Québec - Le premier budget de Michel Audet l'an dernier, aussi lénifiant avait-il été, avait permis de libérer Jean Charest de sa promesse intenable de baisser les impôts d'un milliard de dollars par année. Cette fois-ci, le ministre des Finances signera le 23 mars un budget marqué par «l'approche globale» récemment mise en avant par le premier ministre.
Compte tenu de la mince marge de manoeuvre dont il dispose, le gouvernement Charest ne pourra pas en mettre plein la vue avec des espèces sonnantes et trébuchantes. Aussi, la plus grande originalité du deuxième budget Audet résidera dans l'expression de la volonté gouvernementale de créer le Fonds des générations pour rembourser la dette publique à la faveur d'un projet de loi qui sera déposé au printemps.
Émoustillé par le manifeste Pour un Québec lucide défendu par Lucien Bouchard, Pierre Fortin et André Pratte, le premier ministre est passé d'un discours reaganien basé sur des baisses d'impôts massives - 27 % de moins en cinq ans - et sur une réduction du rôle de l'État, appelée «réingénierie», à un discours «responsable» et austère au sujet de la dette. «Si rien n'est fait pour l'endiguer, la spirale de la dette finira par menacer notre richesse, limiter nos choix et compromettre nos programmes et nos services», a déclaré Jean Charest dans le discours inaugural de mardi. La dette publique s'élève à 117 milliards et coûte 7,5 milliards en intérêts par année.
Il faut revenir à la fin des années 80 et au début des années 90 pour entendre de la bouche des politiciens les mots «spirale de la dette», soit à l'époque où le gouvernement Mulroney, dont faisait partie M. Charest, sécrétait des déficits colossaux alimentés par une politique désastreuse de taux d'intérêt élevés. Par la suite, tant Paul Martin que Lucien Bouchard se sont tour à tour attaqués à l'élimination de la «spirale de la dette» avec les résultats que l'on connaît.
Appréhendant «une crise réelle et sérieuse des finances publiques» en raison du vieillissement de la population, M. Charest a annoncé la création de ce fonds «dont le seul objectif sera de réduire ce fardeau trop lourd à porter pour les générations futures». Comment le gouvernement peut-il réduire la dette compte tenu de sa marge de manoeuvre financière minime, sinon inexistante? Grâce à «l'approche globale», répond M. Charest.
Dans son discours inaugural, le premier ministre a promis de ne pas rembourser la dette en haussant les taxes et impôts ou en comprimant de façon significative les dépenses de l'État. «Nous ne réglerons toutefois pas le problème de la dette au détriment des missions essentielles de l'État. Nous ne le ferons pas non plus en alourdissant un fardeau fiscal déjà pesant et que nous avons toujours l'intention d'alléger, particulièrement pour les familles», a déclaré M. Charest.
L'approche globale consiste à rembourser la dette et à réduire le fardeau fiscal des contribuables sans toucher aux missions essentielles de l'État. Une chose et son contraire.
Réduire les dépenses de l'État? Il ne faut pas trop compter là-dessus. Après trois ans de «réingénierie», existe-t-il encore des missions non essentielles que supporterait le gouvernement Charest? La seule économie significative que la présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget, a dégagée en trois ans provient des fonctionnaires qui prennent leur retraite et que l'État ne remplace qu'une fois sur deux, une affaire de 300 millions par an.
«Nous nous acquitterons de nos devoirs sur la dette en créant, comme je l'ai invoqué tout au long de ce discours, plus de richesse», a promis M. Charest dans son discours de mardi. Le premier ministre s'est toutefois bien gardé de nous dire comment il entend s'y prendre. Les «lucides» soutiennent que le problème de la dette qui nous pend au bout du nez sera causé par l'incapacité du Québec à créer autant de richesse que par le passé, en raison notamment du déclin de la population active à compter de 2011. Et Jean Charest nous dit qu'il veut en créer davantage. L'approche globale, voilà!
Comme le président du Mouvement Desjardins, Alban D'Amours, avait été le premier à le faire, les «lucides» avaient recommandé qu'on commence dès maintenant à rembourser la dette grâce à un actif qui appartient à tous les Québécois et dont on ne tire pas tout le potentiel économique: Hydro-Québec. Il faut hausser les tarifs d'électricité pour les rapprocher des tarifs en vigueur chez nos voisins et se servir des sommes ainsi dégagées pour réduire la dette, préconisent-ils.
Alban D'Amours a demandé aux économistes de Desjardins et du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) de faire une étude sur un plan de réduction de la dette. Ils viennent de publier leur étude, intitulée Le redressement de la situation du Québec - Un défi à la fois prioritaire et incontournable.
Pour rembourser la dette, on peut hausser les taxes et les impôts, soulignent les économistes, une voie contre-productive, selon eux, compte tenu du fardeau fiscal déjà très lourd que supportent les Québécois. Le gouvernement peut réduire les dépenses publiques mais le prix politique à payer est trop élevé. Il peut vendre des actifs publics, mais l'effet serait marginal. Il ne reste plus qu'à tarifer les services publics, une option que les économistes favorisent, au premier chef l'électricité. «Il n'y a pas 56 moyens de créer de la richesse au Québec à long terme», fait valoir François Dupuis, chef économiste adjoint chez Desjardins.
Si Hydro-Québec imposait des tarifs semblables à ceux en vigueur chez nos voisins, la société d'État pourrait verser au trésor public cinq milliards de plus par an. Sans aller jusqu'à exiger les mêmes tarifs, on pourrait envisager qu'Hydro-Québec augmente graduellement ses tarifs pour encaisser à terme trois milliards en sus de ses coûts encourus, suggère François Dupuis. Les personnes vivant sous le seuil de la pauvreté ne seraient pas touchées par ces hausses, qui leur seraient remboursées par l'État.
Les bas tarifs d'électricité sont régressifs, soutiennent les économistes, car ils profitent davantage aux grands consommateurs, qui sont les plus nantis. En outre, ils encouragent la surconsommation et le gaspillage.
Selon le scénario privilégié par M. Dupuis, Hydro-Québec pourrait hausser ses tarifs de 2 % de plus que ce que lui accorde la Régie de l'énergie. Grâce à cet apport, la dette du Québec passerait de 44 % du produit intérieur brut (PIB) à 15 % dans 20 ans, un niveau jugé acceptable.
La population réagit toujours mal aux hausses de tarifs des services publics. La dernière augmentation de 5,3 % des tarifs d'Hydro-Québec ne fait pas exception. Rappelons que ce bond ne sert qu'à couvrir les coûts de la société d'État: l'État n'aura pas un sou de plus. L'an prochain, Hydro-Québec pourrait se présenter devant la Régie de l'énergie avec une demande de hausse de tarifs encore plus élevée, soit de 10 %, selon les prévisions. Mais à compter de 2008, les demandes seront beaucoup plus modestes et pourraient même se traduire par de légères baisses.
Lors de la consultation prébudgétaire placée sous le thème de la dette publique, Michel Audet, devant les moyens que lui proposaient économistes et gens d'affaires pour réduire la dette, s'était écrié: «Toutes des choses impopulaires.» Avec son approche globale qui tente de concilier l'inconciliable, Jean Charest, dont le capital politique n'est pas des plus solides, ne semble pas tenté par un coup de barre impopulaire. En dépit du discours officiel.
Le budget de l'approche globale
Jean Charest aura-t-il les moyens de son discours ?
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