Énergies fossiles et changements climatiques

Le Canada en panne d'une doctrine énergétique cohérente

Plaidoyer en faveur d'une "autonomie énergétique simple" pour le Canada

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Tribune libre

Cohérence et logique: clés d'une doctrine efficace


Dans le monde militaire, le terme "doctrine" revêt un sens bien à lui, une sorte de cas particulier de celui que lui attribuent généralement les dictionnaires. Une doctrine militaire est un ensemble de principes stratégiques qui assurent la cohérence d'une organisation militaire et par extension, du pays qui la supporte. Par exemple, la fameuse guerre froide entre les États-Unis et l'URSS était le fruit des doctrines militaires des deux grandes puissances mondiales, qui découvraient toutes deux qu’elles avaient à leur disposition une puissance destructrice tellement forte que le seul fait de s’en servir entraînerait leur propre destruction. Le blocage associé à une assurance de destruction mutuelle en cas de conflit nucléaire était la seule solution logique et la "doctrine militaire" de non-utilisation de la force nucléaire qui en a résulté était le choix stratégique à faire. Une « doctrine », dans ce sens très militaire, est utile non seulement pour le pays qui l'élabore, mais également pour les interlocuteurs sur la scène internationale qui interagissent avec lui.



Malgré cette introduction par le côté sombre du volet militaire et en regardant les choses plus positivement, l’élaboration d’une doctrine peut fort bien s’appliquer aux autres secteurs des relations multilatérales entre les pays. Une doctrine fournit un fondement logique qui s’explique et qui permet aux multiples acteurs d’une société complexe de, pour ainsi dire, "aligner leurs flûtes". Pour l’instant, le Canada n’a aucune doctrine énergétique ou pétrolière. La population canadienne et ses élus soufflent le chaud et le froid et présentent une cacophonie de contradictions qui nuit non seulement aux relations entre les membres de notre fédération mais présente sur la scène internationale l’image d’un pays désorganisé qui ne sait pas sur quel pied danser (voir mon texte portant sur le multiculturalisme énergétique).




La Norvège en exemple


Prenons la Norvège en exemple. Elle dispose de grandes réserves pétrolières, mais a choisi d’en verser les profits dans un fonds qui a maintenant atteint le cap des 1000 milliards de dollars. Elle a même décidé récemment que ce fonds n'investirait plus dans des entreprises associées aux énergies fossiles! Ce fonds permet à la génération présente d’apprendre à ne pas trop compter sur les énergies fossiles dont le pays dispose, mais aussi de mettre immédiatement en place les coûteuses mesures dont auront besoin les générations futures pour survivre à l’Après. Cette "doctrine" s’explique logiquement et reçoit l’adhésion du peuple norvégien mais elle n'est pas sans contradictions: la Norvège exporte pour l'instant la majeure partie de sa production pétrolière et gazière. Le pays met de l'avant une politique énergétique intérieure qui favorise de manière exemplaire les énergies renouvelables et il ne sera donc pas celui qui va brûler tout ce pétrole mais il s'en lave les mains et aide par ses exportations les autres pays à polluer la planète. À mon avis, se donner bonne conscience à l'intérieur de ses frontières ne suffit pas quand la problématique du réchauffement planétaire est de nature globale.



Autonomie vs Exportation


C’est à tout le moins dans un état d’esprit aussi cohérent que celui des Norvégiens que je crois que la population de tout le Canada devrait se trouver. Une doctrine qui serait fondée sur une simple autonomie énergétique du Canada aurait de meilleures chances d'acceptation par des environnementalistes qui, pour l'instant, polarisent l'opinion publique en empêchant la fameuse "acceptabilité sociale" si chère à nos politiciens de tout projet d'envergure associé à l'énergie. Si le Canada décidait de ne plus être un pays exportateur et qu'il limite sa production pétrolière aux seuls besoins de sa propre population, la réduction des émissions de GES et ses engagements internationaux de réduction des gaz à effet de serre et de lutte contre les changements climatiques seraient faciles à rencontrer. L’acceptabilité sociale sur le déploiement de pipelines qui traversent nos provinces, si tant est-il qu'ils seraient toujours requis, serait tellement plus facile à atteindre si la population avait l’assurance que ceux-ci ne serviraient pas à l’exportation mais plutôt uniquement à nos propres besoins.



Cesser d’être un pays exportateur de pétrole, ça ne serait pas une doctrine facile à mettre en place et ça aurait des conséquences économiques importantes sur le bilan de nos échanges commerciaux avec les autres pays et sur notre richesse collective. Les Albertains et les Terre-Neuviens y verraient certainement la fin de leurs rêves de richesse et de prospérité. Ils comprendraient peut-être en contrepartie un jour le bon côté des choses, avec l’assurance que le Canada tout entier compterait exclusivement sur leur pétrole et cesserait d’en importer de l’étranger et, qui sait, ils cesseraient peut-être de pester contre la péréquation qui constitue aujourd'hui un détournement déguisé d'une partie de cette richesse pétrolière.



Une doctrine énergétique canadienne cohérente permettrait au Canada de présenter au reste du monde l’image d’un pays qui est conscient du besoin global de tous les pays, individuellement ET collectivement, de changer ses comportements pour adopter de nouvelles formes d’énergie et qu’il s’affaire sérieusement à son devoir vis-à-vis de la communauté internationale en réduisant sa production pétrolière et gazière au strict nécessaire pour répondre à ses propres besoins durant cette transition.




Une structure politique réfractaire au changement


Mais tout cela n’arrivera pas. Le Canada, dans sa structure politique actuelle, n’a aucune capacité de gestion unifiée et cohérente. La double représentation électorale fédérale et provinciale a créé un blocage constitutionnel insoluble qui va continuer d’opposer les intérêts régionaux non seulement entre eux mais également vis-à-vis d’un pouvoir central parallèle. Qui plus est, la constitution canadienne établit clairement que les ressources naturelles des provinces sont sous leur juridiction et jamais l'Alberta ou Terre-Neuve et Labrador n'accepteront de se voir confisquer le droit d'en tirer un avantage exclusif.


Étrangement, si la souveraineté du Québec avait été entérinée par le référendum de 1995, un Canada sans le Québec aurait peut-être été forcé de réfléchir à une rénovation majeure de la Constitution pour les provinces et territoires restants, qui aurait pu servir de base à une renégociation du partage des pouvoirs entre les provinces, les territoires et le gouvernement central. Cette occasion manquée pour le Québec l'a assurément été aussi pour le reste du Canada.


Dans tous les cas, l'Histoire ne peut pas rester figée dans l'immobilisme indéfiniment. Si les forces du changement ne viennent pas de l'intérieur, elles viendront de l'extérieur (climat, guerres, migrations de populations, etc) et revêtiront un jour une importance dramatique assez puissante pour forcer les composants politiques canadiens à repenser leur architecture constitutionnelle pour affronter des défis majeurs. Cet horizon ne se déploiera probablement pas du vivant de bien des Canadiens mais les structures politiques nous survivront, elles, et devront s'adapter un jour. La question qui demeure, c'est si le Québec y sera encore présent à ce moment mais pour l'instant, il semble que oui.


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André Verville13 articles

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Géomaticien et expert en technologies géospatiales et en imagerie aérienne, André Verville a une réflexion scientifique sur plusieurs enjeux de société. Publiés à l'occasion dans le journal Le Soleil depuis quelques années, ses textes d'opinion surprennent parfois parce qu'ils amènent un point de vue qui sort souvent des sentiers battus, un peu comme la photographie aérienne nous permet de mieux comprendre la géographie du territoire. À la fois souverainiste et écologiste convaincu, il est par contre réaliste et il tente par son approche logique des enjeux politiques de notre société d'amener ses concitoyens à remettre en question certaines croyances et principes à courte vue qui à son avis sont contre-productifs pour l'avancement de ces causes. Le changement du point de vue est parfois essentiel pour mieux comprendre les choses. En cartographie photogrammétrique, sa spécialité, on appelle ça de la parallaxe et croyez-le ou non, ça permet de voir les choses en 3D!





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