Pétro-dollars ou écologie? Le Canada souffle le chaud et le froid.

Le Canada et le multiculturalisme énergétique

Comment le Canada s'enlise dans une doctrine de paradoxes destructeurs

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Tribune libre

Bon, ça y est, la « religion laïque » canadienne que constitue dorénavant le multiculturalisme se répand dans tous les secteurs d’activité de ce très grand pays. Sa dernière progéniture est sans contredit le multiculturalisme énergétique. Le débat qui a présentement cours et qui met en choc frontal l’Alberta et le Québec sur le duo malsain que constituent le pétrole albertain et la péréquation en est un bel exemple.


Mais que signifie donc cette nouvelle appellation que j’identifie comme le « multiculturalisme énergétique »? C’est que dans un pays aussi grand et immense que le Canada, il se crée nécessairement des poches économico-sociales fortement teintées par la géographie et le contexte social qui en découle. Les citoyens de ce pays ne vivent pas tous la même réalité et se créent pour eux-mêmes une culture énergétique régionale qui leur est propre.


Des disparités régionales en fond de scène


Sur la côte du Pacifique en Colombie-Britannique, on vit au rythme des échanges avec l’Asie, de la proximité avec Seattle, des riches investisseurs asiatiques, des paysages naturels époustouflants et d’une nature généreuse et riche. Comme le pétrole est une activité industrielle lourde et polluante et les risques de catastrophes environnementales importants, on aime mieux ne pas toucher à tout ce qui sent le pétrole, les autochtones au premier chef. L’Alberta touristique de Banff et des Rocheuses fait piètre figure dans cette province de fourmis travailleuses qui roulent en pickups, percent et creusent le sol pour en retirer du pétrole. Une partie de l’âme de l’Alberta réside dans des travailleurs issus de l’immigration ou de d’autres provinces, temporairement ou en permanence, dans une quête de revenu et de niveau de vie. Une Ontario traditionnellement riche de sa grande disponibilité de main d’oeuvre, de ses usines et de ses centres de distribution de biens et denrées doit maintenant faire face au choc de la robotisation des processus de fabrication et de la concurrence déloyale de la Chine. Elle a vu comme bien d’autres provinces ses travailleurs et une partie de ses forces vives se déplacer vers l’Ouest, en même temps que son poids politique dans la fédération canadienne. Dans les provinces maritimes, qui en arrachent depuis toujours à cause de la nature fortement saisonnière de leur activité économique, il est devenu normal de voir un ménage par ci, par là dans lequel l’un des conjoints, habituellement l’homme, quitte une partie de l’année pour travailler dans l’Ouest. Au Québec finalement, à cause principalement d’un l’interventionnisme de l’État sans commune mesure avec ce qui se fait dans le reste du Canada, on dirait que l’argent n’a pas la même valeur. On peut vivre avec moins, donc les salaires sont traditionnellement bas, beaucoup plus bas qu’en Alberta par exemple, ce qui crée une apparence de pauvreté qui colle à la peau des Québécois et en justifie plusieurs ailleurs au Canada de les qualifier soit de « losers », soit de bénéficiaires de l’aide sociale péréquationnelle.


Les multiples paradoxes énergétiques du Canada


Le survol de ces différences ne fait que mettre en évidence le grand paradoxe canadien en matière énergétique. À l’international, le Canada aime bien se voir comme un participant honnête et actif dans la lutte contre les changements climatiques. La « culture énergétique » officielle canadienne est de réduire ses émissions de gaz à effets de serre. Sa présence sur l’échiquier mondial comme pays non seulement producteur mais également exportateur de pétrole montre cependant ce côté sombre de la « force » canadienne que le pays a de la difficulté à cacher, ce qui en fait une « culture énergétique officieuse », moins vendeuse mais apparemment économiquement nécessaire. Les entreprises pétrolières installées en Alberta sont des joueurs mondiaux dans un marché global, les réserves canadiennes sont immenses et elles ont tout avantage à augmenter la production et à en exporter les produits. L’Alberta y gagne en revenus de taxation et en royautés sur les ressources naturelles, à condition de pouvoir faire sortir son pétrole de sa province géographiquement enclavée et sans accès à la mer. La « culture énergétique » albertaine est claire: l’écologie passe en second. Viennent ensuite les autres provinces, surtout dans les Maritimes, qui voient leurs forces vives aller travailler en Alberta quand elles sont jeunes et en santé, puis revenir dans leur province d’origine se faire soigner et finir leurs jours quand elles sont malades ou à la retraite: la belle affaire! Leur culture énergétique est mitigée: envoyer ses travailleurs dans l’Ouest y travailler semble une solution viable à court terme parce qu’ils amènent de l’argent dans la province, du moins dans l’immédiat. Pour le reste, si le pétrole permet de mettre du beurre sur les toasts et mettre son monde sur l’assurance-emploi au lieu de l’assistance sociale, l’affaire est ketchup: culture énergétique alimentaire, la planète et le réchauffement climatique, on verra plus tard.


Le Québec, encore une fois distinct


Pour le Québec, la culture énergétique est toute autre. On ne dit pas « hydro-québécois » pour rien. Les québécois éprouvent une grande fierté dans le fait qu’ils sont auto-suffisants en électricité et ils aiment bien se péter les bretelles en disant que c’est de l’énergie propre. On en a tellement qu’on se chauffe avec par -30, faut le faire! Notre économie, traditionnellement à la traîne au niveau manufacturier par rapport à l’Ontario, aujourd’hui plus orientée culture, finances, assurances et technologies de pointe, est moins affectée par les pertes d’emplois reliées à l’automatisation et à la délocalisation industrielle vers l’Asie. Le pétrole on s’en tape, on va même affirmer haut et fort quand on en trouve dans notre sous-sol (Anticosti ou gaz de schiste dans la Vallée du Saint-Laurent) qu’on préfère le laisser là! À plus forte raison, s’il se trouve que quelqu’un voudrait faire transiter du pétrole sur notre territoire, on va tout faire pour l’empêcher. Il s’agit là de tout un un clash par rapport à la culture énergétique qui prévaut ailleurs au Canada.


Le multiculturalisme: tabler sur ce ce qui divise au lieu de ce qui unit


Si ce n’était pas suffisamment clair dans ce qui précède, je pense que dans un grand pays comme le Canada, le multiculturalisme énergétique n’a pas sa place et est presque aussi destructeur pour l’Unité Nationale que le multiculturalisme pur et simple. D’aucuns diraient que l’énoncé du problème n’amène pas de solution mais c’est à tout le moins un début. Les Canadiens et les Québécois ont par le passé amené sur la table deux avenues de solution à ce genre de disparités régionales, la Souveraineté du Québec et l’Entente du Lac Meech. Elles ont toutes deux été rejetées par toutes les parties, dont l’une par deux fois. Pire encore, depuis ces échecs qu’il convient de dire qu’ils ont été traumatisants, aucun politicien ne semble intéressé à en discuter ou à s’avancer dans l’architecture d’une solution. Le drame est donc réel et en apparence sans issue: le multiculturalisme est une catastrophe, non seulement pour le Canada en tant que pays, mais également dans la réalité quotidienne de chacune des provinces.


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André Verville13 articles

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Géomaticien et expert en technologies géospatiales et en imagerie aérienne, André Verville a une réflexion scientifique sur plusieurs enjeux de société. Publiés à l'occasion dans le journal Le Soleil depuis quelques années, ses textes d'opinion surprennent parfois parce qu'ils amènent un point de vue qui sort souvent des sentiers battus, un peu comme la photographie aérienne nous permet de mieux comprendre la géographie du territoire. À la fois souverainiste et écologiste convaincu, il est par contre réaliste et il tente par son approche logique des enjeux politiques de notre société d'amener ses concitoyens à remettre en question certaines croyances et principes à courte vue qui à son avis sont contre-productifs pour l'avancement de ces causes. Le changement du point de vue est parfois essentiel pour mieux comprendre les choses. En cartographie photogrammétrique, sa spécialité, on appelle ça de la parallaxe et croyez-le ou non, ça permet de voir les choses en 3D!





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