(Photo tirée du livre)
À l'occasion du 20e anniversaire du décès de René Lévesque, Louise Beaudoin et François Dorlot publient un livre hommage aux Éditions La Presse. Les coauteurs lèvent délicatement le voile sur la vie privée de l'homme politique à l'aide d'une foule d'anecdotes, de situations et de photos inédites.
Retour à l'homme, René Lévesque. Après tout ce qui a été dit et écrit, filmé et inventé, Louise Beaudoin et François Dorlot ont décidé de décrire, dans leur livre hommage, le plus précisément possible un être humain d'exception dans ce qu'il avait de plus simple et de plus beau.
«Ce qu'on raconte, c'est ce qu'on a vécu avec lui. C'est l'homme qu'on a connu et aimé. Ce n'est pas nostalgique, mais jubilatoire», note l'ancienne ministre du Parti québécois Louise Beaudoin. «Ce n'est pas un livre d'analyse non plus», souligne François Dorlot, qui avait déjà décrit, avec sa conjointe, les adieux de la France à René Lévesque en 1985.
Les auteurs n'ont pas mené d'entrevues pour rédiger ce témoignage. Tout est du «vu et entendu» en direct. Ils ne voulaient par réécrire la biographie non plus, sauf que le dernier tome du livre de Pierre Godin, L'homme brisé, contenait des faussetés, selon Louise Beaudoin.
«C'est pas vrai que les plus noires années de sa vie ont été celles où il a survécu à sa démission. Tout le monde qui le côtoyait pourrait le dire. Un mois avant sa démission en France, il a donné un discours magistral. Il était très bien. L'une de ses forces, c'était la parole», rappelle-t-elle.
Être charismatique que tous voulaient côtoyer, René Lévesque était particulièrement accessible et disponible, disent-ils. L'ennui n'était jamais au rendez-vous avec lui. Les débats vigoureux, oui, parfois même blessants, mais à des années-lumière des échanges aseptisés d'aujourd'hui.
«Il était extrêmement attachant. On lui pardonnait tout. Jamais je ne me suis lassée de côtoyer René Lévesque, alors que les politiciens, on se lasse assez rapidement d'eux, non?» souligne l'ancienne ministre, qui s'est pourtant fait souvent traiter de «petite-bourgeoise» ou de «bonne soeur» par un Lévesque parfois bourru et un brin «vlimeux».
Elle insiste aussi sur le fait que René Lévesque ne gouvernait pas par sondages. Il était au diapason de l'opinion parce qu'il «était près des gens. En 1984, quand il a pris le beau risque, c'est parce qu'il sentait que c'était ça qu'il devait faire, qu'on ne pouvait pas pousser le bouchon plus loin, parce que le fruit n'était pas mûr. C'était un phénomène. Il ressentait, il savait les choses».
Homme de convictions
Entêté, René Lévesque? Homme de principes et de convictions profondes, plutôt, croient-ils. Le chef laissait toute la place à la discussion, même si son idée était faite.
«Il pouvait l'être, précise François Dorlot. Sinon, un politicien passe son temps à écouter le dernier sondage ou le dernier conseiller qui a parlé. Ce n'était pas le genre de René Lévesque. Mais il n'était ni hargneux ni aveugle.»
Mais bourreau de travail, par contre. Durant sa carrière politique, il pouvait travailler jusqu'à 80 heures par semaine.
«Il était nerveux, angoissé dans certaines périodes. On le serait à moins, mais il trouvait le moyen de se calmer lui-même. Il réussissait à dormir deux fois 12 heures le week-end», explique M. Dorlot, qui a organisé son premier voyage politique en Europe.
Plusieurs lui auront fait une réputation d'homme à femmes. Les coauteurs ne le nient pas, mais ont préféré le suggérer, lors d'une rencontre avec une fonctionnaire d'origine allemande, plutôt que de l'étaler.
«Je pense que les hommes politiques qui ne mettent pas leur vie privée en scène, au contraire de Pierre Trudeau par exemple, méritent qu'on respecte cette décision», dit Louise Beaudoin. «On n'a pas voulu forcer les barrières que lui-même avait érigées», dit son coauteur.
Loisirs
Et son hobby par excellence, les cartes? Malgré la légende, il ne jouait pas bien et c'était loin d'être son seul passe-temps. Esprit immensément curieux, René Lévesque aimait le cinéma et lisait des tonnes de romans.
«Il adorait Han Suyin. Il en parlait beaucoup. Contrairement à bien d'autres que je ne nommerai pas, il était capable de parler d'autres choses que de politique. Il était capable de s'en extirper», estime Mme Beaudoin.
Enfin, comme ses concitoyens l'ont bien senti, René Lévesque n'était pas un homme d'argent, pas plus qu'à l'argent d'ailleurs. Il faisait dans l'être plutôt que dans le paraître ou l'avoir.
«Il aimait bien manger, dit Louise Beaudoin, mais chez lui c'était du macaroni au fromage en boîte. Il vivait simplement. À la fin de sa carrière, il n'a pas fait le tour des puissants pour obtenir un job. Il est retourné au journalisme, tout simplement. S'il y avait un homme vrai, c'était bien lui.»
EXTRAITS DU LIVRES
Outre les incontournables références politiques, ce livre présente des aspects plus anecdotiques de René Lévesque. En voici quelques extraits.
Souvenir cocasse
«Hélas, que de scènes reviennent à notre esprit sans qu'aucune trace ne se soit retrouvée sur pellicule: rien de nos soupers animés; rien des scènes cocasses, comme la figure ahurie d'un pompiste du boulevard Sainte-Anne, près de Québec, voyant arriver une minoune (notre voiture), tombée en panne d'essence à quelques dizaines de mètres de son garage, poussée par "Ti-Poil"!» p.18
Gastronomie
«À l'époque, dans les années soixante-dix, le vrai foie gras était introuvable au Québec. À chaque retour de Paris, Louise se transformait en contrebandière. Elle passait au nez et à la barbe des sourcilleux douaniers ce produit hautement toxique [...]. Une fois sur la table, le foie gras n'en avait que plus de saveur. Au désespoir des convives, Lévesque pratiquait avec ardeur ce que l'on qualifiait unanimement de crime de lèse-gastronomie. Sourd aux hurlements de la tablée, il enterrait ce mets délicat sous une tonne de poivre ou, pire encore, le noyait dans une demi-bouteille de sauce Tabasco, clamant haut et fort que cet assaisonnement en rehaussait la finesse.» p. 51-52
Humilité
«René Lévesque était obsédé à la fois par la quête de la perfection, ou plus modestement de la bonne décision à prendre, et par les contraintes de toutes sortes qui rendaient l'objectif idéal inaccessible. Quand il répétait à satiété la formule, plutôt inadéquate pour un premier ministre, "à mon humble avis", il ne manifestait pas tant de l'humilité ou de la fausse modestie qu'un aveu d'impuissance devant les difficultés qui transforment la vie politique en une interminable course d'obstacles. Aussi les maximes qu'il faisait siennes tournaient elles toutes autour de cette opposition entre les moyens, faibles, et les objectifs, démesurés. "On patauge", disait-il souvent.» p. 55
Les cartes
«Les cartes, le poker en particulier, tenaient une place de choix dans chacune des soirées. Lévesque n'était pas un très bon joueur. Il jouait intensément, mais il bluffait trop. Vu le montant des mises, il ne se ruinait pas, les pertes les plus dramatiques ne dépassant guère les vingt-cinq dollars. Ces parties de cartes constituaient pour Lévesque l'ultime détente, en proportion de leur durée, c'est dire qu'elles entamaient la nuit assez loin.» p. 57
Lassitude
«S'ils avaient été présents, ceux qui prétendaient que Lévesque avait renié, ou tout au moins délaissé, son but auraient ravalé leurs accusations. Sa quête d'un Québec indépendant était intacte. Mieux, son idéal s'était enrichi de tout ce qu'il avait vu et lu depuis deux ans, nourri de réflexions longuement mûries. Le désir était redevenu passion. "Les problèmes non réglés, comme une douleur lancinante, remontent toujours à la surface, finissent toujours par nous rattraper, nous dit-il. La question du Québec au sein du Canada est aussi vive que jamais. Elle devra nécessairement aboutir un jour ou l'autre.» p. 122
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