité sociale puisqu’ils réduisent considérablement les pertes humaines, dans les rangs des belligérants, toutefois.
En octobre dernier, un rapport d’Amnesty International a accusé en effet les frappes des drones américains à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan d’avoir entraîné la mort de 400 à 900 civils entre 2004 et 2013, en plus d’en blesser sérieusement 600 autres. En janvier, le rapporteur spécial de l’ONU sur la protection des droits de l’Homme dans la lutte antiterroriste, Ben Emmerson, a lancé une enquête sur ces « exécutions extrajudiciaires », comme on les nomme sobrement, liées à cette guerre chirurgicale au Pakistan, au Yémen, en Somalie, en Afghanistan et en territoires palestiniens, où les drones sont de plus en plus utilisés.
Rappelons qu’en 2006, Stephen Harper a promis d’établir à la base militaire de Goose Bay, à Terre-Neuve-et-Labrador, le premier escadron canadien de drones à longue portée. En avril dernier, rapportait Postmedia, le haut gradé Phil Garbutt a par ailleurs souligné, lors d’une rencontre avec l’industrie à Ottawa, que ce projet était toujours dans les priorités du gouvernement avec, dans la ligne de mire, un objectif clair : des drones armés opérationnels dès 2021 et une infrastructure complète d’escadron téléguidé pour 2023.
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