La SQ avait «accepté» de délivrer un permis à BCIA «même si celle-ci était dans l'impossibilité de démontrer qu'elle faisait partie de l'industrie du transport blindé». Photo: Robert Skinner, La Presse
Denis Lessard (Québec) L'autorisation de port d'arme temporaire qu'a accordée la Sûreté du Québec à Luigi Coretti est très inusitée.
Le patron de BCIA a obtenu le droit d'avoir une arme à utilisation restreinte après plusieurs interventions du cabinet du ministre Jacques Dupuis. Cette décision est d'autant plus étonnante que la division des camions blindés de BCIA, Centurion, n'était pas conforme aux exigences de la police.
La Presse a obtenu une lettre datée du 14 mai 2008 dans laquelle la Sûreté du Québec explique au patron de BCIA que, comme le transport d'argent n'est pas son activité principale, il n'a pas le droit à «une autorisation de port valide pour une durée d'un an». «Toutefois (...) nous sommes prêts à vous offrir un service approprié aux circonstances particulières et exceptionnelles qui peuvent survenir dans le cours des affaires de votre entreprise», écrit Marie-Pascale Brière, cadre à la Sûreté du Québec.
La lettre de Mme Brière révèle aussi une situation encore plus étonnante : «Nous sommes toujours en attente de copies de contrats de transport de valeurs, justifiant les demandes d'autorisations de port formulées par les employés de Centurion.» Elle rappelle que la SQ avait «accepté» de délivrer un permis à la firme «même si celle-ci était dans l'impossibilité de démontrer qu'elle faisait partie de l'industrie du transport blindé». En retour, M. Coretti s'était engagé à présenter des preuves de contrats, ce qui n'a été fait qu'une seule fois, insiste Mme Brière.
Le permis de port d'arme des employés de Centurion avait été délivré huit mois auparavant, le 1er septembre 2007, par Yves Massé, contrôleur des armes à feu et inspecteur de la SQ.
Mesure exceptionnelle
C'est après la lettre de Mme Brière que la SQ a accordé à M. Coretti des autorisations valides pour un mois, une mesure exceptionnelle. Par la suite, les renouvellements seront fixés aux trois mois. Joint par La Presse, Yves Massé a soutenu mardi qu'il connaît d'autres exemples de ces permis temporaires -»au moins un autre cas», a-t-il précisé. Il a aussi reconnu que Jocelyn Turcotte, à l'époque responsable des affaires policières (il est devenu par la suite chef de cabinet du ministre Jacques Dupuis), avait fait plus d'une démarche auprès de la police dans ce dossier.
M. Turcotte avait même appelé directement M. Massé, un geste peu banal, reconnaît ce dernier. «Le permis a été accordé selon les règles de l'art, selon les exigences légales», a soutenu pour sa part le directeur de la SQ, Richard Deschênes. En négociation actuellement, Jean-Guy Dagenais, le président du syndicat des agents, a opiné dans le même sens, mardi, convaincu qu'on ne se trouve pas devant un cas d'ingérence politique dans l'action policière.
Pas eu d'intervention «indue», dit Jacques Dupuis
De son côté, toute la journée sur la sellette, le ministre Jacques Dupuis, qui avait soutenu la semaine dernière qu'il n'y avait eu aucune intervention en faveur de M. Coretti, a nuancé ses affirmations mardi. Important donateur à la caisse du Parti libéral, M. Coretti, que M. Dupuis a reçu à son bureau à la mi-mars 2008, est une bonne connaissance de l'ex-ministre Tony Tomassi, congédié la semaine dernière du conseil des ministres et du caucus libéral pour avoir utilisé une carte de crédit fournie par le patron de BCIA.
«Il n'y a pas eu d'intervention indue, aucune pression de quelque nature que ce soit», a martelé mardi M. Dupuis. Le citoyen Coretti se disait «mal traité» par la SQ dans sa demande de permis de port d'arme. M. Dupuis estime qu'il est normal qu'un politicien entende ce genre de doléances. M. Turcotte, du cabinet de M. Dupuis, a passé un coup de fil à la direction de la SQ - dirigée alors par Normand Proulx - pour s'enquérir de la version de la police.
Dupuis a mis Charest dans l'embarras, dit Marois
Pauline Marois estime que le ministre Dupuis a plongé le premier ministre Charest dans l'embarras. À Trois-Rivières, lundi, M. Charest a soutenu que le ministre Dupuis avait donné des réponses très claires : «Il n'y a eu aucune intervention de sa part ni de son bureau dans le dossier de M. Coretti.» Jacques Dupuis a affirmé que «pas d'intervention» signifie «pas d'intervention indue». «En laissant son ministre jouer ainsi sur les mots, le premier ministre perd toute crédibilité», croit la chef péquiste.
Le député de Chambly, Bertrand Saint-Arnaud, considère que même la décision de M. Dupuis de rencontrer M. Coretti à son bureau est indéfendable : «Jamais le ministre de la Sécurité publique ou son personnel ne devrait intervenir, de près comme de loin, dans ce genre de dossier.» Le ministre Dupuis s'enferre dans ses versions, a renchéri le péquiste : vendredi dernier, il soutenait ne pas connaître les motifs de M. Coretti avant la première rencontre à son bureau de circonscription ; mardi, il a soutenu que lui et ses collaborateurs connaissaient les doléances du patron de BCIA avant de le voir.
L'adéquiste Gérard Deltell estime, lui, que le ministre Dupuis a commis «un très grave manquement de jugement» et permis un croisement dangereux entre «le politique et le policier». Il est par ailleurs incompréhensible, relève M. Deltell, que le ministre Dupuis ne soit pas au courant de l'existence d'un contrat de 1,6 million confié par son propre ministère à BCIA pour la surveillance des détenus. «Je ne me mêle pas des contrats. Je n'avais aucune idée des contrats octroyés à BCIA», a répliqué M. Dupuis.
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